A la recherche de l'iconographie occidentale, le jeune Eugraph Kovalevsky s'en vient en l'année 1927 ou 1928 visiter les fresques de l'église Sainte-Radegonde à Poitiers. Dans la crypte de ce sanctuaire, où il était venu en esthète religieux seulement et oublieux de la sainteté, en passant sous le tombeau de la sainte, dans un mélange de joie et de crainte qui ne sont pas de ce monde, il entend : «Je veux que la France devienne orthodoxe», et il reçoit la force pour commencer cette oeuvre.
La renaissance de l'orthodoxie en France, la restauration de l'Eglise de France dans l'esprit où elle vécut durant les premiers siècles de sa fondation devient ce jour, à Poitiers, la mission d'Eugraph Kovalevsky, l'œuvre pour le reste de sa vie.
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Avec quelques jeunes autres russes émigrés dont Wladimir Lossky Eugraph Kovalevsky a fondé en 1925 une confrérie qu'ils placent sous le patronage de saint Photius, le grand patriarche de l'Eglise de Constantinople qui fut le savant le plus illustre de son siècle, le neuvième, et qui pensait que l'autorité dans l'Eglise universelle et les décisions sur les dogmes divins relèvent de la conciliarité («là où deux ou trois sont réunis en mon Nom, dit le Christ, Je suis présent»). Le but de cette confrérie est de travailler à l'indépendance et à l'universalisme de l'orthodoxie, pensant que «l'unité chrétienne ne peut être atteinte qu'en confessant l'orthodoxie» (citation de W. Lossky).
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«Il ne s'agissait point (dans les travaux de recherche sur l'orthodoxie en Occident) d'une quelconque tolérance de telle ou telle coutume, mais de la restauration dans l'orthodoxie universelle du visage légitime, immortel et orthodoxe de l'Occident. C'était mon Credo.
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D'où me vint cette conviction? Comme je l'ai dit, je crois, en 1919, avant de prendre le bateau pour la France, deux idées s'étaient imposées à mon esprit. Dieu a voulu l'émigration orthodoxe en Europe afin qu'elle apporte la lumière de l'orthodoxie qui durant mille ans s'est désintéressée de l'Occident. Deux sentiments aigus m'animent: la splendeur de l'orthodoxie et le péché des orthodoxes avec leur indifférence vis-à-vis des autres peuples, ou plutôt leur satisfaction statique. Ce péché est lavé par le martyre de la Russie et la mission des orthodoxes en Occident. Je n'avais point changé. »
En ce temps (1936) réside à Moscou un saint et prophète: le métropolite Serge qui préside au destin et au martyre de l'Eglise orthodoxe russe. Serge «le Grand» est «locum-tenens» du patriarche. Staline acceptera plus tard qu'il soit élevé au patriarcat.
... arrive à Paris la décision historique (décret du 16 juin 1936, n° 75) :
«...Les paroisses réunies à l'Eglise orthodoxe, se servant du rite occidental, seront désignées comme ÉGLISE ORTHODOXE OCCIDENTALE... »
Remplaçant du locum-tenens du patriarche.
Signé : Serge, métropolite de Moscou.
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L'Eglise orthodoxe d'Occident rejaillit du sol après un millénaire souterrain, aidée en cela par les Russes, par ceux qui se firent baptiser au temps même où cette Eglise commençait sa carrière souterraine (fin du Xe siècle) laissant la place à l'Eglise de Rome.
Eugraph Kovalevsky est ordonné prêtre par le métropolite Eleuthère qui représente en France le patriarcat de Moscou et sa première célébration liturgique, le dimanche 7 mars 1937, est celle de l'enterrement de monseigneur Winnaert. Le nouveau père Eugraph avait accepté quelques jours auparavant de devenir responsable de l'Eglise d'Occident.
... en 1957, l'archiprêtre Eugraph va rencontrer un archevêque russe, émigré et membre du synode des évêques russes en émigration, synode connu sous le nom d'Eglise russe hors-frontières. Cet archevêque est Jean de Chang-hai, maintenant connu sous le nom de Jean de San Francisco et qui sera prochainement glorifié, canonisé.
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L'Eglise orthodoxe de France est reçue dans l'obédience russe hors-frontières avec un statut d'autonomie; l'archevêque Jean sera son protecteur et le 11 novembre 1964, jour de la fête de saint Martin l'apôtre des Gaules, il sacre évêque le père Eugraph à San Francisco, où l'archevêque Jean a été nommé.
Le nouvel évêque reçoit le nom de Jean, du patronyme de saint Jean de Cronstadt, prêtre de l'Eglise patriarcale russe né au ciel le 20 décembre 1908 et qui fut un thaumaturge prodigieux, tout en desservant la cathédrale Saint-André de Cronstadt (faubourg de Saint Petersbourg).
Et comme l'évêque est l'évêque d'un lieu ce sera la ville de Saint-Denis, près de Paris, qui n'a pas à cette date d'évêché romain qu'on attribuera à Monseigneur Jean.
L'archevêque Jean, consécrateur avec l'évêque roumain Théophile, lui remet la crosse et lui dit brièvement[43] :
« Tu as fait la mission selon les paroles : "Allez, enseignez toutes les nations". Le peuple français sera dans la joie, mais tu rencontreras des difficultés, car la haine est grande. Tu dois être prudent, tu ne tiens pas assez compte des faibles auxquels on ne donne que du lait. Aujourd'hui, saint Martin est fête de toute la France. Saint Irénée est ton protecteur par la sûreté de la doctrine. Tu es entouré de saint Jean de Cronstadt, de saint Nectaire d'Egine[44], mais souviens-toi aussi du métropolite Antoine de Kiev, ton parent, à l'âme universelle, et fais ce qu'il ferait à ta place. »
En 1967, un nouveau frère à l'esprit prophétique se présenta en la personne du patriarche Justinien, patriarche de l'Eglise orthodoxe de Roumanie. Il était trop tard pour mener à terme la discussion sur l'Eglise d'Occident, mais il était temps encore pour être reçu et s'entendre dire :«Je reçois en votre Eminence non pas un évêque seulement mais le chef d'une Eglise» (Propos du Patriarche Justinien, tenu à Bucarest en avril 1967, et rapporté par les prêtres qui accompagnaient l'évêque Jean lors de sa visite).
Liturge jusqu'à son dernier souffle, comme son maître le Christ, l'évêque Jean de Saint-Denis naquit au ciel un vendredi à 15 heures. C'était le 30 janvier 1970, jour de la fête des trois saints Docteurs de l'Orient, ses compagnons de toujours, saint Jean Chrysostome, saint Basile le Grand et saint Grégoire de Nazianze.
Extraits de l'article ci-dessous
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