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6 août 2019 2 06 /08 /août /2019 00:15
Notre manteau d’humanité

Il y a quelques jours, je me suis surpris répondre à une amie qui me confiait avec beaucoup de sincérité sa confiance dans la volonté de Dieu pour elle et nous tous, que je préférais m’attacher à l’idée que Dieu ne voulait rien.

J’avoue avoir beaucoup de difficultés à me débarrasser de ma propre faiblesse, de mon inquiétude et du doute que j’éprouve. Ce que je voulais confier à cette amie sans oser le lui dire, c’est que je ne pense pas que Dieu veuille quoi que ce soit pour moi, mais c’est à moi de vouloir quelque chose de lui, c’est ma volonté qui est sollicitée, jusqu’à en être parfois menacée.

Voulant Dieu, cherchant sa confiance, je peux finir par perdre toute confiance.

Dans ma vie spirituelle, il m’arrive de faire l’expérience de la peur sans nom liée à une opacité totale et soudaine.

C’est comme devenir brusquement aveugle ou se trouver quelque part et ne pas du tout savoir où l’on est. Le nom même de Dieu paraît dérisoire.

Cette « nuit de la foi », comme l’on dit, ne signifie pas que Dieu n’est plus rien pour moi, mais que je ne veux ou ne peux aller plus loin, au-delà même des représentations que je me fais de Lui, de la foi que j’ai en Lui.

M’accrochant à ma confiance, comme un naufragé à son bois, j’ai perdu toute confiance. Et si Dieu était là où il n’est pas ? Si Dieu n’était pas là où ma confiance l’avait placé ?

Cette expérience même qui me déroute, me met à nu, est celle qui me conduit à Lui, à sa dérision, à son absurdité, sa folie, comme à sa douceur, son effacement. J’ai pensé en moi, Dieu est de ne pas être. Mais j’étais encore dans l’erreur.

Pardonnez-moi, mes amis. Il faut traverser ce silence, cette nuit et nudité de soi, pour entendre que peut-être en moi Dieu n’était pas d’être Lui. Il était son absence. Il était son silence.

Dieu était dans ma nuit obscure, de n’être pas là. Mon hypothèse est que trop souvent ma foi voudrait tout savoir de Dieu, ne manquer de rien, ou le moins possible.

Comment accepter un Dieu dans sa miséricorde nue, désarmée, dans son détachement absolu ? Sa simplicité, son intense faiblesse, bouleversent ma foi.

Le Dieu chrétien perturbe mes identités, révèle mes désirs contradictoires, mes impatiences fausses. Lui-même s’est déformé, s’est rendu vain et néant (signification de la kénose du Christ dans la Lettre aux Philippiens 2, 6).

Il se fait à l’humanité quand nous abandonnons, et répudions souvent, ce qui fait notre humanité.

« L’incarnation ne rapproche pas Dieu de nous, elle augmente sa distance », écrivait mystérieusement Simone Weil.

Oui, d’une certaine façon, l’incarnation vient faire obstacle entre nous et notre humanité. Le Dieu fait homme prend en charge ce que nous abandonnons de notre propre humanité.

Si, ce que les théologiens appellent le mystère de la volonté salvifique de Dieu, nous unit tous au Christ, reconnaissons qu’avec le Christ la souveraineté de Dieu se retire pour que soit paradoxalement révélée sa divinité au cœur de l’humanité de l’homme, de la relation blessée à notre humanité.

Dieu n’est pas là où nous l’attendons ou croyons pouvoir le rencontrer, mais il vient dans l’épreuve de son effacement ou de sa déformation.

Finalement, si je peux dire que Dieu ne veut rien, ce serait aussi une façon de comprendre que même perdu, dans le doute, je reste « capable de Dieu » (capax dei) selon l’expression de saint Augustin (De Trinitate, XIV, 12, 15).

Dieu ne substitue pas sa volonté à celle de l’humanité, il la rejoint jusque dans sa détresse et son impuissance. Ce que j’appelle absence de Dieu, c’est ma présence manquante au monde, aux autres.

Ai-je répondu à mon amie ? Sans doute pas. Mais elle attira mon attention sur un étrange passage de l’Évangile de Jean. Dernière apparition du Ressuscité aux disciples, sur la mer de Tibériade.

Il est dit que « les disciples ne savent pas que c’est Jésus » (Jean, 21, 4). Puis Jean le reconnaît et le dit à Simon Pierre qui, lit-on, « du manteau se ceignit, car il était nu, et se jeta dans la mer » (Jean, 21, 7).

Nu comme un pêcheur sur la barque de l’existence, je me jette à l’eau en serrant contre moi, comme un manteau abandonné, mon humanité.

C’est ainsi que je reconnais Celui qu’avec tant de doute et d’inquiétude j’appelle Dieu. Pour le retrouver, je me jette à l’eau. Pour le retrouver, je me ceins et me couvre de mon humanité dont je voulais me débarrasser.

Je me souviens d’un autre texte (Gn 3, 7), lorsque l’humanité des commencements apprend qu’elle est nue après s’être jetée dans l’aventure de la connaissance, et qu’elle se couvre.

Et si ce premier vêtement était son humanité à sauver, son déjà vieux manteau d’humanité, honteux, déchiré, ravaudé, et que revêtira enfin le Dieu fait homme ?

Je ne vois pas Dieu, je ne sais pas qui est Dieu, mais pour aller vers lui je sais que je dois me jeter à l’eau et emporter avec moi mon manteau d’humanité, toute mon humanité.

Frédéric Boyer

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