Le crash de l'avion Düsseldorf-Bacelone qui vient d'avoir lieu dans les Alpes du Sud est bien évidemment tragique et il ne saurait être question de ne pas être bouleversé face au drame qu'il représente. Néanmoins, sa «gestion» par notre postmodernité ne peut pas ne pas nous interroger quand on a quelque bon sens.
Écoutons la radio relatant ce qui se passe maintenant. Nous apprenons que des avions ont été affrété pour que les familles puissent se rendre sur les lieux du drame afin de faire leur deuil, le tout accompagnées par des cellules de soutien psychologique. Constatons le.
Désormais, lorsqu'une catastrophe se produit, le scénario est bien orchestré. Immédiatement nous apprenons que «tout est mis en œuvre» pour qu'il y ait «prise en charge» des familles par des «antennes de soutien psychologique» afin de «mettre des mots» et ainsi de permettre de «faire le deuil».
Dans ce scénario bien rôdé il y quelque chose qui dérange. Le fait qu'il soit bien rôdé. Et derrière ce rodage, une certaine mécanicité. On n'est pas humain. On est mécaniquement humain.
Comme si on avait peur. Peur que les familles endeuillées se révoltent. Peur qu'elles crient au scandale. Peur qu'elles disent haut et fort qu'elles ont été mal traitées. Qu'elles ont été abandonnées. Qu'elles ont été laissées à elles-mêmes, seules avec leur chagrin. Alors, non seulement, on «fait» mais on montre que l'on «fait». On communique. On sur-communique. Pas question qu'il y ait un moment de solitude ni de silence.
Une expression frappe dans ce tourbillon communicationnel: faire son deuil. Se rend-t-on compte de ce que l'on dit quand on prononce ce terme?
Quand Freud a prononcé cette formule, il songeait à certains de ses patients maladivement attachés à des proches décédés. On ne peut pas vivre éternellement dans le regret de nos chers disparus. Il y a un moment où il faut les laisser partir. D'où l'expression «faire son deuil», cette expression désignant le fait de faire son deuil d'un attachement névrotique, hystérique à des proches disparus.
Prise en dehors de son contexte pathologique, constatons le, cette expression est proprement ridicule. Que l'on sache, toute personne qui perd un de ses proches n'est pas dans un état pathologique, névrotique ou hystérique au point de devoir «faire son deuil» avec un psychiatre.
Qu'à cela ne tienne. Notre postmodernité a décidé de psychiatriser le deuil et oblige désormais de «faire son deuil» en dépêchant pour cela des «psys» afin de veiller à ce qu'on le fasse.
Faute d'un discours religieux sur la mort nous avons aujourd'hui affaire à un discours médical et psychiatrique sur celle-ci, une personne endeuillée étant un malade potentiel qu'il faut soigner et le prêtre étant remplacé par le psychiatre.
En fait, ne sachant pas quoi faire en l'absence d'un ordre religieux du monde, la postmodernité qui a tué Dieu médicalise la mort et la psychiatrise faute de la spiritualiser en dépêchant sur les lieux des catastrophes et des tragédies des équipes médico-psychiatriques veillant à ce que l'ordre d'un monde sans Dieu soit bien assuré.
On a psychiatrisé la mort? On a fait en sorte que tout le monde fasse gentiment son deuil comme certains font la Turquie quand ils sont en vacances ou que le petit fait son rôt à la fin du repas? On a bien fait. On a fait ce qu'il fallait faire.
Le monde peut continuer de dormir en paix. On a veillé à ce que la mort ne soit plus un événement spirituel et métaphysique. On a empêché de la penser. On a évité qu'elle bouleverse et que, derrière elle, la vie, bouleverse.
Bertrand Vergely
Philosophe et théologien, il est l'auteur de Deviens qui tu es: La philosophie grecque à l'épreuve du quotidien (Albin Michel, 2014).
http://www.seraphim-marc-elie.fr/
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