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11 août 2015 2 11 /08 /août /2015 22:09
L'antique chant chrétien occidental

On appelle communément, et de façon indifférenciée, grégorien le chant monodique, en latin, de l'Église catholique.

Ainsi les livres dits de « chant grégorien » (Graduale ou Paroissien romain) désignent par grégorien un répertoire comprenant aussi bien des pièces des premiers siècles, les grands Kyrie du xr* siècle que le Credo le plus commun et des messes qui sont du xvne.

De façon plus spécifique et savante, cependant, on appelle grégorien l'ensemble des chants contenus dans les livres de la fin du IXe, du Xe et du XIe siècle, portant le nom d'antiphonaire, cantatorium ou graduel, notés en neumes et provenant d'une aire géographique comprenant principalement la France, la Suisse et les régions avoisinantes d'Allemagne de l'Ouest et du Sud, ainsi que de l'Italie du Nord.

Dans ce répertoire, on essaie de distinguer un fonds ancien de pièces supposées antérieures au ixe siècle. L'imprécision de ces définitions provient de l'ambiguïté de l'appellation « chant grégorien », impropre pour le répertoire qu'elle désigne. En effet, on a voulu rattacher ce chant au pape Grégoire le Grand (+ 604) donc aux églises de la ville de Rome.

Or cette filiation, qui aura posé bien des problèmes aux musicologues (Apel, Gastoué, Gevaert, Hourlier, Hucke, Huglo, Morin, Stàblein, Toloza), est - quant au chant - légendaire et contraire à la réalité de l'histoire et des manuscrits.

Le nom du pape, porté par le chant depuis le Moyen Âge et imposé par la restauration dite « grégorienne » de la fin du xixe siècle, aura masqué la réalité multiple de ce chant et des traditions qu'il représente.

Pour situer les choses de façon juste, il faut parler plus généralement du grand chant chrétien occidental antique.

Formé à partir du IVe siècle sur un fonds liturgique commun - avec des influences juives, égyptiennes, syriennes et surtout grecques - et, dans l'épanouissement de la culture chrétienne occidentale, sur la tradition latine dans ses diverses expressions, ce chant s'est développé, comme les usages liturgiques, en plusieurs régions indépendantes, en relation les unes avec les autres et avec l'Orient.

On distingue en Occident principalement les liturgies : (pour l'Italie) de l'Italie du Sud, de Rome, de l'Italie du Nord (Milan, capitale d'Empire au IVe s.) et d'Aquilée ; d'Afrique du Nord (Carthage) ; d'Espagne (Tolède) ; (pour la Gaule) d'Aquitaine, de Provence (Narbonne, Marseille, Arles, Vienne), de Lyonnaise (Lyon, Autun), de Belgique et Germanie (Trêves, également capitale d'Empire) ; de Grande-Bretagne et, dès le vie siècle, d'Irlande.

Les traditions du chant sont évidemment liées aux liturgies régionales ; quatre répertoires et styles de chants sont bien connus : celui de Milan dit ambrosien ; celui de Rome dit aussi vieux romain ; le chant hispano-wisigothique, malheureusement indéchiffrable ; celui des Gaules du Nord-Est et du Sud, qui, sur une liturgie carolingienne spécifique, a donné ce que l'on a appelé improprement le grégorien.

Cette dernière liturgie, mélange des traditions de Rome (pour la tradition écrite et l'ordre liturgique) et des Gaules (pour la tradition orale et le chant), fut élaborée à la fin du vme et au ixe siècle, sous Pépin le Bref et surtout par Charlemagne.

Sous l'influence de l'empire carolingien, puis des provinces de France et de l'empire germanique, elle évinça progressivement, du IXe au xnr* siècle, toutes les autres, excepté le rit ambrosien de Milan.

Les traditions de l'Afrique du Nord ont disparu avec l'islamisation. La liturgie hispano-wisigothique, qui survit à l'occupation arabe, ne put résister cependant à l'unification imposée par la Reconquête, suivant les usages de la liturgie dominante.

Enfin, la liturgie et le chant propres de la ville de Rome, celui que saint Grégoire a sans doute connu, disparurent de même au XIIIe siècle, devant la liturgie déjà universelle des puissances du Nord, liturgie dite romaine (au sens de catholique) qui deviendra celle de l'Église latine.

De même que toute cette liturgie (et particulièrement le Credo avec la formule, alors non romaine, du Filioque et les réserves sur le culte des images (Libri carolini) sont imposées à l'ensemble de l'Église catholique par Charlemagne et la puissance carolingienne, de même, sur un ordre liturgique essentiellement romain, le chant des traditions des Gaules, avec son style musical propre, aura connu une diffusion immense.

On pourrait ainsi parler de chant « carolingien »; mais, dans la mesure où ce chant s'est formé du IVe à la fin du VIe siècle et fixé à la fin du vme dans un très grand respect de la tradition antique et de sa transmission orale, on peut parler de façon précise du chant gallo-romain chrétien.

Son importance s'explique par le fait qu'au iv* siècle la culture latine est florissante dans les centres intellectuels et les écoles de Bordeaux, Marseille, Arles, Vienne, Autun, Lyon, Trêves, en particulier dans l'art oratoire et la poésie, à laquelle se relie le chant.

De la fin du IVe au vie siècle, la création artistique et liturgique est extrêmement riche dans les Gaules, et l'on peut citer les noms de nombreux évêques, lettrés, poètes, dont la contribution à la liturgie est connue et chez lesquels les mentions de chant sont fréquentes.

Mais cette richesse manque d'unité, nécessaire dans une conception impériale, alors que pour l'Antiquité seule importe l'unité de la foi ; et dans cette foi unique toutes les traditions de célébration et de louange sont bienvenues (Grégoire le Grand, Lettre à l'Église d'Angleterre, citée par Bède le Vénérable).

Charlemagne choisit pour cette unification l'ordre liturgique du sacramentaire romain dit, dès cette époque, grégorien (a S. Gregorio papa romano editum) - et dans lequel Grégoire a eu un rôle connu.

Cet ordre est adopté aussi pour les textes des chants (cantus), mais il n'a jamais été question de chanter musicalement (in vocis modulatione) autrement que dans le style des chantres et maîtres de musique carolingiens (Amalaire de Metz, liturgiste de Charlemagne, ne s'intéresse aux usages de Rome que in ordine et in verbis).

Car, dans une tradition orale, le grand chant, qui est essentiellement de soliste, n'est pas conçu comme une mélodie et n'est pas fixé ; d'ailleurs, on n'utilise pas de notation écrite, seul le mode, aligné souvent sur celui de Rome, importe.

La tradition du Nord-Est, celle de Metz depuis Chrodegang (+ 766), puis celle du Sud avec Benoît d'Aniane (+ 821) - avec aussi sans doute un apport de Grande-Bretagne avec Alcuin (+ 804) et d'Irlande - fournissent l'essentiel de la matière musicale.

Avant, puis sous Charlemagne, personne n'avait associé le chant à saint Grégoire, mais le nom du sacramentaire « grégorien » et de son ordre liturgique déteint peu à peu sur celui du chant (d'où la légende sur Grégoire et le chant, de Jean Diacre, vers 880).

Ce chant sera fixé dans une notation d'abord «orale», c'est-à-dire indéchiffrable hors de la tradition (neumes libres, ixe et Xe s., à Saint-Gall, Laon et Metz), puis dans une notation diastématique (neumes disposés en intervalles - manuscrits aquitains, xe et xf s.) et, plus tard encore, sur lignes, notation qui permet la lecture à vue et ainsi une diffusion très large.

Mais la grande tradition, qui est orale, se perd au xnc siècle. Avec l'art gothique, le chant antique, hors des monastères, est relégué au rôle de plain-chant, par opposition au chant à plusieurs voix, qui relève d'une tradition populaire moins savante mais qui se développe de façon remarquable avec l'écriture.

La Renaissance imposera aussi son style et ses livres, et le chant grégorien, simplifié en « mélodies », n'aura plus de sens. Il revient aux bénédictins français d'avoir entrepris au XIXe siècle une tentative de restauration, marquée par l'édition d'un Graduel (1883, Solesmes).

Malheureusement, la tradition de chant était perdue, ainsi que les notions de gammes anciennes, de justesse d'intonation, de modalité au sens de la tradition orale antique, et, depuis plus longtemps encore, la notion même d'art sacré (et non pas seulement art religieux).

Pour l'essentiel du répertoire, il s'agit de chant sacré : dans le contexte de la liturgie, de l'Art sacré par excellence. C'est-à-dire d'un art qui est fondé sur et doit établir un rapport réel avec le divin. Il a son origine dans l'illumination de la conscience dans la contemplation du divin, car c'est dans la contemplation du Dieu unique que se révèlent les vrais rythmes et nombres de la Musique et de la Danse, celle justement de l'âme dans cette contemplation (Augustin, De musica, VI, reprenant ici la tradition antique).

Et c'est sur ces nombres et ces rythmes, sur les consonances, proportions et mouvements qui en résultent, que se fonde l'Art sacré : ces mouvements d'inspiration divine, représentés dans la liturgie par l'architecture, l'image, la lumière, l'encens et que le chant, au-delà même de la parole, transmet de façon puissante, ces mouvements éveillent la partie divine de l'âme, afin de l'établir dans un rapport essentiel avec l'Invisible.

Le chant, en effet, dans une intonation précise - agissant sur le corps par les intervalles, les vibrations et les syllabes (A/lieu du cœur, O/gorge, U/bouche, M/région frontale et sommet de la tête) et sur la conscience profonde par les timbres d'intonation - est le reflet sonore d'états psychophysiologiques que l'Antiquité appelle mouvements de l'âme : c'est à cela que répond la notion de mode.

Aussi le chant peut-il transmettre et induire de tels états, en particulier il a une puissance de conversion.

Une interprétation du chant qui se voudrait aujourd'hui authentique doit s'appuyer sur cette conception antique fondamentale de l'art sacré.

Au temps où le grand Chant était ainsi compris et pratiqué, le christianisme se diffusait de façon irrésistible par la parole d'Amour du Christ, mais aussi par la beauté des liturgies dont cette parole était vêtue.

lÉGOR REZNIKOFF

Encyclopédie des religions 
Universalis

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