D'après la première étude objective publiée en URSS, en 1987, sur l'état de la foi, la composition de l'assistance aux offices religieux s'est sensiblement modifiée au cours des années soxante-dix, du moins à Moscou et Leningrad où il était moins risqué qu'en province d'aller à l'église.
Si les femmes âgées continuaient de l'emporter, le nombre d'hommes, surtout d'hommes jeunes ou d'âge mûr avait sensiblement augmenté. Les jeunes de 18 à 30 ans formaient, désormais, un groupe distinct.
Les croyants venus à la foi sans avoir reçu d'éducation reli-gieuse à la maison et, souvent, contre la volonté de leur famille constituaient à peu près le tiers des pratiquants réguliers dans ces deux grandes métropoles.
« Quand on voit de frais visages inattendus s'inscrire dans le paysage des églises orthodoxes de nos grandes villes, on peut être certain que ces jeunes gens ne sont pas venus là en trotti-nant derrière leur grand-mère. Ils sont venus d'eux-mêmes, sans qu'on les y pousse... Dans les familles des convertis, l'athéisme est de fondation depuis les années trente. Ils viennent là pour des raisons qui leur sont propres, qui montent du fond de leur âme », explique Vladimir Zielinski dans l'un des plus beaux témoignages sur l'itinéraire de cette nouvelle génération de chrétiens à laquelle il appartient lui-même.
De plus en plus souvent, à Moscou, des enfants de communistes et même des enfants de vieux kagébistes demandaient le baptême. Il était également fréquent que des gens d'origine juive se fissent baptiser, relevait encore Lévitine.
Il s'étonnait en considérant ces garçons et ces filles qui, il y a peu, n'avaient pas la moindre idée de la religion et dont la démarche provo-quait d'ordinaire d'âpres conflits familiaux et des disputes avec leurs parents pouvant aller jusqu'à la rupture. Dans la plupart des cas, leur conversion se faisait spontanément.
Pour l'un, tout avait commencé avec la lecture de Dostoïevski. Pour un autre, ça avait été Berdiaev. Pour un troisième, l'étude des icônes. Pour un quatrième, des exercices de yoga.
Tatiana Goritchéva a raconté que, pratiquant précisément des exercices de yoga, elle était tombée, par hasard, sur un manuel qui proposait le texte du Notre Père comme formule à répéter indéfiniment. Elle s'était donc mise à le réciter de manière auto-matique, sans expression, ainsi qu'il convient à un mantra, quand soudain elle en fut toute retournée. « Ce n'était pas ma raison idiote, mais tout mon être qui comprit qu'il existait.»
Un prêtre a confié que, jusqu'à présent, il ne pouvait expliquer sa conversion. Pourquoi, vers l'âge de vingt ans, s'était-il mis à aller à l'église, avait-il osé, un jour, s'approcher de l'offi-ciant après la messe et lui avait-il demandé de le baptiser ?
Toute sa famille avait décidé qu'il était surmené, qu'il était devenu fou, qu'il devait se faire soigner. Lui essayait de trouver des explications. Peut-être avait-il trouvé la foi grâce aux prières de son arrière grand-mère.
Peut-être cela était-il arrivé parce qu'il rejetait entièrement toute la doctrine officielle avec ses auteurs sacrés. Peut-être s'était-il pris d'une passion trop vive et trop précoce pour Dostoïevski et Soloviev.
« Si l'on se place d'un point de vue extérieur, concluait-il, tous naissent et meurent à peu près de la même façon, mais je suis sûr qu'aucun récit d'une naissance ou d'une mort ne corres-pond à l'expérience intérieure de celui qui vit ou qui meurt. Il en est de même pour le chemin à Dieu, pour chaque baptême, je pense. La typologie et la sociologie sont une chose, la vie de l'âme une autre chose. Pourquoi et comment je suis venu à la foi, je n'en sais rien. »
Le père Jacques Loew, que sa propre conversion à l'âge adulte entraîna à travers le monde, dans l'expérience des prêtres ouvriers à Marseille, les communautés de base au Brésil, l'École de la Foi à Fribourg, et qui a fait, quand c'était difficile et qu'il fallait beaucoup de prudence, plusieurs voyages en URSS pour y rencontrer des chrétiens, a été frappé lui aussi par leur témoi-gnage : la plupart avaient été brusquement saisis par Dieu, sans aucun signe avant-coureur, à la manière d'un André Frossard ou d'un Maurice Clavel.
«J'ai rencontré des hommes et des femmes de 20 à 35 ans, vifs, intelligents, cultivés, des scientifiques souvent, ni spéciale-ment favorisés ni parmi les plus malheureux, qui ont grandi dans une atmosphère aseptisée de tout germe religieux, le nom de Jésus leur étant aussi étranger que pour nous le nom d'une cuvinité de l'Inde et qui un beau jour ont attrapé Dieu comme nous disons que nous avons attrapé la grippe, sans savoir où, ni de qui, ni comment... Des gens qui, un jour, au cours d'une promenade, d'une séance de yoga ont été sûrs et certains de l'existence de Dieu, non pas d'une théorie "Dieu", mais de Quelqu'un. »
« Cette découverte de Dieu par eux est exactement compa-rable à l'appel entendu par Abraham : "Quitte..." et Abraham se met en route. Quel long chemin à parcourir. Où trouver un chrétien à qui se confier, un prêtre à qui demander de se faire baptiser sans que les autorités soient avisées de par la loi ? Où trouver une Bible ? Cet itinéraire durera parfois plusieurs années avant d'aboutir au baptême. »
Entrer en contact avec un prêtre n'était pas sans risque, sur-tout en province. En outre, par ses origines, la formation qu'il avait reçue, son isolement forcé au sein de la société, le clergé était généralement mal préparé à cette rencontre avec cette nou-velle génération de croyants qu'un abîme culturel séparait de la tradition de l'Église. Aussi, rares étaient les prêtres qui savaient parler à ces hommes et ces femmes avides d'entendre une parole vivante, en prise sur leur expérience personnelle.
Yves Hamant
Alexandre Men
http://www.seraphim-marc-elie.fr/
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