Au commencement
Au-dessus du sens
Là est le Verbe.
Ô trésor si riche
Là le commencement
fait naître commencement
Ô poitrine du Père
avec grand plaisir
En coule le Verbe !
Et pourtant le sein
Garde le Verbe
Cela est vrai.
Des deux un fleuve,
D'Amour le feu,
Les deux unis
Aux deux commun,
le Très-Doux Esprit
Très égal,
Inséparable.
Les trois sont Un.
Sais-tu quoi ? Non.
Il se sait lui-même : en entier,
Au mieu
La boucle des trois
A une profondeur terrible,
Le pourtour lui-même
Jamais sens ne saisit:
Là est une profondeur sans
Fond
Échec et mat
Temps, formes et état !
L'anneau merveilleux
Est un jaillissement,
Tout immobile se tient son point
Le mont pointu
Gravis-le sans agir
Intelligence
Le chemin t'emmène
En un merveilleux désert,
Au large, au loin,
Il gît sans limite.
Le désert n'a
Ni temps ni état,
Sa façon lui est particulière.
Ce désert le bien
Jamais pied n'y passe
Sens créé
Jamais n'y vint
Cela est; et personne ne
Sait quoi
Cet ici, ce là,
Ce loin, ce près,
Ce profond, cet haut,
Ceci est ainsi
Que ce n'est çà
Ni ci.
Cette lumière, cette clarté
Cette ténèbre complète,
Cet innommé,
Cet ignoré,
Libre du début et aussi
De la fin.
Cela paisiblement se tient désolé, sans vêtement.
Qui sait sa demeure?
Qu'il en sorte !
Et nous dise quelle est sa forme.
Deviens comme un enfant,
Deviens sourd deviens aveugle !
Tout ton être doit devenir néant,
Passe au-dessus de tout être, tout néant !
Laisse l'état laisse le temps,
Et aussi les images !
Allant sans voie
Par le sentier étroit,
Ainsi arrives-tu
À la trace du
Désert
Ô mon âme,
Va dehors ! Dieu, dedans !
Sombre tout mon être
Dans le néant divin
Sombre en ce fleuve sans fond !
Que je te fuis,
Tu viens à moi
Que je me perde
Alors, je Te trouve,
Ô Bien suressentiel !
Poème de Maître Eckhart - Granum Sinapis
Le «Granum Sinapis» (Grain de Sénevé) est un témoignage de la connaissance intuitive propre au mystique.
Ce poème, né dans la vallée du Rhin au quatorzième siècle, est sans doute l’unique poème de Maître Eckhart.
Rédigé en Haut-Allemand, l’auteur a ainsi confié à la langue commune ( alors que le commentaire est en latin ) le soin de véhiculer jusqu’à nous ce joyau.
Dante, à pareille époque, fit de même en choisissant l’italien pour confier au « plus ordinaire » le soin d’accueillir, préserver, voiler et transmettre les traces du « plus Haut »!
Dans le commencement
(cela passe le sens)
là jaillit le Verbe
trésor inépuisable
aurore de l’aurore !
Ô le cœur d’un tel Père
qui de sa propre joie
tire le flot du Verbe
mais Le garde en son sein
ce Verbe ! ô vérité !
Des deux se noue un fleuve,
où coule amour et feu
formant le lien des deux
le bien connu des deux :
le flux du doux Esprit
à leur même mesure
et que rien ne sépare.
Car les Trois ne font qu’un.
Quoi le saurais-tu ? Non.
Lui seul sait ce qu’Il est.
Mais de ces trois la boucle
insondable et terrible
naît de leur propre ronde,
le sens ne peut saisir
l’abîme ici sans fond.
Avoue : « Echec et mat ! »
Sans lieu ni temps ni forme
cet anneau merveilleux
est un jaillissement
en son point - immobile -
Ce point est la montagne
à gravir sans agir,
comprenne qui pourra !
La voie te conduit
au Désert admirable
qui au large et au loin
déployé sans limite
hors du lieu - hors du temps -
se suscite en Lui-même
parfait de Son seul Être.
Désert Tu es le Bien
par aucun pied foulé
jamais le sens créé
ne saurait y aller :
c’Est (personne ne sait)
c’Est ici et c’Est là
c’Est loin et c’Est bien près
c’Est profond et c’Est haut
et si c’Est donc ainsi
ce n’Est ni ça ni ci.
C’Est lumière et clarté
c’Est aussi la ténèbre
l’innomé - l’inconnu -
libéré du début
qui échappe à la fin,
c’est en paix qu’Il se tient
vêtu de nudité.
Qui connaît Sa maison ?
Ah ! Qu’il en sorte enfin
et nous dise Sa Forme.
Deviens comme un enfant,
rends - toi sourd et aveugle !
Car ton être lui-même
doit devenir le rien,
dépasse être ou néant !
Délaisse lieu et temps
et quitte les images !
Trouve au sentier étroit
(sans le vouloir chemin)
l’empreinte du Désert.
Eloigne - toi mon âme
puisque Dieu est dedans !
Que sombre tout mon être
en ce Dieu de non-être,
dans Son fleuve sans fond !
Alors - si je Te fuis -
c’est Toi qui viens à moi.
Si je deviens ma perte
c’est Toi seul que je trouve,
Toi le Bien sans mesure !
Traduction : Antoine de Vial
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