Questions à Marion Muller-Colard, écrivain et théologienne protestante, qui a publié le livre Le complexe d'Elie
Lorsqu’un prophète biblique et le maire d’une moyenne commune interpellent une théologienne dans ses choix de vie, cela donne un livre qui incite à ne pas laisser le politique aux professionnels.
En quoi la rencontre avec celui que vous appelez Jo a-t-elle modifié votre regard sur la politique ?
Jo Spiegel est venu me chercher précisément à l’endroit de ma lassitude. J’entendais parler de lui, un « homme politique » dont on me disait essentiellement du bien, et tous mes marqueurs de méfiance et de cynisme étaient en alerte.
J’ai accepté de le rencontrer pour une raison que je raconte dans le livre : lorsqu’il a pris l’initiative de notre premier contact, au téléphone, il a pleuré. Il était dans la fragilité, il cherchait ses mots. Il avait été touché par mon livre L’Autre Dieu. Il n’y avait pas de discours, mais de la chair, du souffle, de la subjectivité.
Je n’avais pas « un homme providentiel » de plus devant moi. J’avais juste un homme qui assumait son tâtonnement, son émotion, sa fragilité.
Et cela dessinait déjà une tout autre image de la politique. Plus un homme providentiel, mais chaque homme, chaque citoyen, porteur d’une part de providence.
Il faut mettre de la transcendance dans le politique, vous a dit Jo.
C’est lors de ce premier coup de fil qu’il m’a dit cette phrase énigmatique. À défaut de pouvoir dire avec fidélité ce qu’il entend par là, je peux dire ce que j’en retiens.
La transcendance, c’est la conscience de se savoir traversé par quelque chose d’autre que soi.
L’humilité de se savoir redevable – de savoir que je ne suis ce que je suis que parce que je suis « traversée ».
Par Dieu, et par les autres : leurs propres inspirations, leurs visions, leurs colères, leurs désirs. Je fais souvent cette prière à Dieu en lui demandant de me compléter.
La transcendance en politique, ce pourrait être d’adresser cette prière aux autres. Au lieu de « détenir » le pouvoir, le partager avec d’autres et leur dire : « Complétez-moi ».
Pourquoi avoir appelé votre livre Le Complexe d’Élie ?
C’est la parole d’Élie dans le désert qui m’a inspiré ce titre. Lorsqu’il désespère et dit : « C’en est trop ! Maintenant Éternel, prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères. » (1 Rois 19,4).
Je me suis dit : voilà bien le complexe de toute ma vie ! Ne plus rien oser entreprendre, car je ne sais pas comment m’y prendre. Mettre des enfants au monde dans l’angoisse que leur avenir soit pire que notre aujourd’hui, et ne pas savoir pour qui voter pour leur offrir un monde vivable… Alors, comme Élie, je me suis réfugiée dans une grotte. Avec mon mari, nous avons retapé une vieille grange de moyenne montagne, isolée dans une clairière, inaccessible en voiture. Par désir, mais aussi par défiance, par méfiance, par peur de l’avenir. C’est sur ce choix que je reviens.
Votre réflexion vous a-t-elle conduit à avoir un regard plus indulgent sur nos dirigeants politiques ?
Je ne suis pas une spécialiste de la vie politique. Ce que j’ai appris en côtoyant Jo, c’est que tout humain doit être à sa mesure un spécialiste de la vie politique.
Or, nos dirigeants ne nous encouragent pas à cette participation, à cette responsabilisation. Il ne s’agit pas d’être indulgent ou pas, il s’agirait déjà, basiquement, d’être en relation. Si Jésus lui-même vient m’encourager à me tenir debout, me mettre en marche, assumer de prendre ma part et de dire « je », comment prendre au sérieux un leader qui ne me parle que de ses décisions pour essayer de me convaincre qu’il fait bien son boulot ?
Ce que je comprends, c’est qu’un véritable homo politicus est celui qui fait émerger, en chaque citoyen, un autre homo politicus.
Nos dirigeants politiques font de la politique, et moi j’aimerais plutôt qu’ils fassent de moi une femme politique.
Quel lien faites-vous, au final, entre politique et spiritualité ?
Ce qui m’a fascinée dans nos échanges avec Jo, ce sont les analogies entre les maladies de la foi et les maladies de la vie politique.
J’entends, dans ma lecture de la Bible, un Dieu qui partage avec nous le pouvoir, qui nous en croit dignes, qui nous désire responsables et je nous vois préférer construire une Église qui invente des dogmes, des hiérarchies, des spécialistes...
Tout un système qui, comme sur la scène politique, permet à ceux qui jouissent du pouvoir de jouir tant qu’ils peuvent, et à ceux qui, comme moi, souffrent du complexe d’Élie de se défausser.
Il n’y a pas plus de spécialistes de Dieu que de spécialistes de la « fragilité des affaires humaines ». Ce sont de grandes affaires qui ne s’abordent qu’à plusieurs. Tous les plusieurs.
Jo dit que la démocratie n’est pas, elle naît. Elle est toujours à mettre au monde. J’ajoute que l’Évangile aussi, et c’est en cela que le christianisme ne peut pas être une religion.
La démocratie et l’Évangile ne peuvent vivre qu’en milieu ouvert.
C’est ce qui fait, à l’un comme à l’autre, leur fragilité. Mais c’est ce qui conditionne leur puissance et leur pertinence.
En démocratie comme en Évangile, il faut être toujours prêt à se laisser déranger et à se mettre à l’écoute d’autre chose que soi...
Propos recueillis par Antoine Nouis
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