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17 février 2017 5 17 /02 /février /2017 23:37
Johannes Vermeer (1632-1675), La femme à la balance, vers 1664, Widener Collection. Washington. National Gallery of Art

Johannes Vermeer (1632-1675), La femme à la balance, vers 1664, Widener Collection. Washington. National Gallery of Art

Le thème du peseur ou de la peseuse d’or est fréquent dans l’art flamand du XVIe siècle, puis dans la peinture hollandaise du siècle suivant. Il revêt ici des connotations particulières.

L’année même où Vermeer peignait ce tableau, un de ses confrères, Pieter de Hooch, actif à Delft lui aussi, peignait également une Peseuse d’or, de composition similaire, mais d’esprit très différent. La peseuse de De Hooch pèse son or. Celle de Vermeer ne pèse rien. Certes sa table est couverte de pièces et de colliers de perles dégorgeant d’un coffret. Mais les plateaux de la balance sont vides.

La femme, concentrée, immobile, attend patiemment qu’ils se stabilisent, trouvent leur parfait équilibre, et la magie de l’œuvre, en dehors du style pictural enchanteur du maître de Delft, tient à cette parfaite immobilité de la balance vide, à la qualité de ce geste suspendu dans la lumière, de ce visage serein dont le regard, caché au nôtre par les paupières baissées, se concentre sur ce point d’équilibre. Comme toujours chez Vermeer, on a le sentiment qu’il se passe quelque chose de plus grand que la chose représentée.

Ce quelque chose, c’est l’épanchement de la lumière naturelle, chose en soi merveilleuse, et vecteur de sublimation : d’être ainsi « focalisée », cette lumière, pourtant si familière, transcende l’image des êtres, des choses, et de l’action présente, les situe dans une dimension d’intemporalité qui est aussi celle de l’éternité ; l’accent métaphysique résonne en creux, comme un silence suspensif, dans cette peinture de la vie tranquille et ordonnée.

La balance du Jugement

Certains spécialistes pensent que cette Femme à la balance est en réalité une allégorie de la Vérité, en lien avec L’Iconologie de Cesare Ripa. Cet ouvrage, paru à Rome en 1593, publié en néerlandais en 1644, était une référence incontournable pour les artistes, car il présentait l’iconographie de toutes les figures allégoriques et autres emblèmes de la culture classique et chrétienne, tels que « les vertus, les vices, les sentiments et les passions humaines ».

Dans l’Iconologie, la Vérité est une femme de « noble apparence » et vêtue de blanc, tenant un miroir et une balance d’or. Ripa associait cette figure, entre autres, au retour du Christ à la fin des temps. Certaines gravures de l’époque montraient ainsi la Vérité, portant une balance, avec dans le fond le Jugement dernier.

C’est aussi le cas ici : derrière la femme est accroché un tableau du Jugement dernier. La figure du Christ en gloire reprend le schéma du fléau de la balance, et la femme se tient à la place où, dans tout Jugement dernier, se situe saint Michel pesant les âmes. La pesée renvoie donc bien ici à l’idée de jugement, et la présence du tableau sur le mur évoque les valeurs morales et spirituelles, que l’on doit préférer aux biens matériels représentés par l’or et les bijoux.

La teneur allégorique traverse l’image en filigrane. Le sens reste diffus dans la peinture, sans altérer sa qualité première, qui est la parfaite restitution d’un instant de la lumière et de l’existence humaine, volé à la fuite du temps. Sans doute l’éducation calviniste du peintre (pourtant converti au catholicisme, à l’occasion de son mariage) a-t-elle contribué à cette conception indirecte et allusive de l’allégorie, à l’opposé de l’allégorie latine, personnifiée.

Manuel Jover

La Croix

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