Après la lecture de ce conte le roi Shibî ne vous fera-t-il pas penser à quelqu'un? La conclusion s'adresse à tous les hommes qui offrent leur vie pour leurs frères.
La générosité du roi Shibî d’Ushinara était telle que sa réputation avait atteint les cieux. Les dieux en discutaient entre eux, se donnant mutuellement Skibî en exemple. Indra et Agni doutaient.
Un jour ils décidèrent de vérifier si cette renommée n'était pas usurpée. Agni se changea en pigeon, Indra prit la forme d'un faucon. Ils volèrent au-dessus des jardins du palais de Skibî.
Le roi était sous les orangers en fleur, assis près d'une fontaine. Le faucon dans le bleu du ciel fondit d'un trait sur le pigeon. L’oiseau traqué se réfugia sur le genou droit du monarque. Il haletait, tremblait d'effroi.
Le faucon se posa au bord de la fontaine.
- Roi, donne-moi ce pigeon, c’est ma proie, mon repas.
- Faucon, comment pourrais-je te remettre ce pigeon qui est venu prendre refuge auprès de moi ? Vois comme il a peur. Je ne peux trahir sa confiance. Il est impur de refuser sa protection, aussi impur que de tuer un brahmane ou une vache ! Celui qui abandonne le faible, le malade, le miséreux, sera lui-même abandonné quand il appellera à l'aide. Les grains qu'il sèmera ne germeront pas, les pluies n'arroseront pas son pays. Les dieux refuseront les libations sacrées qu'il versera au feu du sacrifice. Ses ancêtres seront bannis des mondes divins.
Le faucon s'irrita :
-Voilà ta générosité ? Tu protèges ce pigeon et me prives de nourriture ! Est-il au monde un être qui puisse subsister sans boire ni manger ? O roi, sans nourriture je vais mourir. Et quand je serai mort, mon épouse et mes petits périront. C’est ma chasse qui les nourrit. Ainsi, protégeant une vie, tu causes plusieurs morts. La vertu qui combat une autre vertu n'est que pure illusion. Seul importe le bien qui n'a pas d'opposé.
- Je protégerai ce pigeon, affirma le roi. Cependant, je ne souhaite pas ta mort, dis-moi ce que tu souhaites, à part ce pigeon-ci, et je te nourrirai.
- Si ce pigeon est tellement important pour toi, je ne veux aucun autre animal, rien qui soit prélevé sur ton royaume, je veux son poids de ta propre chair provenant de ce côté droit où le pigeon a pris refuge.
Le roi appela ses servantes, se fit porter une balance, puis, saisissant son poignard, il trancha dans sa cuisse une chair égale à la taille du pigeon qu'il voulait protéger. Il la pesa. Ce n'était pas assez. Le roi, sans hésitation, coupa encore de sa chair. Cependant, à chaque pesée, le pigeon s'alourdissait. Une larme surgit de l'œil gauche du roi et roula sur sa joue.
-Ah, ricana le faucon, je ne peux pas recevoir un cadeau offert à contrecœur !
- Pardonne-moi, dit le roi, je ne pleure pas le côté droit que j'ai donné. C'est le côté gauche qui se désole de ne rien pouvoir faire pour le pigeon.
- Que le côté gauche participe aussi, s'il le souhaite.
Le roi grimpa sur la balance, se tint debout sur le plateau. Aussitôt Agni et Indra reprirent leur forme divine.
Le corps du roi Shibî se retrouva intact.
- Sire, dirent les dieux, nous étions venus tester votre générosité, elle est éclatante. Vous vivrez longtemps pour le bonheur de ce royaume. Et quand l'heure sera venue, vous entrerez dans l'au-delà, avec ce corps déjà plus qu'humain puisqu'il a été offert par compassion.
Contes des sages de l’Inde
Seuil
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