C'est la plus grande enquête jamais réalisée sur le profil, les pratiques et les attentes des nouveaux chercheurs spirituels.
En dressant le profil type de ces personnes en quête de sens, le travail mené auprès de 6000 personnes par le Gerpse, de l'université de Strasbourg, ouvre des perspectives pour l'avenir du christianisme. Le sociologue Jean-François Barbier-Bouvet présente une synthèse de l’étude.
Il est clair que beaucoup de ces chercheurs ont quitté les rives de l’orthodoxie religieuse, de la même manière que nos contemporains se sont éloignés des grands modèles explicatifs uniques que sont les idéologies politiques constituées.
Ils peuvent associer plusieurs traditions, ou au sein d’une seule tradition n’en retenir qu’une partie. Non pas « ce qui les arrange », comme on le dit trop souvent, mais ce qui leur paraît essentiel, ce qui est tout à fait autre chose et implique un discernement (le mot ou la notion sont d’ailleurs souvent évoqués).
Les chercheurs spirituels distinguent clairement ce qui pour eux est au centre et ce qui est à la périphérie, ce qui relève du fondamental et ce qui relève de l’accessoire.
Cette démarche, qu’on peut qualifier de « recomposition spirituelle » et non de syncrétisme, se caractérise donc à la fois par une ouverture et par une convergence : même ceux qui ne puisent plus à une source unique sont fondamentalement à la recherche de ce qui fait unité.
Quitte à faire cohabiter des choses éloignées. Loin d’un monde spirituel où il faut être ou dedans ou dehors, ils peuvent être à la fois dedans et dehors ; loin d’un univers religieux où il faut être ou d’une appartenance ou d’une autre, ils peuvent être simultanément chrétiens et bouddhistes par exemple ; loin d’une représentation psychologique où les tempéraments s’excluent, ils peuvent être en même temps préoccupés de leur moi et soucieux de partager.
L’enquête fait apparaître que la grande majorité des chercheurs spirituels ne viennent pas de « nulle part », si on peut dire. Ils ont été élevés pour l’essentiel dans le christianisme.
Et les deux tiers d’entre eux se reconnaissent encore explicitement comme chrétiens.
Même ceux qui ont pris leurs distances avec les dogmes et qui ne se sentent plus tenus de suivre les rites.
Leur quête, en les faisant passer par la connaissance d’autres filiations spirituelles et par l’expérience d’autres formes de recherche personnelle, leur fait souvent réinvestir leur tradition d’origine, mais d’une manière qui leur est propre, enrichie et reformulée.
La présence des hommes peut certes varier selon les activités, entre 20 % (pratiques artistiques, pratiques corporelles et énergétiques) et 30 % (spiritualité taoïste, spiritualité soufie) mais elle reste toujours minoritaire.
La sur-représentation des femmes n’est pas propre à ces lieux. On la retrouve à l’œuvre dans deux univers à l’intersection desquels nous nous situons : le travail sur soi et le monde religieux.
De manière générale les pratiquants des disciplines corporelles (yoga, gymnastique douce, assise, etc.) et ceux qui suivent des parcours d’auto-investigation psychologique sont plus souvent des femmes.
Et toutes les enquêtes de sociologie religieuse font apparaître un décalage de même nature dans la sphère religieuse – en France essentiellement chrétienne – tant au niveau de la pratique rituelle (autour de 60 % de femmes et 40 % d’hommes) que des engagements pastoraux ou militants (autour de 70 % / 30%).
Il est probable que les tendances de ces deux espaces sociaux, la sphère du travail sur soi et la sphère du religieux, se cumulent et se renforcent ici.
L’âge moyen des chercheurs spirituels, du moins de ceux qui ont accompagné leur démarche spirituelle par une participation à des stages ou des sessions de développement personnel et spirituel, est relativement élevé : 55 ans.
Au total, les jeunes générations, comme les plus âgées, sont assez peu présentes : une personne sur 10 seulement (11 %) a moins de 40 ans, et une personne sur 10 (9%) a plus de 70 ans.
Le niveau de diplôme du public des chercheurs spirituels est impressionnant : 84% ont poursuivi des études au delà du baccalauréat.
Et parmi eux, ceux qui ont fait des études supérieures longues sont particulièrement bien représentés.
Les membres des classes supérieures sont proportionnellement deux fois plus nombreux que la moyenne (29,4 % contre 14,0 %) et ceux des classes moyennes le sont près de deux fois et demi plus (47,3 % contre 20,3 %), tandis que les membres des classes populaires - employés et ouvriers - sont près de six fois moins nombreux (8,2% contre 47,3 %).
Particularité de ce public : la surreprésentation d’un secteur particulier : les professions de santé, corporelle, mentale et psychologique (médecins, infirmières, psy, thérapeutes divers) : 19,4 %, soit une personne sur cinq.
Pour caractériser cette double distribution de notre public, selon le diplôme et selon la catégorie socio-professionnelle, on pourrait dire que le travail sur soi et la poursuite de son chemin d’intériorité, quand ils empruntent les voies de la recherche personnelle et spirituelle et trouvent à s’exercer dans un cadre collectif encadré, recrutent plus particulièrement dans les classes moyennes sur-diplômées.
On peut distinguer quatre grands types de démarches de cheminement intérieur :
spirituelle,
religieuse,
thérapeutique
et de développement personnel.
En tête vient la démarche de développement personnel.
Elle est revendiquée par la majorité (74 %), mais avec une intensité relative où les réponses « tout à fait » (43 %) sont supérieures aux réponses « assez » (31 %).
En seconde position la démarche thérapeutique est évoquée par un peu moins de la moitié des personnes interrogées (47 %, dont 22 % « tout à fait »).
En dernier, loin derrière, on trouve la démarche explicitement qualifiée de religieuse : 30 % seulement des personnes interrogées assument cette dimension, pour moitié « tout à fait » et pour moitié « assez ».
Certes les catholiques sont plus nombreux que tous les autres à se représenter Dieu comme un être ou une personne (29 % contre 17 % en moyenne, soit près du double), mais cette conception reste minoritaire, du moins comme conception « principale » puisque telle était la formulation de la question.
En revanche la majorité d’entre eux parlent de Dieu en termes de présence intérieure.
Les mots définissant Dieu :
Le terme le plus fréquemment utilisé est l’Amour.
Deuxième terme souvent invoqué est Vie.
Troisième association, par ordre de fréquence : le Tout.
Le mot Conscience apparaît enfin relativement souvent
Fait remarquable : au sein du public des chercheurs spirituels, seule une toute petite minorité (2 %) répond clairement qu’il n’y a rien après la mort.
Il faut savoir que dans l’ensemble de la population française se chiffre s’élève de 40 à 55 % selon les enquêtes.
C’est là un des points de dissonance majeurs entre le public des chercheurs spirituels et le « grand public ». Et aussi un des points de ressemblance majeurs des chercheurs spirituels entre eux, quelle que soit la nature de leur quête.
L’idée centrale est celle de la continuité. Elle s’oppose à la conception dominante, dans nos sociétés, de la mort comme rupture, ou de la mort comme fin. Cette continuité de la vie s’effectue sous une autre forme, dans une autre dimension.
Les trois mots clés employés le plus souvent sont énergie, conscience et âme
Dieu est rarement nommé. Alors que les personnes interrogées parlent volontiers de retour et d’amour : Retour à « la Source », à « l’Unité », à « la Lumière », à « l’Origine », … Invocation d’ « un amour infini », « un océan d’amour », « Rien que de l’Amour » .
Au fond la croyance en une forme d’immortalité, si elle ne faiblit pas, change aujourd’hui de nature.
Elle renvoie de moins en moins à un corps de doctrine précis ou conceptualisé. La fonction de jugement par exemple est devenue secondaire.
La conviction qu’il existe quelque chose après la mort exprime peut-être aujourd’hui un désir de survie plus qu’un désir de salut : éviter que la mort soit mortelle…
Cette attitude, que l’on retrouve aussi dans une partie de la population, semble d’autant plus vraie pour ces chercheurs spirituels qu’ils s’appuient non seulement sur des croyances, mais sur leurs expériences, parmi lesquelles celle de l’amour, abondamment citée.
Deux tiers des chercheurs spirituels se disent chrétiens, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont catholiques pratiquants, mais qu’ils reconnaissent et assument leur filiation chrétienne.
8 % se disent bouddhistes (alors que cette « religion » est presque inexistante en France).
Et 80 % disent s’y intéresser, ce qui est considérable.
Les doubles références ne sont pas incompatibles.
Certains se définissent comme « âme bouddhiste et cœur chrétien », « catho ascendant bouddhiste », « cathos (racines) avec branches bouddhistes », « née catholique, pratique bouddhiste ».
Un certain nombre introduisent leur propre définition de la religion, faute de se retrouver dans celles qu’on leur propose : « Ma religion, c’est l’amour » ; « La religion du cœur » ; « Je suis de toutes les religions » ; « La foi en la vie »…
La moitié sont pratiquants (ils assistent au moins une fois par mois à la messe), ce qui est considérable, mais cependant deux sur dix ne vont à l’église que pour les grandes fêtes et trois sur dix n’y mettent jamais les pieds.
Ils font l’économie des lieux de culte et des rites institués. Ou ils y introduisent leur rythme propre, qui ne recoupe pas forcément celui du calendrier rituel ou cérémonial de l’« offre religieuse ».
Exercices spirituels, retraites, prière, lecture des Écritures, les activités liées à la spiritualité chrétienne arrivent très haut, à la quatrième position du classement des activités suivies (46 %) : ce score n’est pas surprenant.
Nos chercheurs creusent leur chemin spirituel dans le contexte familier d’une société de culture chrétienne. Derrière, on trouve le bouddhisme (30 %).
Plus surprenante est la place du chamanisme. L’intérêt pour cette forme singulière de rapport spirituel au monde et à la vie, très loin des traditions occidentales et de la modernité technique dominante, est relativement récent,
Comment l’expliquer ? L’anthropologue Bertrand Hell répond : « Dans la possession et le chamanisme prévaut… une conception totale de l’homme, où il n’est pas qu’un intellect, il a aussi un corps, des émotions puissantes…
Les lieux de culte officiels se vident et là où le sacré sauvage permet une communion des consciences, on s’aperçoit que les gens affluent… »
La spiritualité est ce que n’est pas, ou n’est plus, ou n’est pas assez, la religion, bref son contre-type inversé
La spiritualité contre la religion
La religion se voit associée à un certain nombre d’attributs négatifs, dont la spiritualité serait le positif inversé.
La religion comme division, la spiritualité comme unité
La religion comme fermeture, la spiritualité comme ouverture
La religion comme institution, la spiritualité comme aspiration
La religion comme contrainte, la spiritualité comme épanouissement personnel
La religion comme forme primitive, la spiritualité comme forme aboutie
Enfin, par un retournement paradoxal, le mot relier, pourtant source étymologique du mot religion, est attribué par certains à la spiritualité et dénié à la religion (croyance)
La spiritualité comme dépassement de la religion
La religion comme matrice, comme étape pour progresser vers la spiritualité
La religion comme moyen, comme prix à payer pour accéder au spirituel considéré comme fin
Enfin le thème de l’unité du spirituel et de la convergence des religions est souvent invoqué
La spiritualité en soi
La spiritualité est un chemin. Elle ne se définit pas par un but mais par sa progression même.
La spiritualité est une construction personnelle propre à chacun
La spiritualité passe par une connaissance profonde de soi, condition d’une libération personnelle
La quête spirituelle se passe d’intermédiaires entre soi et le divin ou la transcendance (une Église, un maître, une communauté). Elle est fondée sur l’expérience personnelle subjective, l’expérimentation intérieure qui permet l’accès direct au sacré. Il ne s’agit plus de « croire » parce qu’une religion l’enseigne, mais de croire parce qu’on l’a senti ou éprouvé dans son être personnel
Enfin la spiritualité est ce qui relie au monde, à l’univers, au grand tout
L’ensemble de ces représentations s’inscrit dans le mouvement général de désinstitutionalisation du sentiment religieux - et non pas de sortie du religieux - qui traverse notre société.
Le classement de la présence d’une communauté en dernière position de la liste des conditions propices à la démarche spirituelle interroge.
La sécularisation du religieux - qui en fait une affaire personnelle qui ne doit pas empiéter sur la vie sociale -, est progressivement devenue la norme.
Elle se double d’une privatisation du spirituel. Elle consiste à chercher sa voie sinon seul, du moins sans investir nécessairement sur l’appartenance à une communauté spirituelle particulière, fut-elle constituée sur les mêmes bases affinitaires que sa propre démarche.
Ou alors une communauté de circonstance, provisoire (par exemple à l’occasion d’une session) mais pas permanente.
L’individualisation contemporaine est à l’œuvre ici comme dans d’autres domaines, nous l’avons déjà évoquée.
Elle n’est pas absence des autres, mais les rend optionnels si on peut dire : chacun sa voie, chacun son histoire.
sont, par ordre décroissant:
- Eckhart Tolle (essentiellement : « Le pouvoir du moment présent »), loin devant tous les autres.
- Thich Nhat Hanh (« Il n’y a ni mort, ni peur », « Conversations intimes avec le Bouddha », « Le miracle de la pleine conscience », etc.)
- Arnaud Desjardins (« A la recherche du soi », « Les chemins de la sagesse », « La voie du cœur », « Pour une vie réussie », etc.)
- Annick de Souzenelle (« Le symbolisme du corps humain »)
- Matthieu Ricard (« Chemins spirituels », « L’art de la méditation », « Plaidoyer pour le bonheur », etc.)
- Frédéric Lenoir (« L’âme du monde », « La guérison du monde », « Petit traité de la vie intérieure », etc.)
- Krishnamurti (« Se libérer du connu », « Le sens du bonheur », etc.)
- Jean-Yves Leloup (ses commentaires des Evangiles en particulier)
- Dalai Lama (« L’art du bonheur », « L’harmonie intérieure », « Comment pratiquer klle bouddhisme », « Transformer son esprit », etc.)
- Lytta Basset (« Aimer sans dévorer », « Au delà du pardon », « La joie imprenable », etc.)
- Karlfried Graf Durckheim (« Le centre de l’être », « Pratique de la voie intérieure », etc.)
- Christiane Singer (« Derniers fragments d’un long voyage », « Où cours-tu, ne sais-tu pas que le ciel est en toi », etc.)
A quoi s’ajoutent deux livres phare, cités par leur titre mais presque toujours sans nom d’auteur tellement la mémoire s’est accrochée à ce qui est devenu une expression familière pour leurs lecteurs : « Dialogues avec l’ange » (Gitta Mallasz, qui dit avoir recueilli une parole dont elle n’est pas l’auteur) et « La petite voix » (365 méditations quotidiennes d’Eileen Caddy).
Le christianisme, qui est la culture d’origine de notre société et dont se recommandent peu ou prou encore les deux tiers des personnes interrogées est évidemment particulièrement bien placé : 42 % des chercheurs spirituels s’y intéressent beaucoup et 30 % assez, soit au total 72 %.
Beaucoup plus paradoxal est le score du bouddhisme, qui n’est d’ailleurs pas à proprement parler une religion. On pouvait s’attendre à le trouver à un niveau élevé, mais pas en tête.
Parmi les autres traditions religieuses ou spirituelles que l’on pourrait elles aussi qualifier de « lointaines » on découvre que celle qui suscite le plus d’attention est le chamanisme (49 %).
On peut faire l’hypothèse que cet intérêt pour le chamanisme tient à la conjonction de deux aspirations : d’une part l’aspiration écologique, qui veut donner sa place à la nature, la laisser parler, l’écouter ; d’autre part la recherche de la signification symbolique des choses, des faits des événements, signification qui a été occultée par leur réduction contemporaine au seul plan de la rationalité.
Qui sont les nouveaux chercheurs spirituels ? - Spiritualité - La Vie
L'enquête sur les chercheurs spirituels (à lire en intégralité sur le site du Gerpse) contredit bien des clichés. On entend ainsi souvent parler d'égocentrisme, voire de nombrilisme pour qual...
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