Malo Tresca
Quelle est la genèse de cette règle ?
C’est, chronologiquement, la première règle monastique d’Occident. Converti tardivement au catholicisme, dans sa 32e année, saint Augustin (354-430), l’un des quatre Pères de l’Église occidentale, aurait principalement commencé à la rédiger alors qu’il venait d’être nommé évêque de la ville d’Hippone, au nord est de l’actuelle Algérie, en 395. La genèse de sa règle reste encore difficilement retraçable, mais elle puiserait aussi ses origines dans d’autres écrits augustiniens, dont notamment une authentique lettre datée de 423, adressée à des jeunes filles et des veuves chrétiennes de la région.
« Son attribution historique au philosophe chrétien, qui a pu être discutée par le passé, est aujourd’hui tranchée et fait autorité en la matière », confirme le père François-Marie Humann, abbé de Mondaye et auteur de l’ouvrage Règle de saint Augustin, texte intégral et commentaire (1).
Sans appeler explicitement à la fondation d’un nouvel ordre monastique, la règle augustinienne entend alors prodiguer des conseils pour guider la vie religieuse de communautés d’hommes et de femmes pieux de l’époque.
Quelles sont ses caractéristiques ?
Nette et précise, la règle de saint Augustin, qui se décline en huit chapitres, est très pratique.
En prônant un modèle de vie inspiré de celui de la première communauté chrétienne de Jérusalem telle qu’elle est décrite dans le livre des Actes des Apôtres (4, 32), elle insiste sur la charité fraternelle, qui se concrétise principalement au quotidien par la pauvreté personnelle et par la mise en commun des biens, pour parvenir à l’unité communautaire : « Avant tout, Vivez unanimes à la maison, Ayez une seule âme et un seul cœur tournés vers Dieu. N’est-ce pas la raison même de votre rassemblement ? Et puis, qu’on n’entende pas parler parmi vous de biens matériels, mais qu’au contraire tout vous soit commun » (Règle, chapitre I, 2-3).
Cet idéal de désappropriation, qui s’accompagne d’un partage des compétences et des talents de chaque membre de la communauté – tout en acceptant ses différences ou ses infirmités –, ne prône cependant pas une égalité absolue : « Votre frère prieur doit distribuer à chacun de vous de quoi se nourrir et se couvrir, non pas selon un principe égalitaire, puisque vos santés sont inégales, mais plutôt à chacun selon ses besoins » (Règle, chapitre I, 3).
Rappel de l’importance de l’assiduité aux offices quotidiens (chapitre II), du jeûne alimentaire (chapitre III), de la chasteté dans la vie consacrée – « Soyez les uns pour les autres les gardiens de la pureté » – (chapitre IV), de la concorde et de la convivialité au sein de la communauté – « N’ayez pas de disputes, ou du moins, venez-en à bout le plus tôt possible » – (chapitre VI)…
De chapitre en chapitre, le souci « pragmatique » de la règle l’emporte sur les grandes considérations théologiques. « Elle constitue ainsi une sorte d’itinéraire spirituel ; elle part des choses les plus matérielles, les plus concrètes du quotidien pour tendre vers un même but : l’unité communautaire dans le désir d’accomplir, ensemble, la volonté de Dieu », résume le père Humann.
Qui la suit aujourd’hui ?
« La lucidité de la pensée (augustinienne), sa pertinence, la profondeur de sa vie spirituelle continuent d’attirer largement et offrent une réponse convaincante aux besoins spirituels, de façon renouvelée, des institutions aujourd’hui encore naissantes », expliquait en 2016 le père Jean-François Petit, augustin de l’Assomption, et professeur de philosophie à l’Institut catholique de Paris (ICP), lors d’une rencontre de l’Académie catholique du Val-de-Seine. « Elle est aujourd’hui suivie par plus de 50 000 religieux et religieuses, dans plus de 130 instituts de vie consacrée, organisés dans des communautés », estimait encore le spécialiste (2).
La règle de saint Augustin a connu un fort regain d’intérêt à partir du XIe siècle, alors que les chanoines réguliers des temps féodaux commençaient à l’adopter.
Depuis, des dominicains aux trinitaires, des mercédaires aux assomptionnistes – ou augustins de l’Assomption –, des servites aux camilliens, elle est restée le document de référence de nombreux ordres et congrégations.
Et parmi ces derniers, tous, ou presque, ont leur pendant féminin. Il existe ainsi plusieurs communautés de chanoinesses de Saint-Augustin, dont beaucoup ont été regroupées en une fédération (dite « de Malestroit »).
Quant à l’appellation d’augustines, elle est généralement réservée aux religieuses hospitalières, desservant les hôtels-Dieu ; en France, elles officieraient actuellement dans une vingtaine de communautés diocésaines.
En quoi cette règle monastique peut-elle aussi guider des laïcs ?
Dans la mesure où cette règle, très accessible, décrit comment vivre ensemble dans une communauté, son propos peut aussi « intéresser et inspirer tout chrétien laïc – voire un lecteur non religieux – dans l’apprentissage de la vie commune, qu’elle soit à l’échelle conjugale, familiale, dans les relations au sein d’une paroisse, d’un diocèse, d’une association ou même dans le monde professionnel », affirme le père Humann.
Concrètement, la méditation augustinienne promeut l’abnégation, incitant aussi les fidèles à la persévérance dans la charité. « En prônant la mise en commun des biens et leur redistribution selon les besoins de chacun, elle soulève la question d’une différence qui n’est pas nécessairement synonyme d’injustice : pourquoi jalouser le bien d’un autre, dès lors que l’on a ce qu’il nous faut ? », ajoute le spécialiste, précisant que « ce principe gagnerait à être davantage observé, dans une société parfois égalitariste à outrance ».
(1) Salvator, 154 p., 13,90 €. (2) Il est notamment l’auteur de Saint Augustin notre contemporain. Lectures du XXe siècle, Éd. Bayard, 418 p., 24,90 €.
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