Chers Amis,
La maturité spirituelle ne veut pas dire devenir parfait au sens où nous comprenons habituellement ce mot, mais plutôt devenir entier, entièrement soi-même et entièrement là ici et maintenant. Tendre vers la « perfection » au cœur même de l'imperfection, nous pourrions dire de la « distraction ». !
Il y a une intensité de présence qui est juste ; elle est ce qu'elle doit être pour que la vie « résonne » en nous dans ce qu'elle a de plus parfait ici et maintenant. Sen-Tsang maître zen, enseigne que la perfection ne commence à poindre que lorsque nous sommes sans inquiétude à propos de notre manque de perfection. Sans la compréhension d'une possible perfection au cœur de la vie ordinaire, la spiritualité peut nous décourager. En fait, est « parfait » celui qui est un avec ce qui est...
« Être soi-même maintenant intégralement là. » Karlfried Graf Dürckheim
La vraie pratique est la patience dans l'exercice du « oui » à l'instant présent : ne plus vouloir que quelque chose de spécial ou d'inusité arrive. Dès que je me surprends à m'efforcer et à avoir des attentes, je sais que je me suis écarté de la « grande perfection ». Tout est fondamentalement incertain et changeant.... « Tout passe. » comme dit sainte Thérèse d'Avila.
Invitons donc notre cœur à s'asseoir dans un endroit calme et laissons-le expérimenter le plus tranquillement possible les inévitables allées et venues des émotions et des événements, des luttes et des succès du monde. Au milieu de tout cela, demeurer dans la paix du cœur profond, c'est répondre à notre vocation : devenir artisan de paix.
Cela implique de s'éveiller aux émotions, ce qui signifie les ressentir, ni plus ni moins. Le reste va suivre...Il s'agit de cultiver une présence calme et non pas de changer « héroïquement » notre « climat » intérieur : Je suis le témoin silencieux qui observe le contenu de ma vie à l'instant. Ce contenu n'est pas mon identité, il est en moi, mais il n'est pas moi. Je peux observer une personnalité et un tempérament, un moi conditionné et limité mais en même temps au cœur de ce constat pressentir une dimension qui englobe et transcende ce contenu.
De ce que nous observons de nous-même émerge une dimension non conditionnée que dans le christianisme on appelle l'esprit (pneuma). N'essayons pas de devenir parfait mais laissons la perfection se faire en nous... Le chemin spirituel est un chemin de guérison et cette guérison est une réunification de notre nature essentielle et de notre moi existentiel car la division règne dans notre cœur depuis que nous nous sommes coupés de notre source intérieure par l'émergence de la conscience conceptuelle. Cette conscience est nécessaire certes mais ne doit pas régner en dictateur sur notre vie.
Re-nourrir le lien avec la Source guérit notre nature. Elle ne change pas fondamentalement cette nature mais la transfigure, la rend « parfaite ». Nous n'avons pas à devenir quelqu'un d'autre. Attention aux identifications et aux projections ! Nous blindons souvent notre cœur (cœur de pierre), et le défendons contre le monde, mais aussi contre nous-mêmes.
Le cœur qui s'éveille devient doux et humble, c'est à dire sans défense. Il autorise toutes les douleurs et les beautés de la vie. « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » dit le Christ. C'est ce cœur ouvert et tendre qui a la capacité de transformer le monde.
Pleurer avec ceux qui pleurent et se réjouir avec ceux qui se réjouissent... Les temples bouddhistes asiatiques sont pleins de représentations de Bouddhas sereins mais aussi de Bouddhas qui pleurent et de Bodhisattvas courroucés représentés avec des épées de feu... On se souvient de Jésus pleurant sur Jérusalem et chassant les marchands du Temple après avoir fait un fouet avec des cordes !
Le Christ dit aussi : « mon âme est triste », Il ne s'identifie pas à cette émotion qui habite son âme et qu'Il ressent dans son corps. Le composé psychosomatique est l'espace où se déploie nos émotions, et quelquefois « ça pique, ça mord, ça déchire ! »
Alors, dans ces moment-là et dans chaque moment de vague émotionnelle, quel que soit le climat et l'intensité de ces vagues, au lieu de juger et de nous juger, nous « laissons reposer ce cœur fatigué » ; retrouvons notre centre, notre axe et notre souffle.
Dans cette libération du cœur et dans l'ouverture qui en résulte l'action juste devient possible. Lorsque les émotions sont libres d'être ce qu'elles sont, lorsque le cœur peut s'exprimer tranquillement sans se préoccuper de l'opinion des autres, alors cette liberté s'étend à tous les aspects de nous-mêmes.
Un maître zen appelle le point culminant ou le fruit de l'entrainement zen : « Être fidèle à soi-même et à la Vie. » Si nous pensons que « spirituel » signifie être calme et sans agitation, nous risquons fort de nous exercer à devenir un splendide « tartuffe » ....
La tentation est quelquefois grande de se fuir et de s'identifier à un rôle ou à une fonction qui nous sécurise et nous procure une certaine tranquillité. Aller vers l'inconnu de soi-même est un chemin rempli de souffrances de déceptions et de chutes pour notre égo dont le seul souci est de s'assurer une vie sans frottements.
Au lieu de chercher d'abord le royaume des cieux et sa justice, on préfère chercher d'abord son confort ! Toutes les émotions qui nous traversent à chaque instant demandent toute notre attention bienveillante. La sagesse émotionnelle du cœur est simple : accepter nos émotions humaines pour libérer notre énergie qui est dilapidée et comme absorbée par ces trous noirs de notre psychisme quand nous ne sommes plus conscients de ce qui se joue en nous.
Dans la présence à ce qui est, une remarquable transformation peut s'opérer en nous : La tendresse et la sagesse s'élèvent naturellement. Donner de l'espace à nos dépendances et à nos besoins profonds révèle une plénitude cachée.
Le bonheur et l'amour commencent à se déployer en nous et la peur « de ne pas être à la hauteur » des défis de notre vie disparaît. Une qualité de profondeur envahit notre être tout entier, et de cette profondeur jaillit une eau vive qui nous abreuve et qui en même temps creuse notre soif.
La Lettre de Béthanie N° 152
Père Francis
Une version vidéo en anglais de ce texte
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