J’aimerais vous entretenir d’une femme d’exception qui a écrit un livre unique au titre terrassant de beauté : Le Miroir des simples âmes anéanties…
Elle fait partie des grandes mystiques de l’Histoire mais ce n’est pas à ce titre qu’elle m’a touchée.
Il y a d’abord eu ce titre, Le Miroir des simples âmes anéanties, puis des coïncidences : l’héroïne de mon prochain roman publié s’appelle Marguerite, et Porète est si proche de poète.
Mais quand je l’ai découverte, j’ai compris que c’était quelqu’un d’extraordinaire, une de ces personnes qu’il faut sortir du cercle confidentiel dans lequel elles sont maintenues.
Elle nous vient du Moyen Age et on ne sait quasiment rien d’elle sinon que c’était une béguine des Flandres, mais son livre a traversé les siècles comme une onde de choc dont beaucoup de mystiques s’imprègnent encore.
Marguerite Porète était la reine de la transgression.
Elle décrit son approche de Dieu et son expérience mystique dans ce livre incandescent, étonnant mélange de poésie lyrique et de subtilité théologique, elle qui n’est pas religieuse et qui n’appartient pas au monde universitaire, pire : elle l’écrit en langue vernaculaire et non en latin !
Autant dire qu’elle accumule toutes les preuves d’indépendance d’esprit. Elle n’a pas utilisé le latin obligatoire pour tout texte religieux et elle écrit en langue d’oïl de manière à toucher le peuple. C’est une réussite car le succès est immense dès la parution du Miroir.
De plus Marguerite est une femme qui n’a pas prononcé de vœux religieux et qui appartient à une communauté s’autorisant à penser par elle-même. Marguerite dérange et elle le sait. Sa façon de vivre en marge de l’ordre féodal chez les béguines, d’écrire un livre qui ose, c’est multiplier les affronts à l’ordre établi.
Le scandale est à la mesure du succès et dès la parution du Miroir, aux alentours de 1290, les ennuis commencent. Le livre est très vite condamné pour hérésie en 1300 puis brûlé sur la place de Valenciennes en 1306 sur ordre de l’évêque de Cambrai. Marguerite refuse de retirer son livre et continue de le laisser diffuser.
Elle a peut-être le sentiment que son texte répond à un besoin, que la spiritualité vivante ne se transmet pas en latin :
He ! Ame lassee, come tu yes encombree !
Marguerite, elle, a fait le vide. Brûlée par l’amour divin, son âme transformée par l’expérience mystique comme l’œuvre au noir transforme le plomb en or, elle n’est plus dans le temporel, portée par son âme anéantie elle ne peut accepter de compromis.
Dieu m’a créée comme du non être qui a l’air d’exister, afin qu’en renonçant par amour à cette existence apparente, la plénitude de l’être m’anéantisse.
On ne sait pas très bien quelles sont les propositions de son livre qui ont été condamnées par le tribunal de l’Inquisition, car très peu nous sont parvenues.
Par contre on sait que sa doctrine elle-même n’était pas mise en cause et que rien ne justifiait de la brûler en place de Grève le lundi de Pentecôte premier juin 1310.
En ce temps-là on avait, il est vrai, le bûcher facile : trois semaines avant Marguerite les Parisiens avaient assisté à l’autodafé de 53 templiers condamnés après leur procès.
Marguerite dérangeait : trop de force, d’intelligence, de lyrisme, une femme ne doit pas être comme cela, c’est péché d’orgueil.
Condamnée par l’Inquisition Marguerite meurt sur le bûcher, mais son courage et sa sérénité impressionnent la foule, un compte-rendu de l’événement a traversé les siècles.
Comme les Hindous l’ont vu, la grande difficulté pour chercher Dieu, c’est que nous le portons au centre de nous-mêmes.
Comment aller vers moi ? Chaque pas que je fais me mène hors de moi.
C’est pourquoi on ne peut pas chercher Dieu. Le seul procédé, c’est de sortir hors de soi et de se contempler du dehors.
Alors, du dehors, on voit au centre de soi Dieu tel qu’il est.
Sortir de soi, c’est la renonciation totale à être quelqu’un, le consentement complet à être seulement quelque chose.
Stupéfiant, non ? Je vous rappelle que ce texte a plus de sept cents ans.
L’ouvrage de Marguerite fut pourchassé, ses exemplaires traqués, brûlés, mais il continua sa vie souterraine.
En Angleterre, en Allemagne et en Italie l’ouvrage fut recopié dans des monastères de Chartreux et de Bénédictins qui reconnaissaient sa valeur mystique.
En France ce livre écrit pour les laïcs chemina par les laïcs, raison sans doute pour laquelle on ne trouve pas de traces écrites du Miroir des âmes simples et anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir d’amour, titre complet de l’ouvrage, avant le XVIème siècle.
Plus près de nous la philosophe Simone Weil avait lu une version abrégée du Miroir des simples âmes anéanties à Londres, et cela éveilla une telle résonance en elle que c’est le texte qu’elle lut encore la veille de sa mort, le 22 août 1943.
Un compagnonnage sublime à travers les siècles de femmes ayant connu les mêmes exigences d’absolu.
Le Miroir des âmes simples et anéanties
traduit par M. Huot de Longchamp
Albin Michel « Spiritualités vivantes », 1984 ; 1997.
Marguerite Porète, mystique incandescente
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http://nicole-giroud.fr/marguerite-porete-mystique-incandescente-1629
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