La Bible hébraïque est une collection de livres généralement répartis en trois parties : la Torah (que les chrétiens connaissent sous le nom de Pentateuque, correspondant aux cinq premiers livres de l’Ancien Testament), les Prophètes et les Écrits. L’étude de ces textes occupe une place centrale dans le judaïsme. « Mais lire la Bible ne suffit pas : il faut l’interpréter », précise Gilbert Werndorfer, auteur d’un récent ouvrage de vulgarisation sur cette religion (1).
Pour Philippe Haddad, rabbin de la synagogue de la rue Copernic à Paris, l’exégèse juive nourrit trois visées différentes : « Tirer de la Bible un mode de vie, en tirer des rituels… et l’étude pour l’étude ! » Ce rabbin affirme en effet que l’étude d’une parole considérée comme ayant été inspirée par Dieu revêt une valeur en soi : « Avec les bonnes actions et la prière, l’étude de la Bible est l’une des trois principales manières de servir Dieu. »
Nul besoin d’être rabbin pour se risquer à des interprétations de la Torah. Hommes et femmes, jeunes et vieux, savants et ignorants, juifs et non-juifs peuvent étudier la Bible hébraïque, qui s’adresse à l’ensemble de l’humanité – contrairement à la Loi (« Halakha »), que seul le peuple d’Israël est tenu d’appliquer.
« Tant qu’elle reste dans la cohérence de la Bible, toute interprétation est légitime ! », insiste Philippe Haddad, membre du courant libéral du judaïsme français.
Quand on pense à l’exégèse juive, vient souvent à l’esprit l’image de ces « yeshivot », nombreuses en Israël, où seuls des hommes de plus de 13 ans étudient les textes sacrés du judaïsme, sous la direction d’un maître. Or dans ces centres, ce n’est pas tant la Torah qui est étudiée que le Talmud, compilation de commentaires rabbiniques sur la Bible.
Pour les sages juifs, à côté de la Torah écrite existe aussi une Torah orale, révélée par Dieu à Moïse puis transmise à travers les générations. Celle-ci a été mise par écrit vers 220 av. J.-C. à Tibériade : c’est la Mishna (« répétition » en hébreu).
Ensuite, jusqu’au VIIe siècle, elle fut enrichie de la Guemara (« complément » en araméen). La Mishna et la Guemara donneront naissance au Talmud (« étude »), compilé sur plusieurs siècles et en deux lieux principaux : la Galilée (Talmud dit « de Jérusalem », terminé au IVe siècle) et la Mésopotamie (Talmud dit « de Babylone », terminé au VIe siècle).
Mettant à mal le principe selon lequel la Bible, texte sacré, ne saurait être touchée, le Talmud constitue l’une des premières entreprises d’herméneutique moderne. Dialectique permanente, faisceau de discussions entre des sages ayant parfois des avis contradictoires, cette œuvre monumentale n’a rien d’un texte normatif qui donnerait une interprétation univoque de la Loi.
Issu de la racine drsh en hébreu (« examiner »), ce terme recouvre deux réalités différentes : l’une des plus libres des méthodes d’exégèse du judaïsme, et un ensemble de commentaires rabbiniques de la Bible, à distinguer du Talmud. Cette littérature s’étend depuis la chute du second Temple (en 70) jusqu’au XIVe siècle.
Au début du Moyen Âge, le midrash se divise en deux branches : le midrash halakha (qui scrute les versets des textes législatifs de la Torah, et a une portée plutôt juridique) et le midrash haggada (de portée plus morale, et dont le style est parfois qualifié « d’improvisation poétique »).
Car, au-delà de la législation, les rabbins s’attachent à forger l’âme du peuple juif et développent toute une littérature faite de maximes, de légendes et d’enjolivements du récit biblique : c’est la haggada (« récit »).
« Les sages ne considéraient pas seulement la Bible comme un récit de la Révélation divine dans le passé, mais comme un texte s’adressant aux hommes du temps présent avec leurs interrogations et leurs préoccupations », énonce le Dictionnaire encyclopédique du judaïsme (Cerf).
Autrement dit, si la Loi reste la Loi et que nul ne peut la changer, on peut la comprendre différemment selon l’époque à laquelle on vit.
Une telle appropriation du texte relève presque du devoir du croyant. « Tout ce que Dieu donne, dans la foi juive, n’est pas voué à être maintenu tel quel, mais travaillé, bonifié, rappelle le rabbin Philippe Haddad. Le texte biblique se doit d’être questionné, voire critiqué, à l’aune de la subjectivité et de la culture de chacun. »
Pour le philosophe Emmanuel Levinas, qui était aussi talmudiste, le sens profond du texte se trouve toujours « au-delà du verset », et l’on ne peut enfermer le texte dans une seule interprétation : c’est ce qu’il a appelé la « lecture infinie ».
« L’interprétation de la Torah ne peut être qu’insolente et impertinente, ce qui ne veut pas dire irrespectueuse », renchérit Gilbert Werndorfer, paraphrasant le Talmud. Cet « esprit » de l’exégèse juive a participé de la vitalité du judaïsme rabbinique autant que de ses divisions : celles-ci sont souvent nées de désaccords d’interprétation.
Au cours de l’histoire, et en particulier au Moyen Âge, le Talmud a fait l’objet de nombreuses condamnations de l’Église catholique, en raison de commentaires perçus comme blasphématoires sur Jésus et le christianisme.
Ainsi, en 1242, le premier procès du Talmud s’est conclu par la crémation de 24 charrettes remplies de manuscrits talmudiques sur la place de Grève, à Paris.
Mais de nos jours, « le principe de la possibilité d’un éclairage des textes évangéliques par les traditions rabbiniques n’est guère mis en doute », estime le père Michel Remaud (2).
Depuis la deuxième partie du XXe siècle, après la déclaration du concile Vatican II Nostra aetate sur les rapports entre l’Église catholique et les autres religions, le recours à des sources juives est de plus en plus fréquent pour l’exégèse et la théologie chrétiennes.
Mélinée Le Priol
Si vous souhaitez recevoir chaque jour un texte spirituel choisi par le diacre Marc abonnez-vous à son blog (et regardez votre dossier spam ou indésirable pour valider ensuite votre inscription envoyée par Feedburner) :