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25 novembre 2018 7 25 /11 /novembre /2018 23:55
Ange debout dans le soleil, de Joseph Mallord William Turner, 1846, huile sur toile, 78,7 x 78,7 cm, Londres, Tate Britain. Collection Dagli Orti/Tate Gallery Londres/Eileen Tweedy/Aurimages

Ange debout dans le soleil, de Joseph Mallord William Turner, 1846, huile sur toile, 78,7 x 78,7 cm, Londres, Tate Britain. Collection Dagli Orti/Tate Gallery Londres/Eileen Tweedy/Aurimages

Quand tout se dissout, la lumière demeure, première, divine, ultime.

La lumière tremble. La couleur jaune vibre de multiples nuances, ici plus pâles, là plus orangées, rouges, assombries. L’ange, avec son épée levée, vient de déclencher un tourbillon d’or et de sang.

Les oiseaux au zénith

L’aile immense dressée, l’ange appelle. Son épée et son bras gauche suscitent un maelstrom.

Les éléments lui obéissent comme à Moïse devant la mer Rouge ou à Dieu lors de la création du monde. Mais c’est pour récapituler l’histoire humaine et y mettre fin.

Pas de frontières entre le ciel, la mer et la terre. Pas de lignes nettes, mais des couleurs – celles des nuages, de la nature et du cosmos.

De son Angleterre natale en pleine ère industrielle, William Turner (1775-1851) les a regardées, explorées, captées tout au long de sa vie.

Il a 70 ans, il est célèbre et la mort s’approche. Il ne travaillera presque plus.

Aux critiques qui lui reprochent de peindre le rien, le néant, il réplique : « L’indéfinissable est mon fort. » 

Ce n’est pas néant que peindre la lumière et ses vibrations. Quand tout se dissout, quand le pessimisme guette, la lumière demeure, première, divine, ultime.

Bien sûr, en haut, à gauche, à droite, des oiseaux noirs arrivent à tire-d’aile. Le titre de l’œuvre est un renvoi explicite au livre de l’Apocalypse : « Alors je vis un ange debout dans le soleil. Il cria d’une voix forte à tous les oiseaux qui volaient au zénith : Venez, rassemblez-vous pour le grand festin de Dieu… »  (Apocalypse 19, 17).

Dans ce livre étrange et fantastique, les oiseaux dévorent les puissants qui se sont alliés aux forces du mal mais qui seront vaincus par un cavalier, image du Christ. Peu après, le soleil s’effacera devant la lumière de la gloire même de Dieu (Apocalypse 21,23).

Dernier soleil, premier matin

Turner s’est inspiré d’un de ses contemporains, artiste romantique, Francis Danby (1793-1861). Le tableau de Danby est crépusculaire. Ici, le soleil lance des feux rougeoyants. Mais il ne s’agit pas du soir.

Nous sommes au matin d’un monde nouveau. L’ancien monde disparaît.

Tout en bas, à la verticale de l’ange, on devine un serpent enchaîné, symbole du mal maîtrisé.

Autour, trois scènes concentrent l’histoire humaine qui s’éloigne.

À gauche, Caïn fuit devant le cadavre d’Abel pleuré par ses parents. Un squelette le poursuit.

À droite, la masse sombre est peut-être celle de Samson épuisé que Dalila va trahir.

Derrière, Judith a coupé la tête du tyran Holopherne et la donne à sa servante.

Caïn, Dalila, Holopherne sont trois visages du mal, trois acteurs de la mort : la jalousie, la trahison, le pouvoir.

Le sang versé tache l’or du soleil. Combien d’autres aujourd’hui sont leurs descendants ! Pour eux viennent les oiseaux – des vautours ?

Abel et Samson représentent les victimes. Quant à Judith, elle est sur terre ce que l’ange est dans le ciel : la force des faibles.

L’ange, debout dans le soleil, irradie. À la pointe du triangle que forment les trois scènes, il rend visible l’écoute, par Dieu, du cri et de la douleur des humains.

Avant d’appeler les oiseaux, avant de faire danser la lumière tissée de pourpre, il est le jugement. « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face » (La Rochefoucauld, Maximes, édition de 1678).

Turner n’est pas aveuglé par le soleil. Il nous dit de ne pas cligner des yeux devant la mort. Il faut les traverser pour entrer dans l’autre lumière, dense et vive.

Gérard Billon
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