« Comment être jeune et garder pur son chemin ? » interroge le psaume 119. La vie de Rafael Arnáiz Barón en est une illustration parfaite.
Ce jeune homme, issu de la haute bourgeoisie espagnole, dirige nos regards vers l’exigeante verticalité de nos vie chrétiennes, que, trop souvent, nous affadissons par nos compromissions.
« La liberté est dans le cœur de l’homme qui n’aime que Dieu. Elle est en l’homme dont l’âme n’est attachée ni à l’esprit ni à la matière, mais à Dieu seul. »
Dieu seul. Un mot d’ordre venu du Carmel, mais que le jeune trappiste mettra en pratique tout au long de sa courte vie, même quand la maladie lui interdira d’accomplir comme il le souhaitait sa vocation.
L’esthétique de la vie cistercienne lui va droit au cœur et sera déterminante dans son choix primordial ; mais le Seigneur le creusera au plus profond, le menant vers le détachement de toute chose pour s’attacher à Lui seul : « Ce qui se passe est très simple, et c’est que finalement Dieu m’aime beaucoup…
A la Trappe, j’étais heureux, je me considérais comme le plus heureux des mortels, j’avais réussi à me détacher des créatures et je ne cherchais que Dieu… Mais il me restait une chose : mon amour de la Trappe, et Jésus, qui est très égoïste et jaloux de l’amour de ses fils, a voulu que je me détache de mon monastère bien-aimé, même temporairement. »
Quelle montée vers Dieu dans cette âme si jeune ! Ses écrits reflètent cet unique soucis : plaire à Jésus et donc, combien cela nous semble dur, entrer toujours plus dans la solitude : « Ce qui nous approche de Jésus, c’est la solitude du cœur détaché de ce monde, de ses créatures et de notre propre volonté« .
Fulgurance de la sainteté qui saisit tout un être, Rafael finit par dire à sa propre mère : « Demande-Lui que je meure bientôt. Tu as toujours voulu mon bonheur, et mon bonheur est en Dieu… Ne me souhaite pas une longue vie à la Trappe… Tu ne peux pas savoir… »
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Rafael Arnaiz Baron (1911-1938), frère trappiste (nom de religieux : frère Marie Raphaël).
Jean Paul II le donna en modèle pour tous les jeunes du monde à S. Jacques de Compostelle (1989). B XVI l’a nommé patron des JMJ Madrid 2011.
Rafael Arnáiz Barón est une bonne illustration de ce cor inquietum qui brûle de désirs infinis et divins. Dans la vie du frère Rafael, le désir de Dieu, l’Absolu et l’éternité, expliquent tout.
Né le 9 avril 1911 à Burgos en Espagne, premier de 4 enfants d’une famille aisée, catholique pratiquante. En 1930, tout jeune bachelier, il obtient comme cadeau de fin d’études de passer ses vacances d’été chez son oncle et sa tante, Leopoldo et María, ducs de Maqueda, non loin d’Avila.
C’est le commencement d’une amitié spirituelle intense entre Raphaël et ses oncles, dont témoigne une correspondance abondante et profonde. A l’issue de ces vacances que, sur le conseil de l’oncle, Raphaël passe son premier séjour à la Trappe de San Isidoro de Dueñas, en septembre 1930 : il est séduit par le silence, enthousiasmé par la beauté du lieu, ravi par le Salve Regina entendu à Complies.
Très doué pour le dessin, il est étudiant en architecture à Madrid, mais prend enfin la grande décision et entre au monastère le 15 janvier 1934, convaincu d’avoir trouvé sa vocation.
Un diabète se déclare d’une façon foudroyante 4 mois après son entrée (il perd 24 kg en 8 jours). Il oblige le novice presque moribond à quitter, triste et perplexe, son cher monastère.
En janvier 1936, après une longue convalescence, il peut entrer de nouveau à San Isidoro, cette fois en qualité de simple oblat, car sa maladie ne lui permet pas de suivre les exigences de la Règle. La guerre civile espagnole (1936-1939) ne permettra pas le bon approvisionnement des médicaments qui auraient pu le soigner.
Pendant une deuxième sortie (septembre-décembre 1936) il est déclaré inapte à porter les armes dans le conflit qui ravage le pays. Après une troisième sortie (février-décembre 1937), il vit son dernier séjour à la Trappe, du 15 décembre 1937 au 26 avril 1938, comme son dernier carême et une préparation au dernier dépouillement, celui de sa vie sur la terre, avant d’avoir pu être ordonné prêtre.
Le mystère de cette vie, jusqu’au bout, aura été de se laisser conduire à travers les perplexités d’une vocation embrassée avec enthousiasme et sans cesse contrariée : par la maladie, par la guerre, par l’impossibilité de prononcer ses voeux monastiques, par le manque de relations communautaires normales.
Son noviciat sur la terre, accompli dans la solitude et la maladie humiliante, s’achève lorsqu’à Pâques, enfin revêtu de la coule par une faveur spéciale de son abbé, il entre, par son passage à la vraie vie, dans la communauté céleste.
Ce mystère de dépouillement si dramatique n’a pu être vécu que grâce à un amour débordant et à une joie qui possède, plutôt que de la naïveté, un certain humour, une certaine marque d’humilité. Le Dieu de Raphaël, son Christ, n’est pas l’objet d’étude mais le Compagnon d’une expérience vécue, transcendante, d’Amour absolu.
Son seul désir était de vivre pour aimer : aimer Jésus, aimer Marie, aimer la Croix, aimer son cher monastère. L’exubérance de sa foi et l’enthousiasme de son amour se sont avérés invincibles.
Voilà la caractéristique foncière de sa spiritualité personnelle. Raphaël est "un trappiste fou et excité d’amour pour Dieu", qui sans cesse se retient de crier à tue-tête la miséricorde de Dieu à son égard.
Et cette force le mène toujours davantage à l’essentiel, à ce qui comble son coeur en vérité : "Dieu seul !" Dans la solitude et le silence, la souffrance de la Croix devient le lieu propre où il renonce à lui-même, et sa propre souffrance, acceptée comme grâce de Dieu, permet le dépouillement ultime de l’humilité. Raphaël ne s’appartient plus, il n’y a que "Dieu seul", le message fou de l’amour.
A lire :
- P.Tomás Gallego, "Le frère Raphaël Arnáiz y Barón (1911-1938), témoin de la transcendance de Dieu", dans Collectanea Cisterciensia : (1987) pp.279-297 ; (1988) pp.57-75 et 335-371.
- Xavier Morales, "Dieu et mon âme : Le dernier cahier (février 1937 - avril 1938)", idem : (2000) pp.101-153.
Du site "spiritualitéchrétienne"
Textes de RAPHAEL ARNAIZ BARON
Le dernier cahier, 23 février 1938. C’EST MOI, JÉSUS !
Dans mes va-et-vient précipités à travers le noviciat, sans savoir quoi faire, j’ai regardé à travers la fenêtre, contre mon habitude et mon règlement qui me l’interdit. Le soleil commençait à poindre. Une grande paix régnait sur la nature. Tout commençait à s’éveiller : la terre, le ciel, les oiseaux.
Tout, peu à peu, s’éveillait doucement au commandement de Dieu. Tout obéissait à ses divines lois, sans plaintes et sans soubresauts, doucement, calmement, la lumière aussi bien que les ténèbres, le ciel bleu aussi bien que la terre dure couverte de la rosée de l’aube. Comme Dieu est bon, pensai-je. La paix habite partout sauf dans le cœur humain.
Et doucement, tranquillement, Dieu m’a appris à obéir, à moi aussi, par l’intermédiaire de cette aurore douce et tranquille. Une très grande paix s’empara de mon âme. Je pensai que Dieu seul est bon ; que tout est ordonné par Lui.
Que m’importe ce que disent ou font les hommes. Il ne doit y avoir pour moi qu’une seule chose dans le monde : Dieu. Dieu qui ordonne tout pour mon bien.
Dieu, qui tous les matins fait se lever le soleil, qui fait fondre le givre, qui fait chanter les oiseaux et change les nuages du ciel en mille suaves nuances. Dieu qui m’offre un coin sur la terre pour prier, qui me donne un coin où pouvoir attendre ce que j’attends.
Dieu si bon avec moi, qui parle à mon cœur dans le silence, et m’apprend peu à peu, parfois avec des larmes, toujours avec des croix, à le détacher des créatures, à ne chercher la perfection qu’en Lui, à me montrer Marie, et me dire : "Voici la seule créature parfaite.
En Elle tu trouveras l’amour et la charité que tu ne trouves pas chez les hommes". De quoi te plains-tu, Frère Raphaël ? Aime-Moi, souffre avec Moi, c’est Moi, Jésus.
Ah ! Vierge Marie, voilà la grande miséricorde de Dieu. Voilà comme Dieu oeuvre dans mon âme, tantôt dans la désolation, tantôt dans la consolation, mais toujours pour m’apprendre que ce n’est qu’en Lui seul que je dois mettre mon cœur, que ce n’est qu’en Lui seul que je dois vivre, que c’est Lui seul que je dois aimer, désirer, espérer, dans la foi pure, sans consolation ni secours d’humaine créature .
Quel bonheur, ma Mère . Combien dois-je en être reconnaissant à Dieu. Comme Jésus est bon !
Quand je cessai de regarder le ciel par la fenêtre du noviciat, je pensai : le Seigneur fait d’un mal un bien. Si quelqu’un m’avait vu, il se serait dit : "Voilà un novice qui perd son temps !".
Est-ce perdre son temps que d’adorer amoureusement Dieu ? La tentation a passé, le trouble aussi, et avec lui, je n’ai plus pensé à ce que j’avais entendu et qui m’avait troublé. Et après avoir fait un acte d’union à la volonté divine, chose que je fais à chaque fois que je m’en souviens, je suis descendu à l’église pour entendre la sainte messe ; et là, au pied du Tabernacle, j’ai élevé mon cœur vers Dieu et vers la Très Sainte Mère Marie.
Toi seul, mon Dieu, Toi seul !
Plus je me suis approché des créatures, plus je me suis vu loin d’elles, et plus je suis loin de l’homme, plus je suis proche de Dieu.
Le dernier cahier, 4 mars 1938. DIEU M’AIME !
Je prends aujourd’hui la plume au nom de Dieu, pour que mes mots, en se gravant sur le blanc papier, servent de perpétuelle louange au Dieu béni, auteur de ma vie, de mon âme et de mon cœur.
J’aimerais que l’univers entier, avec toutes les planètes, tous les astres et les innombrables systèmes sidéraux, fussent une immense surface lisse où pouvoir écrire le nom de Dieu. J’aimerais que ma voix fût plus puissante que mille tonnerres, plus forte que le courant de la mer, et plus terrible que le vacarme des volcans, pour ne dire que : Dieu.
J’aimerais que mon cœur fût aussi grand que le ciel, aussi pur que celui des anges, aussi simple que la colombe, pour avoir Dieu en lui. Mais puisque toute cette grandeur rêvée ne peut se voir réalisée, contente-toi de peu [de chose tangible ici-bas] Frère Raphaël, et puisque toi, tu n’es que néant, le néant doit te suffire.
Quelle hypocrisie que de dire qu’il n’a rien, celui qui a Dieu ! Oui ! Pourquoi le taire ? Pourquoi le dissimuler ? Pourquoi ne pas crier au monde entier, et publier aux quatre vents les merveilles de Dieu ?
Pourquoi ne pas dire aux gens, et à tous ceux qui voudront bien l’entendre : "Vous voyez ce que je suis ? Vous voyez ce que j’ai été ? Vous voyez ma misère qui se traîne dans la fange ? Eh bien, ça ne fait rien, soyez émerveillés, malgré tout : j’ai Dieu ! Dieu est mon ami !".
Que le sol se dérobe, que la mer se dessèche de stupeur, Dieu m’aime si tendrement, moi, que si le monde entier le comprenait, toutes les créatures deviendraient folles et rugiraient de stupéfaction ! Bien plus, tout cela n’est rien. Dieu m’aime tellement que les anges eux-mêmes ne le comprennent pas ( ?).
Comme est grande la miséricorde de Dieu ! M’aimer, moi ! Être mon ami, mon frère, mon père, mon maître ! Être Dieu, et moi, être ce que je suis ! Ah ! mon Jésus, je n’ai ni plume ni papier. Que dirai-je ! Comment ne pas devenir fou ! Comment peut-on vivre, manger, dormir, parler et avoir des relations avec tous ?
Comment est-il possible que j’aie encore suffisamment de sérénité pour penser à quelque chose que le monde appelle raisonnable, moi qui perds la raison quand je pense à Toi ?
Comment est-ce possible, Seigneur ! Je sais, Tu me l’as expliqué déjà, c’est par le miracle de la grâce. Si le monde qui cherche Dieu le savait ! Ignorants et insensés qui cherchez Dieu où Il n’est pas. Écoutez, et soyez dans l’étonnement. Dieu est dans le cœur de l’homme, je le sais. Mais écoutez, Dieu vit dans le cœur de l’homme, quand ce cœur vit détaché de tout ce qui n’est pas Lui.
Quand ce cœur se rend compte que Dieu frappe à sa porte, et qu’il balaie et nettoie tous ses appartements pour se disposer à recevoir le Seul qui comble vraiment. Comme il est doux de vivre ainsi, avec Dieu seul dans le cœur. Quelle grande douceur que de se voir rempli de Dieu. Comme il doit être facile de mourir ainsi.
Faire ce qu’Il veut demande bien peu, ou plutôt rien du tout, car on aime sa volonté ; même la souffrance et la douleur sont paix, car on souffre par amour. Dieu seul comble l’âme et la comble toute entière.
Il n’y a ni créatures, ni monde, il n’y a rien pour la troubler, seule la pensée de pouvoir L’offenser et Le perdre la fait souffrir. Qu’ils viennent, les savants, demander où est Dieu. Dieu est où le savant à l’orgueilleuse science ne peut arriver.
Dieu est dans le cœur détaché, il est dans le silence de la prière, dans le sacrifice volontaire de la douleur, dans le vide du monde et de ses créatures.
Dieu est sur la Croix, et tant que nous n’aimerons pas la Croix, nous ne Le verrons pas, nous ne Le sentirons pas.
Le dernier cahier, 23 février 1938. TRISTESSES ET CONSOLATIONS + + +
Ma vie est une continuelle alternance de désolations et de consolations. Les premières sont des tristesses et des peines, parfois très profondes, des pensées qui me troublent, des tentations qui me font souffrir.
Les consolations sont la même chose, mais à l’envers : joies intérieures inconnues, désirs de souffrir et amour pour la Croix de Jésus, qui remplissent mon âme de paix et de tranquillité au milieu de ma solitude et de mes douleurs, ce que je ne changerais pour rien au monde.
Voici un exemple récent. L’autre jour, je voyais tout en noir : ma vie obscure et enfermée dans l’infirmerie, sans soleil, sans lumière, sans rien pour l’aider à supporter la charge que Dieu m’a imposée.
Maladie, silence, abandon, je ne sais pas, mon âme souffrait beaucoup ; le souvenir du monde, de la liberté, m’accablait. Mes pensées étaient tristes, lugubres. Je me voyais sans amour pour Dieu, oublié des hommes, sans foi et sans lumière.
L’habit me pesait. J’avais froid et sommeil. Je ne sais pas, tout s’accumulait. L’obscurité de l’église me rendait triste. Je regardais le Tabernacle, et il ne me disait rien. Je me voyais mort vivant, je me voyais enfermé dans le monastère, comme un mort dans un tombeau, et même pis que dans un tombeau, puisque là au moins on trouve le repos.
Bref, voilà quelles étaient mes pensées, l’autre jour avant de recevoir le Seigneur à la communion.
L’idée que j’étais enterré vif m’obsédait, me rendait fou. Le démon s’attachait à me faire souffrir avec le souvenir du monde, de la lumière, de la liberté ; il évoquait en moi la joie de vivre.
Les moines me semblaient des âmes en peine, eux qui étaient aussi des morts vivants, eux qui souffraient l’enfermement du tombeau.
Bon, je n’arrive pas à m’expliquer : j’aurais aimé, à cet instant, mourir vraiment, mais mourir pour ne plus souffrir. J’ai vu ensuite que c’était une tentation.
C’est dans cet état d’âme que je me suis approché pour recevoir le Seigneur. Je venais de me mettre à genoux, avec le désir de demander à Jésus la tranquillité pour mon esprit, quand j’ai senti une ferveur très grande, un amour immense pour Jésus, et un oubli absolu de toutes mes pensées antérieures, au rappel de quelques mots que Jésus, je crois, m’inspira en cet instant : "Je suis la Résurrection et la Vie".
Comment exprimer combien mon âme fut consolée ! Je pleurais presque de joie en me voyant aux pieds de Jésus, enterré vif. Mes mains serraient le crucifix et mon cœur aurait voulu mourir, mais cette fois par amour pour Jésus, par amour pour la vie véritable, pour la véritable liberté.
J’aurais voulu mourir à genoux en embrassant la Croix, en aimant la volonté de Dieu, en aimant ma maladie, mon enfermement, mon silence, mon obscurité, ma solitude. En aimant mes douleurs, qui, en un instant de lumière, et avec une étincelle d’amour de Dieu, sont si vite oubliées.
Comme tout me paraissait petit : le monde avec toutes ses créatures ; comme ma vie me semblait insignifiante avec tant et tant d’attentions puériles. Comme les affaires humaines, le monastère me paraissait insignifiant, ses moines si petits, bref, comme tout disparaissait devant l’immense bonté d’un Dieu qui descend jusqu’à moi pour me dire : "Pourquoi souffres-tu ? Je suis le salut. Je suis la Vie. Que cherches-tu ici-bas ?".
Ah ! bon Jésus, si les hommes savaient ce que c’est que de t’aimer sur la Croix ! Si les hommes soupçonnaient ce que c’est que de renoncer à tout pour Toi ! Quelle joie de vivre sans volonté. Quel grand trésor que de n’être rien, d’être le dernier ! Quel grand trésor que la Croix de Jésus, et comme l’on vit bien en l’embrassant ! Personne ne peut s’en douter !
Le dernier cahier, 10 avril 1938. ABANDON :
Si nous sommes vraiment unis par amour à la volonté de Dieu, nous ne désirerons rien qu’Il ne désire, nous n’aimerons rien qu’Il n’aime, et en étant abandonnés à sa volonté, nous serons indifférents à quoi que ce soit qu’Il nous envoie, en quelque endroit qu’Il nous mette.
Tout ce qu’Il voudra de nous, ne nous sera pas seulement indifférent : cela nous sera même agréable.
Je suis chaque jour plus heureux en mon complet abandon entre ses mains. Je vois sa volonté jusque dans les choses les plus petites et minuscules qui puissent m’arriver.
De tout, je tire un enseignement qui me sert pour comprendre davantage sa miséricorde envers moi. J’aime avec tendresse ses desseins et cela me suffit. Je suis un pauvre homme ignorant ce qui me convient, et Dieu veille sur moi comme personne ne peut s’en douter.
Si l’on me disait en détail ce que je dois faire pour être saint et agréable à Dieu, je crois qu’avec l’aide de Dieu et de Marie, je le ferais en entier.
Avec Jésus à mes côtés, rien ne me paraît difficile, et le chemin de la sainteté me semble à chaque fois plus facile. Il me paraît consister plus à enlever des choses qu’à en ajouter. Il se réduit peu à peu à la simplicité, plutôt qu’il ne se complique de choses nouvelles.
Et au fur et à mesure que l’on se détache d’un si grand amour désordonné pour les créatures, et pour nous-mêmes, il me semble que l’on s’approche de plus en plus de l’unique amour, de l’unique désir, de l’unique but de cette vie, de la vraie sainteté, et c’est Dieu.
Comme Dieu est bon, Lui qui m’apprend peu à peu tout cela ! Comme Dieu est bon envers moi ! Saurai-je agir en retour comme je le dois ?
Seigneur, ne regarde pas mes actes, ni mes paroles, regarde mon intention et si elle n’est pas bien dirigée vers Toi, redresse-la. Ne permets pas, mon Seigneur, que je sois ingrat et que je perde mon temps.
Comme l’on vit bien, loin des hommes et près de Toi. Quand j’entends le bruit que fait le monde ; quand je vois le soleil qui inonde les champs et illumine les oiseaux en liberté ; quand je me rappelle les jours heureux que j’ai passés dans mon foyer, je ferme les yeux, je me bouche les oreilles et j’étouffe les voix du souvenir et je dis : quel bonheur c’est de vivre avec le Christ.
Je n’ai rien et j’ai le Christ. Je ne possède rien ni ne désire rien, et je possède et je désire le Christ. Je ne jouis de rien et ma joie, c’est le Christ. Et là, dans mon cœur, je suis complètement heureux, même si ce n’est pas le mot pour désigner l’état de mon âme.
Les créatures me sont indifférentes, si elles ne me conduisent pas à Dieu. Je ne veux pas de la liberté, si elle ne me conduit pas à Dieu. Je ne veux pas de consolations, de plaisirs et de joies, je ne veux que la solitude avec Jésus, l’amour pour la Croix et les larmes de la pénitence.
Mon Jésus, mon doux amour, ne permets pas que je sois séparé de Toi. Marie, ma Mère, sois ma seule consolation.
L’autre jour, j’ai essayé la coule que le Révérend Père Abbé me laissera revêtir, par une faveur spéciale, à partir du jour de Pâques. J’ai toujours eu une grande envie de pouvoir porter un jour la coule cistercienne.
Mais... elle est si neuve et si blanche, qu’ensuite j’ai eu beaucoup de honte de ce désir puéril ; car ce n’est pour moi qu’une vanité devant les hommes. Le Christ, qui est mon Maître, en ces jours, a été dépouillé devant la foule qui l’insultait, et moi, on m’habille. Puis-je en tirer un vain orgueil ?
Je serais bien insensé de ne pas voir une grande humiliation le jour de Pâques, quand moi, le dernier disciple du Christ, je me présenterai à la Communauté avec la coule neuve et reluisante de l’Ordre cistercien. Il aurait valu bien mieux me revêtir d’un "sac".
Mais cela encore aurait été une vanité puérile, et en réalité, aujourd’hui, je suis arrivé à la conclusion que ça m’est égal. Au bout du compte, vêtu de soie de laine ou de sac, cela ne doit en rien changer mon cœur. Il est ce qui, un jour, aura de la valeur aux yeux de Dieu.
Bhx Raphael Arnaiz Baron : Dans le monde on souffre... ce ne sont que soucis, désirs, espoirs... bien peu souvent réalisés. Dans le monde on pleure pour des affaires matérielles, viles et périssables. Dans le monde on pleure peu pour le Christ. Dans le monde on souffre peu pour Dieu.
Dans mes va-et-vient à travers le noviciat, sans savoir quoi faire... j’ai regardé ô travers la fenêtre, contre mon habitude... Le soleil commençait à poindre.
Une grande paix régnait sur la nature... Tout commençait à s’éveiller_ la terre, le ciel, les oiseaux... Tout, peu à peu, s’éveillait doucement... Tout obéissait aux divines lois, sans plaintes, et sans soubresauts, doucement, calmement, la lumière aussi bien que les ténèbres, le ciel bleu aussi bien que la terre dure couverte de la rosée de l’aube... Comme Dieu est bon, pensai-je... La paix habite partout sauf dans le coeur humain.
Le dernier cahier, 8 mars 1938. AUPRÈS DE TON CŒUR
Dieu et sa volonté sont la seule chose qui occupe ma vie. Par sa miséricorde infinie, ce qui auparavant était désir véhément se tempère peu à peu.
Comme la grâce de Dieu est immense, quand peu à peu, Il emplit une âme. Comme peu à peu se précise de plus en plus la vanité de tout ce qui est humain, et comme on parvient au contraire à se convaincre qu’en Dieu seul se trouve la sagesse véritable, la paix véritable, la vie véritable, l’unique nécessaire et l’unique amour et désir de l’âme.
L’autre jour, j’étais avec le Révérend Père Abbé. J’ai été lui demander de me concéder une pénitence pour ce saint temps du Carême, chose qu’il me refusa, et à la place, il me dit que le jour de Pâques, il me donnerait la coule monacale et le scapulaire noir.
Quelle joie j’éprouvai, bon Jésus ! J’aurais embrassé le Révérend Père Abbé. Il est trop bon avec moi !
Quel désir j’avais depuis déjà un certain temps de pouvoir revêtir la coule ! Quel grand bonheur me donna la pensée de ce que, à brève échéance, je ne me distinguerais en rien d’un vrai religieux.
Mais après avoir été rendre grâce au Seigneur pour cette grâce, je vis clairement qu’en moi, c’est vanité. J’ai vu que c’est un honneur que me fait la communauté, et cela me désole plus qu’autre chose.
Ah ! s’il m’avait donné l’habit de convers, comme je le lui ai suggéré, ç’aurait été autre chose. Mais ça m’est égal : en marron ou en blanc, avec ou sans coule, je suis le même devant Dieu. Tout ce qui est extérieur m’est indifférent. Je veux seulement aimer Dieu, et je le fais à l’intérieur et sans que les hommes s’en aperçoivent.
Cela m’est égal, Seigneur, de connaître l’honneur ou le mépris. La joie vaine et un peu infantile de revêtir la coule s’est déjà calmée. J’aimerais, Seigneur, que rien au monde ne me trouble, et qu’aucune des créatures ne m’enlève la paix et la tranquillité de n’aimer que ta volonté.
Et je vois ainsi, Seigneur, que tout est vanité. Tu n’es ni dans l’habit, ni dans la couronne. Alors ? Tu n’es, Seigneur, que dans le cœur détaché de tout.
Bon Jésus, mon divin Bien-aimé, Tu as tes délices. Ah ! Seigneur, que vais-je dire ? Tu as tes délices dans le cœur de l’homme. Je T’offre le mien. Laisse-moi faire ma cellule dans le tien. Laisse-moi faire ma couche auprès de lui. Laisse-moi vivre seul et nu de tout, auprès de ton Cœur Divin, et me moquer des habits, des couronnes, et... des barbes de tous les convers du monde. Je serai toujours le même pour Toi, n’est-ce pas, Jésus ?
Comme le monde est ignorant et puéril ! Quelle joie nous procure un chiffon et quelle tristesse un nuage ! Avec quelle facilité nous considérons-nous heureux d’une puérilité, et sommes-nous abattus et désespérés avec une autre !
Comme nous sommes peu de chose..., comme nous vivons sur le plan extérieur, sans penser que tout n’est rien, excepté de T’aimer et de Te servir, Toi, mon Jésus ! Guenon de soie vêtue .... guenon demeure !
J’aimerais, Seigneur, passer ce Carême, à mourir peu à peu, de tout ce qui me manque encore, pour ne vivre que pour Toi. Pour qu’un jour, Tu me laisses, Seigneur, pénétrer par la plaie de ton côté, et m’y faire une cellule auprès de ton Divin Cœur. Tu me le permettras ? Je le demande avec ferveur à la Très Sainte Vierge Marie.
Un jour où la petite croix que Jésus m’envoyait me semblait bien grande, un jour où, en pensant à ce qui me reste de vie, en pensant à cette vie de trappiste, enfermé ici pour toujours, cela me paraissait bien long, bref, un jour où je souffrais parce que mon chemin me paraissait long et pénible, j’ai lu des mots qui me disaient : "Rien de ce qui a une fin n’est grand !"
Dieu seul, p. 26 : Les gens disent que le silence dans le monastère est triste et qu’il est difficile d’observer la Règle... Il n’y a pas d’opinion plus erronée...
Le silence à la Trappe est le plus joyeux langage que les hommes puissent soupçonner...
Ah ! Si Dieu nous donnait la faculté de voir dans les cœurs, alors nous verrions que, de l’âme de ce trappiste d’aspect extérieur misérable et qui vit dans le silence, jaillit abondamment et sans arrêt un glorieux chant d’allégresse, plein d’amour et de joie envers son Créateur, envers son Dieu, envers un Père affectueux qui prend soin de lui et le console... Dans le silence, ils parlent avec Dieu.
Réf. dans l’Osservatore Romano : 1992 n.39. Réf. dans la Documentation catholique : 1992 n.19 p. 919.
Né à Burgos (Espagne) le 09.04.1911, retourné à Dieu le 26 04 1938, béatifié le 27 09 1992 par Jean-Paul II, béatifié le 11 10 2009 par B XVI.
1934 : entre au monastère cistercien de San Isidoro (Palencia).
Il avait interrompu ses études d’architecte pour entrer au monastère cistercien de Sant’Isidro, en Espagne en 1934 ; la maladie le contraignit à quitter 3 fois le monastère où il revenait aussitôt.
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Rafael Arnáiz Barón - Wikipédia
En 1930, des dons pour le dessin le portent à entreprendre des études d' architecture à Madrid. Cette année-là, au cours de ses vacances il découvre l' abbaye trappiste de San Isidro de Dueñ...
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