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2 mai 2019 4 02 /05 /mai /2019 22:55
J’attends des nouvelles d’un ami qui a dû ressusciter 

Je ne sais pas pour vous, mais je suis toujours désemparé devant ce que nous appelons la résurrection. Cela me semble hors d’atteinte et relever du mystère ultime. Je me souviens de cette femme que l’on disait « un peu perdue », qui vivait dans une institution psychiatrique. Je venais la voir.

Elle ne paraissait pas vraiment malheureuse, plutôt préoccupée. Postée où qu’elle soit comme une vigie. On aurait dit qu’elle attendait impatiemment quelque nouvelle venue de très loin. Je lui demandai ce qu’elle guettait ainsi.

Sa réponse, je ne l’ai jamais oubliée : « Il est déjà très tard et… j’attends des nouvelles d’un ami qui a dû ressusciter. »

Derrière son inquiétude, causée par l’absence de son hypothétique ami, se tenait une autre inquiétude, plus abstraite, mais plus écrasante aussi, et devenue insupportable pour elle : qu’il ne fût pas ressuscité.

Et plus encore, s’il l’était, qu’il ne lui donnât pas de signe. Je l’ai rassurée comme j’ai pu, avec maladresse. J’ai dû dire quelque chose comme il était important d’y croire, et que dans son cœur à elle, sûrement, cet ami avait déjà une place bien vivante.

Que j’étais désolé. Elle a seulement ajouté en tournant son visage dans l’ombre du soir qui tombait : « C’est pour ça que je suis ici. »

J’ai pensé plus tard à la phrase de Paul devant ses accusateurs, dans les Actes : « C’est pour la résurrection des morts que je passe aujourd’hui en jugement devant vous » (24, 21). Quelle est cette chose irréalisable et inacceptable aux yeux des autres (mais pas seulement, à nos propres yeux également) et qui devient notre accusation ?

Cette chose dont nous guettons avec inquiétude et doute, reconnaissons-le, les signes. Croire en la résurrection, ce n’est pas imaginer un monde autre que le monde réel où l’on ne perdrait plus ceux qu’on aime, ni attendre une autre vie, c’est plus étrangement compliqué que cela. C’est reconnaître non pas que l’impossible se réalise mais qu’il est une affirmation possible au cœur même du monde sensible.

Ce qui est difficile avec la résurrection des morts, c’est qu’on a beau lui résister, sa seule convocation dans le langage change imperceptiblement notre rapport à l’absence. Rend toute séparation moins affirmative.

Nous n’avons plus aucune nouvelle de ceux qui ont disparu, mais leur absence est devenue mystérieuse, elle semble rejoindre sinon notre espérance du moins une curieuse impatience.

Comme l’inquiétude folle de cette femme qui était d’espérer la possibilité d’un impossible. À nous de ne pas en faire un sujet d’accusation ou d’incompréhension.

L’impossible n’est jamais donné mais toujours différé, et dans ce différemment quelque chose se passe. L’attente n’est plus un temps mort. L’attente devient événement.

C’est parce qu’il existe comme objet de l’attente, parfois la plus brûlante (et non par référence à quelque chose de tangible, qui existe), que l’impossible peut nous mettre en route à sa suite, peut faire advenir, non pas lui-même qui n’advient pas, mais l’événement de l’attente qui est la chair sensible de l’impossible.

Nous ne possédons l’impossible que de penser à lui.

Dans son Journal, Kafka délivre cet étrange constat : « Aucun mot ne me parvient directement de son lieu d’origine. » Appliqué au mot résurrection, cela laisse entendre que nous n’avons pas à chercher une signification donnée au préalable mais à suivre le mouvement du mot dans son errance au cœur des choses sensibles.

Il n’y a pas de chose résurrection que nous puissions attraper par un mot. Le grec du Nouveau Testament ne s’y est pas trompé puisqu’il nous offre au moins deux verbes pour désigner par analogie cet impossible-là (être relevé et être éveillé).

« Pour tout ce qui est en dehors du monde sensible, expliquait aussi Kafka, le langage ne peut être employé que d’une manière allusive… car conformément au monde sensible, le langage ne traite que de la possession (Besitz en allemand). »

Nous ne pouvons en effet par le mot de résurrection traiter d’une quelconque possession d’une chose sensible. Ce que sans doute signifiait déjà le Noli me tangere du Christ à ­Marie Madeleine (Jean, 20, 17).

Ne me touche pas, ou plus finement : Ne me retiens pas, ne t’attache pas à moi, selon les emplois du verbe grec (haptomai). Ne cherche pas à retenir l’impossible, le corps ressuscité.

Oh mes amis, et si cette femme dont je me souviens aujourd’hui avait eu raison dans sa déraison ?

Nous ne possédons rien de notre foi, mais ce manque, cette absence est le bien sensible de notre foi.

« Mon amour a migré /il est passé de l’autre côté /Ma vie sortait de sa parole /Je l’ai supplié, impossible de le revoir /Je l’ai appelé, pas de réponse. » (Cantique des Cantiques 5, 6, traduction personnelle).

Chaque existence est peut-être ainsi appelée à veiller sur le monde sachant que tout de ce monde ne se possède pas. Et que tout le sensible du monde est encore à venir.

Frédéric Boyer
La Croix

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