Contempler
La Transfiguration de ce manuscrit clunisien du début du XIIe siècle est une invitation à contempler la promesse de Dieu pour le monde et la réponse confiante du monde.
Le Manuscrit dont est issu ce folio enluminé est composé de pièces liturgiques, parmi lesquelles l’office de la Transfiguration, du De miraculis de Pierre le Vénérable, et d’autres pièces historiques sur Cluny.
Selon Dominique Iogna-Prat, il aurait pu être copié à l’instigation de Guillaume II, abbé de Cluny (1207-1215) ; sa décoration de peintures rehaussées d’or semble avoir été réalisée par un seul artiste.
Le Transfiguré, axe de monde visible et invisible
L’image se développe sur deux niveaux qui correspondent aux réalités glorieuses (le Christ, Moïse et Élie) et terrestres (Pierre, Jacques et Jean).
Le Christ qui, dans la Gloire, domine même les personnifications de la Loi et des prophètes à ses côtés, est pourtant aussi présent dans la sphère inférieure ; ses pieds ne reposent pas sur le sol de la montagne, mais ils touchent les Apôtres et ne quittent pas les cieux visibles sous lesquels Pierre, Jacques et Jean demeurent prostrés.
Entre la nuée du Père figurée sous la forme de lignes bleues et blanches sinueuses enveloppant l’apparition, et la terre plantée d’arbres multicolores, le Christ est l’axe, le lien et le vecteur. Sa Sainteté réside dans la relation à son Père que rappelle le phylactère qui entoure son visage : « Celui-ci est mon Fils aimé. »
La fête de la Transfiguration et sa promotion clunisienne
Cette fête de la Transfiguration, que l’on retrouve depuis le VIe siècle en Orient, était déjà célébrée le 6 août, quarante jours avant la fête de l’Exaltation de la Croix (14 septembre). Même si elle apparaît en Occident dès le IXe siècle, c’est sous l’impulsion de Cluny et plus particulièrement de Pierre le Vénérable (abbé de 1122 à 1156), qui composa même un office de la Transfiguration, que la fête fut bien plus généralement diffusée.
C’est en 1457 qu’elle sera inscrite au calendrier romain par Callixte III.
L’altérité et l’éblouissement
« Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante » (Lc 9, 29).
L’évangéliste ne trouve qu’un mot pour traduire l’expérience dont il fait le récit : « Autre. »
Cette altérité qui surgit sur le visage de Jésus nous rappelle que dans ce qui est autre, Dieu ouvre un chemin vers Lui. L’autre est indicible, justement parce qu’il n’est pas réductible à ce que je connais, et il va donc de pair avec l’éblouissement : Jésus se révélant autre, ouvert sur le Mystère insondable de Dieu, fait resplendir ce qui entre en contact avec Lui de l’éblouissante promesse divine.
La Transfiguration, une promesse pour « nos pauvres corps »
Jésus, axe du monde visible et invisible, nous rappelle notre citoyenneté céleste (Ph 3, 20) ; Lui qui « transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir » (Ph 3, 21), apparaît dans cette enluminure comme la porte ouvrant sur le Mystère de Dieu.
Si les arbres, les roches et les masses des cieux se dressent au centre, sous les pieds du Christ, c’est qu’ils le reconnaissent comme leur promesse d’éternité.
Pierre est associé au mystère de cette promesse. Son corps est figuré comme une masse aux couleurs du ciel et de la terre prolongeant le sommet de la montagne, il est le rocher sur lequel est bâtie l’Église, le corps du Christ.
C’est dans l’humilité confiante de Pierre que le Salut du Christ peut irriguer jusqu’aux confins de l’univers.