Gorze, juillet 2019
Chers amis,
La vie ne peut-être que spirituelle ! Tout ce qui vit et respire est animé par le souffle vital qui a sa source en Dieu. Je vis parce que je suis un être spirituel, c'est à dire un être vivant du Souffle. Sans Souffle point de vie : « Tu leur retires le souffle, ils expirent et retournent dans la poussière. » Ps 104. Ce souffle nous habite, nous porte et nous nourrit. C'est une force ordonnatrice et formatrice, mais également libératrice et unificatrice.
L'homme qui accueille consciemment cette force, est en chemin de transformation. Il participe à l'œuvre régénératrice du Christ grâce à son esprit, car c'est l 'Esprit Saint qui vivifie l'esprit en nous et ainsi, grâce à cet élan vital qui pulse dans son esprit, même l'homme prisonnier de son moi existentiel aspire, sans le savoir parfois, à retrouver la grâce du Christ ressuscité.
L'homme est ainsi fait qu'il est constamment poussé à se dépasser, et finalement, c'est dans cette « tension vers » que l'homme s'accomplit. Cette poussée intérieure est puissante et l'engagement peut se heurter à de multiples dangers. J'en signalerai deux : d'une part la tendance à « l'échappatoire spirituel » et d'autre part, l'identification au « surmoi spirituel. »
Ces deux dangers guettent l'homme inattentif et peuvent engendrer de grandes souffrances. On peut effectivement se servir des idées et des pratiques spirituelles pour mettre de côté des problèmes non réglés sur le plan personnel, pour étayer un sens de soi vacillant ou pour amoindrir des besoins fondamentaux, et tout cela au nom de l'éveil.
Dans une société comme la nôtre, où l'ensemble de l'assise terrestre est faible au départ, il est certes tentant d'essayer de s'élever au-dessus de cette base chancelante pour « dominer » un peu mieux les autres. On « quitte le monde » et... on se retrouve dans le néant !
L'échappatoire spirituel est une tentation forte à une époque comme la nôtre et elle entraîne les personnes à se servir de la spiritualité pour masquer leur difficulté à vivre « dans le monde » faisant d'eux des « personnes à part » incapables d'intégrer leur spiritualité au reste de leur vie.
Ainsi, on peut prétexter un travail de détachement et de renoncement et se réfugier dans la prière pour justifier aux yeux des autres une attitude distante, qui est en fait due à un manque de personnalité et de courage, alors qu'il serait certainement plus profitable de devenir plus incarné, plus engagé vis à vis de soi-même, des autres et de la vie.
Le deuxième problème évoqué concerne la prédisposition à l'identification au « surmoi spirituel », qui agit en tant que critique et juge incessants. Rien de ce que l'on fait n'est jamais suffisamment bien !
Cette voix intérieure critique et garde en mémoire tout manquement dans la pratique et tous les événements où nous ne sommes pas à la hauteur des enseignements reçus et des engagements que nous avons pris. La pratique s'oriente alors, plus vers une conciliation avec cette partie de nous-même qui juge, plutôt que vers une ouverture inconditionnelle à la vie.
Subtilement, les saints et les êtres éveillés deviennent alors des figures paternelles qui surveillent d'un œil attentif toutes les façons de ne pas être à la hauteur de nos engagements.
Viens alors « l'effort ascétique » pour être « plus » détaché, « plus » empli de compassion ou de dévotion ; et de ce fait être entraîné dans une comédie spirituelle qui nous coupe de notre vitalité physique, d'où les fatigues et les dépressions qui s'en suivent et qui finalement nous éloignent de notre aptitude à trouver notre propre chemin authentique, à partir de ce que nous sommes en vérité, ici et maintenant.
Souvent ces « disciples » spirituels, qui cherchent à être « plus » ou « moins », se haïssent secrètement de ne pas être à la hauteur de leurs idéaux. Cela rend leur spiritualité froide et solennelle et ils distillent constamment un poison qui tue, lentement mais sûrement, toutes les communautés qu'ils fréquentent. Courir après un idéal spirituel est épuisant et assommant pour soi-même et pour les frères.
Notre vie est ce qu'elle est. L'accès au réel de mon être est immédiat. Je suis la vie qui se déploie et je suis invité à adhérer à ce déploiement, tel qu'il se présente ici et maintenant, sans but ni esprit de profit, et surtout sans juger les situations existentielles extérieures et intérieures qui me sont proposées par la vie.
C'est cette adhérence, qui est le nerf de la guerre, car notre nature humaine en exil est « l'oubli de Dieu », donc l'oubli de notre nature essentielle qui cherche à se manifester à travers tout ce que nous expérimentons.
Nous sommes donc invités à « nous souvenir » et à mettre en pratique tous les moyens ascétiques utiles à cette « anamnèse » : « Le Seigneur est mon berger, je ne manquerai de rien. » « Noblesse oblige » donc, et le miracle humain prédestine l'homme ou « condamne » l'homme à se dépasser, mais non à se surpasser !
La vertu d'humilité est la clef de voûte de notre édifice spirituel et elle s'éveille peu à peu devant notre incapacité foncière à « demeurer avec Lui ». « Être enraciné et fondé dans Sa Présence » nécessite un caractère vertueux, c'est à dire une force intérieure qui nous ancre dans notre « humus » : on retrouve là l'exercice du Hara...
Alors l'homme de l'humus devient disponible pour accueillir la rosée céleste, qui fera de lui ce qu'il doit être et rien d'autre, et ce qu'il doit être, restera pour lui un mystère à découvrir chaque jour, dans l'action de grâce qui jaillit du cœur de celui qui a tout remis entre les mains du Père.
Je vous dis toute mon amitié en Christ, à bientôt !
Père Francis