L’histoire est si belle, si juste, si porteuse d’espoir, que l’on dirait une fable de La Fontaine. Alors que gronde le débat sur la rénovation de Notre-Dame de Paris, l’apologue de la fable nous arrive à point nommé.
Pourtant l’histoire est vraie.
Elle débute dans le deuxième quart du XXe siècle, au plateau d’Assy, en Haute-Savoie, dans l’un des plus beaux paysages du monde.
Le plateau était aussi nu et pauvre que beau, quelques maisons de berger, quelques fermes d’alpage. Jusque dans les années cinquante, on y construira des sanatoriums, un, puis deux, puis plus de vingt, c’est-à-dire pour deux mille malades et autant de soignants.
Des malades qui venaient soigner leur tuberculose et, souvent, en mourir. Ils avaient, pour se recueillir, quelques chapelles d’établissement, mais pas d’église.
Jean Devémy, prêtre du diocèse de Lille nommé aumônier des malades du plateau, fera de la construction de Notre-Dame-de-Toute-Grâce le combat d’une vie.
C’est à lui, surtout, à quelques autres aussi – son ami Marie-Alain Couturier, père dominicain et artiste lui-même, Maurice Novarina, l’architecte –, que le lieu doit son église. Dire qu’elle est exceptionnelle, c’est à peine lui rendre justice.
Elle est plus que cela, et bien sûr on ne peut prendre la mesure de ce qu’elle offre qu’en y pénétrant.
Kierkegaard disait, en substance, qu’il est à la fois indispensable et impossible d’être chrétien. Notre-Dame-de-Toute-Grâce atténue cette impossibilité.
Avant même d’y entrer, l’église annonce la couleur. Ici, nous dit sa façade, tout est beau, très beau, simple et fort, très fort.
Le toit est celui d’un grand chalet savoyard, immense, débordant, dont le porche repose sur huit colonnes de pierre brute, une molasse granitique verte, une pierre du coin, comme on dit, taillée en rondelles irrégulières.
Leur hauteur va diminuendo, la plus grande faisant une dizaine de mètres et les plus petites, aux extrémités du porche, le tiers à peine, et déjà l’on comprend que le lieu enveloppe, rassure, qu’il protège. Derrière les colonnes se trouve une œuvre éclatante, Les Litanies de la Vierge.
La mosaïque de Fernand Léger recouvre la totalité du mur de l’église. En son centre, un visage accueille le visiteur, le regard fixe. C’est celui de la Mère de Dieu, rendu par un médaillon blanc et noir très pur, rehaussé d’or.
Tout autour, huit motifs des litanies sont repris sur de larges bandes de mosaïque, toutes éclatantes de couleur, dont le contraste avec le médaillon rend la façade plus lumineuse encore.
L’apaisement qu’offre cette première vision de l’église vient à point nommé, tant le visiteur aura le souffle coupé par la beauté et la grâce des œuvres, dès qu’il pénétrera à l’intérieur de l’église.
Haute de cinq mètres et longue de treize, la tapisserie visionnaire de Lurçat, L’Apocalypse. La femme et le dragon, habille le chœur tout entier. Elle capte le regard du visiteur dès le petit narthex, où un bénitier en marbre de Carrare est gravé des premières paroles de la Genèse.
À droite, les fonts baptismaux sont ornés d’une céramique de Chagall montrant Moïse traversant les eaux de la mer Rouge et sauvant son peuple. On y trouve aussi deux vitraux de l’artiste, ainsi qu’une cuve baptismale en marbre de Carrare de Carlo Sergio Signori, tout en courbes, d’une infinie douceur.
L’autel du Saint Sacrement est décoré d’une céramique de Matisse. Son pendant, à droite du chœur, est une toile de Bonnard. Sous la céramique de Matisse, une sculpture de Braque représente la porte du tabernacle.
Ailleurs, cinq vitraux de Rouault, éblouissants, et tant d’autres œuvres exceptionnelles, parmi lesquelles le Christ en Croix de Germaine Richier, un christ de bronze, fondu, déformé de douleur, qui n’a plus figure humaine, qui baisse et tend ses bras. J’imagine la tendresse immense, la fraternité qu’ont dû ressentir devant la sculpture les malades qui venaient chercher consolation dans la petite église.
Enfin, il y a ces mots du père Couturier, affichés à l’entrée de l’église, l’apologue de la fable : « Pour garder en vie l’art chrétien, il faut à chaque génération faire appel aux maîtres de l’art vivant. »
Il ajoute, parlant de Notre-Dame-de-Toute-Grâce : « Cette vie débordante (…) C’est là la vraie leçon d’Assy (…) En dépit de toutes les incertitudes et de toutes les défaillances possibles, la vie est là, abondante, généreuse, magnifique. »
Je suis retourné à l’église d’Assy pour écrire cette chronique. Plus que jamais, je me dis que la reconstruction de Notre-Dame de Paris doit se faire dans la foi de la vie qui coule. Dans la confiance en les vivants.
On me dira : mais ce sont deux situations différentes, vous n’avez rien compris ! Et je répondrai : si le propos est de garder Notre-Dame comme un lieu de prière, c’est-à-dire de vie, les situations sont exactement les mêmes.
Metin Arditi
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