Vassily Kandinsky. — « Bild XVI. Das Grosse Tor Von Kiew » (Tableau XVI. La Grande Porte de Kiev), vers 1928
Anna Gichkina, depuis sa double culture, détaille pour nous les ressorts d’un éloignement et explore les particularités des deux filles de l’Eglise que sont la Russie et l’Europe occidentale.
Comment naviguer sereinement vers l’avenir sans perdre de vue notre port d’attache ? La patrie de Tolstoï, entée sur l’Évangile, a su conserver ce qu’un Occident amputé de lui-même, par souci d’universalisme, s’est consacré à déconstruire , donc à annihiler. Selon l’auteur, la Russie nous révèle nos maux à travers son mystère, pour peu que l’on prenne la peine de tourner notre regard vers lui.
La première partie de l’essai montre qu’en Occident, le Temps a pris le pas sur l’Éternité. Abandon de l’héritage chrétien, religion des droits de l’homme : notre civilisation s’abîme dans la perpétuité d’une chute où l’homme lui-même se trouve sacrifié sur l’autel de l’eugénisme. La deuxième partie propose, en miroir, de scruter l’âme russe comme manifestation de l’éternité supérieure au temps. Le mystère ne se comprend pas : il se contemple à travers le chaos historique, la force de l’orthodoxie, la profondeur de la littérature.
Cet essai d’Anna Gichkina est une semonce : il nous faut sortir le nez de notre buzz , s’extraire de notre présentisme, et renouer avec ce désir d’éternité qui fait l’homme.
Anna Gichkina
Russe devenue bilingue, Anna Gichkina est aujourd'hui docteur ès lettres diplômée de l’Université Paris-Sorbonne, auteur de nombreux articles sur la crise européenne actuelle et sur des sujets russes, auteur de l'ouvrage Eugène-Melchior de Vogüé ou comment la Russie pourrait sauver la France (L'Harmattan, 2018), Président d'un cercle de réflexion franco-russe à Strasbourg "Cercle du Bon Sens" , membre du comité de lecture dans la revue universitaire française "Academos".
Préface de Jacques de Guillebon
Ce livre est précieux et brûlant comme l’est sans aucun doute le cœur de son auteur, Anna Gichkina, jeune femme russe installée en France par amour des deux littératures, la nôtre et celle du pays de Pouchkine.
Ce livre est précieux en ce qu’il révèle quelle inquiétude peut susciter dans le reste du monde l’infidélité de l’Europe en général et de la France en particulier à leurs vocations initiales et non-pareilles, celles de l’infusion et de la diffusion du christianisme dans l’humanité par son accord, co-hérité de Rome et d’Athènes, avec la raison. C’est la perte de cet Occident que l’auteur décrit ici, déplorant à juste titre que depuis plus de deux siècles nous soyons passés du côté obscur de la rationalité, celle qui défait les âmes et partant les peuples et leurs patries.
Dressant ce dur constat de notre mort à venir, si nous n’y prenons garde, l’auteur, par ailleurs spécialiste de l’ académicien français du XIX e siècle, russophile et apologiste du christianisme, Eugène-Melchior de Vogüe - qui fut l’ambassadeur du grand roman russe ici - ne voit qu’un remède : le recours à la Russie.
Et c’est ici que ce livre est brûlant, quand Anna Gichkina célèbre l’histoire, le destin et la mystique de son pays : « La Russie ne tombera jamais. Elle sera toujours fidèle à son orthodoxie et à son Histoire. Donc elle sera toujours. », affirme-t-elle sans l’ombre d’un doute.
Car, plus que sur l’Occident, qui lui sert de miroir-repoussoir, c’est bien sur la Russie et sa littérature que porte cet ouvrage. On y retrouve les grands accents slavophiles du siècle de Pouchkine, la foi sans faille d’un Dostoïevski dans le rôle sotériologique de son pays, l’adhésion d’un peuple entier et immense à sa propre identité.
Ce pays dont la profondeur stratégique n’a d’égale que la profondeur de sa croyance et dont l’orthodoxie s’est constituée comme l’autre poumon du christianisme, à côté de Rome.
Car la Russie est pour nous, Français et Européens de l’ouest, le vrai autre , celui qui nous est semblable autant qu’il est différent, celui qui est un écho temporel comme il est un écho spatial.
Et contre la tentation transhumaniste, contre le gouffre technique et matériel qui guette nos pas, Anna Gichkina rappelle qu’il est une autre voie, celle de l’âme et de l’esprit, celle de la vraie liberté christique. C’est le véritable développement de ce livre, et c’est le vrai secours qu’il apporte.
Certes, Anna Gichkina est une ardente patriote et elle ne saurait concevoir d’autre voie de salut de la France et donc du monde que celle de sa Sainte Russie. On ne saurait cependant lui reprocher ces accents enthousiastes qui ont la véridicité d’un cœur qui aime.
Et c’est en quoi on lui sait gré de nous donner ces magnifiques pages.
Jacques de Guillebon
Extrait 2
Les Droits de l’Homme dépassent aujourd’hui le cadre d’un simple concept et prennent la forme d’une nouvelle religion, religion de l’Homme nouveau, religion sans éternité où le pouvoir ne vient pas de Dieu mais de l’Homme. Le remplacement des religions par la nouvelle idéologie procurerait l’égalité totale de tous les êtres humains sans différences culturelles. Pour l’Europe en particulier, il s’agit non seulement de l’effacement des frontières économico-politiques et culturelles entre les nations, mais aussi de l’éradication de la pierre angulaire de la civilisation européenne - le christianisme. « Le christianisme fut le début de l’Europe de la même façon que la fin du christianisme désignera la fin de l’Europe. », écrira Merezkovky dans son Règne de l’Antéchrist.
La religion des Droits de l’Homme qui se cache sous « l’humanisme » signifie paradoxalement la déshumanisation de l’être humain. « On oublie aujourd’hui les vérités aussi durables que l’homme. », écrira Vogüé. L’humanisme a toujours eu une double nature, estime le professeur au MGIMO Olga Tchetverikova. D’un côté, il s’agit d’un humanisme civilisateur orienté vers le grand public et se présentant sous un emballage scientifique. De l’autre côté, il s’agit des sciences occultes des loges secrètes qui ne sont accessibles qu’aux élus. C’est cette deuxième nature, selon Tchetverikova, qui est à la base du projet idéologique mondial.
Extrait 3
L’Europe vit aujourd’hui une très grave crise spirituelle due à son rejet de la tradition et de la morale chrétiennes. Pourquoi, dans le contexte de cette crise, faut-il à tout prix parler de la littérature ?
Parler du pays, c’est avant tout parler de l’homme et de son âme. Qu’est-ce qui reflète et capture le mieux l’âme humaine si ce n’est la littérature ? « La littérature est l’expression de la société. », dira Lanson. Elle forme notre personnalité et organise notre vie. Souvenez-vous, chez Lotman : « Ce n’est pas la vie qui crée l’art, c’est l’art qui crée la vie. ». La littérature, surtout les belles lettres , existera toujours parce que l’homme en aura toujours besoin. Aujourd’hui, la France, selon l'étude World Culture Index publiée en juin 2013, est un des pays du monde qui lit le plus. Dans la liste établie, elle occupe la huitième position.
Le monde des belles lettres exerce depuis toujours un pouvoir, une influence. Tout message idéologique passe également par l’acte littéraire. Dans le cadre du présent ouvrage, il importe de parler surtout du message spirituel, ce qui impose et explique le sujet de la littérature russe du XIXe siècle considérée à juste titre comme gardienne de l’Évangile.
Anna Gichkina est née à Arkhangelsk, une région grande comme trois fois la France – « où se trouve l’Archipel du Goulag »… Après des études de civilisation française et de linguistique en Russie postsoviétique, elle arrive en 2005 dans une famille d’accueil de la vallée du Florival : « J’ai commencé par enseigner le russe.
L’Europe faisait alors rêver, il y avait alors une promesse de progrès humain qui n’a pas été tenue alors que la Russie était europhile…
Mes parents rêvaient pour moi d’une vie en France. Je voulais juste avoir un diplôme européen en plus de mes diplômes russes et puis rentrer… Finalement, mon rôle est de porter la Russie aux Français, c’est sans doute le plus honorable des destins… »
Elle reprend des études de littérature comparée qu’elle finance en travaillant notamment à la filature de Mulhouse.
Elle soutient sa thèse (Le Roman russe d’Emile-Melchior de Vogüé dans l’histoire intellectuelle, spirituelle, politique et culturelle de la France, 2014) et crée en 2017 son Cercle du Bon Sens, un groupe de travail franco-russe d’inspiration chrétienne.
Son objet ? Oeuvrer à une cohérence de long terme pour défendre « cette nécessité d’amitié » entre la France et une Russie désormais gardienne d’une tradition civilisationnelle dans un monde bel et bien revenu d’une « globalisation » qui dérobe le sol sous les pas de ses habitants
Son action a été récompensée par un diplôme d’amitié franco-russe : « Tout le monde connaît la phrase de Dostoevski : « la beauté un jour sauvera le monde ». Il s’agit bien de porter cette beauté qui manque si cruellement aujourd’hui. Ce sont les pays en dehors du globalisme et des discours droitsdelhommistes qui détiennent cette sensibilité aux vérités essentielles et peuvent transmettre le véritable humanisme, celui qui ne dénature pas l’homme mais le remet sur la voie vers l’essentiel. »
Le cosmisme, une vieille idée russe pour le XXIe siècle
Depuis la fin de l'Union soviétique, les élites russes sont en quête d'idéologies de rechange. Ainsi renaît de ses cendres le cosmisme. Conjuguant foi chrétienne, rationalisme et rêve d'immo...
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