En écho à la demande adressée par les disciples au Christ lui-même – « Seigneur, apprends-nous à prier » (1) –, la prière suscite chez les chrétiens beaucoup de questions. Pour frère Olivier Rousseau, maître des étudiants au couvent des carmes de Paris, aborder ce sujet mérite d’écarter quelques fausses idées : « Jamais personne ne pourra dire : ”Je sais prier.” Prier ne s’apprend pas. En réalité, nous resterons toujours des commençants dans la prière. »
La prière n’est pas un savoir ni une technique. « On n’apprend pas à prier en faisant des conférences ou des cours sur la prière mais en s’y exerçant dans le concret du quotidien », écrit le père Jean Lafrance (2). Si la tradition de l’Église recèle de nombreux conseils pratiques et spirituels pour prier, la prière reste « un don de Dieu », rappelle sœur Claire-Marie, prieure du carmel de Flavignerot (Côte-d’Or). « Et nous pouvons commencer ainsi, en demandant au Seigneur la grâce de la prière. »
Faire silence
Sainte Thérèse d’Avila donne de la prière une définition très simple : « Un (échange) intime d’amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé. » Pour aborder ce cœur-à-cœur, « il s’agit moins d’apprendre quelque chose que de se désencombrer », poursuit sœur Claire-Marie. « Faire silence pour écouter Dieu, être là tout entier, livré comme un enfant contre sa mère, et Le laisser agir en nous, selon les mots de sainte Élisabeth de la Trinité. »
Prêtre de la communauté de l’Emmanuel, à Autun (Côte-d’Or), le père Francis Manoukian propose de « commencer par le Notre Père, car ces paroles portent notre intention : nous sommes là pour Dieu, prêts à accueillir sa volonté, à l’école du Christ ».
L’esprit humain étant tourné vers l’action, entrer dans l’intériorité exige quelques arrangements extérieurs (trouver un calme, éteindre son téléphone) et une juste attention au corps. On peut se tenir debout, assis, à genoux, sur un siège ou un tabouret de prière, mais « il est difficile de prier enfoncé dans un fauteuil les jambes croisées », sourit frère Olivier Rousseau.
Dans Demandez et vous obtiendrez (3), Alain Noël conseille de trouver une position stable et de bien « respirer ». C’est sur le souffle que s’appuie précisément la tradition orthodoxe de la prière du cœur : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu » (en inspirant), « aie pitié de moi pécheur » (en expirant).
Méditer la Parole
« Peu importe le mode de prière : prière vocale (louange, rosaire), adoration du Saint-Sacrement, oraison silencieuse… Il faut trouver ce qui nous aide personnellement à prier et engager notre cœur, estime frère Olivier Rousseau. Mais il est bon de commencer par la méditation de la Parole : c’est par elle que Dieu se fait connaître. » Nul besoin de beaucoup lire : on peut prendre l’évangile du jour et s’arrêter sur un simple verset, un mot qui nous parle.
Parler à Dieu
« Jésus nous invite à la simplicité. ”Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés” (4). La véritable prière commence lorsqu’on se met simplement à parler à Dieu », explique sœur Cécile, prieure des fraternités monastiques de Jérusalem, à Paris. Selon frère Olivier Rousseau, les prières composées sont cependant « une grâce », « surtout si nous les connaissons depuis l’enfance ». « Elles nous façonnent et reviennent facilement à notre mémoire. Si jamais elles deviennent trop mécaniques, on peut en changer : la prière a besoin de créativité. »
Affronter les distractions
La prière se mue quelquefois en lutte contre les pensées parasites et la fatigue, voire le sommeil. Mais ce combat doit être paisible. « Lorsque ces pensées (…) nous obsèdent, elles peuvent devenir matière à prière », propose le bénédictin Benoît Billot (5). Et « il suffit que la lumière de la conscience tombe sur (elles) pour (qu’elles) s’évanouissent et retournent au néant d’où elles viennent ».
Prier peut même consister en ce simple effort, selon saint François de Sales : « Même si tu n’as rien fait dans toute ta vie que de ramener ton cœur et de le placer à nouveau en présence de Dieu, alors que chaque fois, il reprenait la fuite, ta vie aura été bien remplie » (6).
Consentir au silence de Dieu
Quelquefois, un apparent vide est insupportable : si je ne ressens rien, cela vaut-il encore le coup de prier ? « J’ai appris à ne pas juger ma prière, explique sœur Cécile. Selon sainte Thérèse d’Avila, le seul critère de vérification est la qualité de notre vie fraternelle : est-ce que la vie de prière nous conduit à donner notre vie pour nos frères ? »
L’expérience de la « nuit » chez les mystiques, comme saint Jean de la Croix, souligne que cette sécheresse est féconde : « Elle nous protège de la gourmandise spirituelle et nous fait véritablement entrer dans la prière, qui est un acte gratuit d’amour », explique frère Olivier Rousseau. L’impression de ne pas être exaucé conduit aussi à une purification : « Quand je prie, est-ce que je rumine mon monologue, espérant une solution à ma mesure, ou est-ce que je m’ouvre à l’inouï de Dieu ? », demande sœur Cécile.
Choisir la fidélité
« Si vous décidez de prier quand vous en aurez envie ou quand vous en aurez le temps, vous ne prierez pas souvent », écrit avec humour le dominicain Jean-Marie Gueullette (7). « La fidélité inscrit la prière dans notre vie. Tout le monde ne peut pas faire oraison deux heures par jour, mais prendre trois minutes chaque matin pour offrir sa journée, oui. Qu’est-ce qui est faisable pour moi ? », encourage frère Olivier Rousseau.
Prier en toutes choses
Tout peut devenir matière à prière, nul besoin de fuir le monde. « C’est le désir qui fait la prière et qui la fait n’importe où », écrivait Madeleine Delbrêl (8). Pour cette mystique, qui a vécu à Ivry-sur-Seine, « cinq stations de métro », « nos allées et venues d’une pièce à l’autre », l’attente à la caisse ou à l’arrêt de bus « sont des moments de prière préparés pour nous, dans la mesure où nous sommes préparés pour eux. » « Le désir de Dieu est de partager notre vie, tous les moments de notre vie, pas seulement les grands, écrit Alain Noël. Ce sont justement ces petits moments que la prière peut transformer en grands moments. »
Adrien Bail