Le jeûne du mois de Ramadan qui commence pour les musulmans représente une occasion d’entrer en soi.
Comme si le fait que le corps n’est pas, durant la journée, pris par le processus digestif, lui permettait d’être dans une sorte de calme intérieur.
Tout va plus lentement quand on est à jeun, du moins dans mon expérience.
Ce qui permet de vivre les choses avec plus de présence, bien que l’on se trouve parfois, à cause de la fatigue, dans des états qui ressemblent à une présence-absence, comme ce moment d’entre-deux avant de sombrer dans le sommeil.
Or l’expérience du confinement durant la pandémie actuelle fait que ce moment sera un temps de double jeûne, un jeûne par rapport au corps et ses facultés, et un autre par rapport à la vie sociale.
Il y a quelques jours, j’ai dû briser le confinement pour quelques heures et sortir finaliser des documents indispensables.
À mon retour, je me sentais comme assourdie par les sons du monde extérieur.
J’ai éprouvé le besoin de me murer dans un silence grave, dans un état de jeûne profond, de jeûne marial, comme il en est question dans le Coran.
Le Coran propose en effet une description assez imagée de l’histoire de Marie.
Elle apparaît seule dans le temple, où Gabriel va lui annoncer qu’elle aura un fils sans père humain, puis seule dans l’espace vide, sous un palmier, donnant naissance à Jésus.
À la suite de cette naissance, Dieu lui dit de se tranquilliser et lui enjoint un jeûne qui a pour but de la protéger : « Si tu vois quelqu’un d’entre les humains, dis-lui : “J’ai voué un jeûne au Tout Miséricordieux : je ne parlerai donc aujourd’hui à aucun être humain.” » (Coran 19, 26-27.)
Avant Marie, Zacharie lui aussi s’est abstenu de parole mais, dans son cas, ce n’était pas un jeûne mais un signe, le signe du miracle à venir : « Ô mon Seigneur, dit (Zacharie), accorde-moi un signe. – Ton signe, dit (Dieu), sera que tu ne pourras pas parler aux gens pendant trois nuits tout en étant bien portant. » (Coran 19, 10.)
Le temps du coronavirus est un temps d’intériorisation forcée. Avec un jeûne corporel ou non, il peut représenter une chance, pour beaucoup, d’entrer, à un certain degré, dans le jeûne de Marie.
Un jeûne de la parole qui permet de voir ce qui est nécessaire et ce qui ne l’est pas, dans nos vies et dans nos paroles.
Un moment d’intériorisation qui non seulement nous aide à remettre les choses à leur juste place et dans une hiérarchie adéquate, mais nous pousse aussi, tel le jeûne corporel, à briser les habitudes pour un renouvellement continu.
Peut-être serait-il aussi comme le jeûne de Zacharie, un signe préfigurant une nouvelle naissance, cette fois individuelle et collective ?