La faute est classique : écrire « étymologie » en glissant un h entre l’i grec et le t. Faute d’autant plus tentante que le mot « étymologie » est grec. Or, comme on sait, les Grecs nous ont transmis la lettre théta qu’on trouve dans leur « Panthéon » comme au « théâtre ».
L’ironie est qu’on commet alors une erreur… d’étymologie ! « Étymologie » dérive en effet de l’adjectif étéos : « Vrai, correct. »
Rien à voir avec le préfixe « éth- » qui sert à désigner la présence d’une molécule associée généralement à l’alcool. Ainsi de tel composé chimique (l’éthanol) ou d’un état peu enviable, le coma dit « éthylique ». L’orthographe se fait alors espiègle : en écrivant « éthymologie », on pensait briller. Voilà qu’on balbutie comme un ivrogne.
Mais l’ivrognerie n’est jamais que l’image déformée de l’ivresse. La faute est heureuse qui souligne une des puissances de l’étymologie : connaître l’étymologie d’un mot ouvre en lui des possibilités nouvelles et, comme l’ivresse, l’emmène, en le faisant tourner sur lui, loin au-delà de lui-même.
On n’entend plus le mot « maintenant » de la même manière quand on y découvre l’acte de tenir la main, le verbe « main-tenir » conjugué au participe présent. Soudain, tout y est : la main qui s’ouvre et reçoit le présent d’une présence… De même on entend mieux les coquelicots en apprenant l’onomatopée dont leur nom procède : « Cocorico ! »
C’est un mot fort actuel qui s’est soudain mis à tituber sous mes yeux quand je découvris, grâce à l’œuvre du philosophe italien Roberto Esposito, son étymologie. « Immunité », nous apprend-il, a la même facture que « communauté ».
Qu’est-ce que la communauté ? C’est le fait d’être lié (le préfixe co- signifie « avec ») par la dette (munus, en latin, qui a donné « monnaie »). La communitas, c’est l’horizon partagé d’un don qui nous oblige (ob-ligare : « être lié à »).
L’homme, doué de logos, comme le voulait la définition d’Aristote, est par là d’abord doté d’un manque. Ce que l’on met en commun, ce n’est pas ce que l’on possède mais, précisément, cette insuffisance à soi qui nous fait les uns pour les autres.
Dans un essai paru en 2010, intitulé Communauté, immunité, biopolitique. Repenser les termes de la politique, Roberto Esposito oppose, à partir de leur commune étymologie, la communauté à l’immunité.
Celle-ci serait le refus (privatif in-) du munus, de la dette qui oblige. Ce que l’individu moderne cherche, c’est une vie individuelle d’abord, une vie « privée », exempte des liens qui nous obligent.
Ce que l’on veut, c’est cette prétendue liberté qui s’arrête où commence celle de l’autre. La liberté des voisins qui s’ignorent poliment. Ce à quoi l’on aspire, c’est un confinement autorisé, voire moralement encouragé par l’État. L’individu moderne, nous dit Esposito, fuit « la contagion de la relation ». Depuis que Thomas Hobbes l’a théorisé, on sait que l’État moderne, le « Léviathan », a pour vocation de nous protéger les uns des autres, de nous immuniser contre notre prochain.
À l’heure de la distanciation sociale, où chacun est devenu l’intouchable de l’autre ; à l’heure des relectures agressives de l’Histoire, où chacun exige de l’autre qu’il paie sa dette sans reconnaître celle qui nous lie à lui, l’étymologie donne à notre grand désir d’immunité collective une ampleur particulière. Laisserons-nous les protocoles sanitaires, qui dureront tant que cette immunité ne sera pas atteinte, obstruer toujours plus l’horizon communautaire ?