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6 juin 2020 6 06 /06 /juin /2020 22:55

Vous connaissez cette admirable légende proposée par la mythologie gréco-romaine : le mythe de Narcisse. Ce beau jeune homme épris de sa beauté, qui en cherche partout l'image sur les bronzes qui le peuvent refléter, ou sur les nappes d'eau où il peut retrouver sa beauté. Or un jour, en effet, il passe près d'un étang, et il voit ce visage adoré qui est le sien propre et, pour le joindre, il se précipite dans l'étang où il périt. Et sur son corps poussent les narcisses.

Cette légende nous montre que déjà l'antiquité gréco-romaine avait compris la stérilité d'un amour qui revient à soi, la stérilité d'un égoïsme qui s'idolâtre.

Et justement, pour faire surgir en nous une liberté totale à l'égard de cet égoïsme mortel, le Christ nous a révélé la Trinité Divine. La Trinité Divine, c'est le grand joyau de l'Évangile, c'est le grand secret d'amour, c'est la découverte la plus merveilleuse.

En effet, comme Dieu est unique, nous étions tentés de penser qu'Il était solitaire, qu'Il passait son éternité, si l'on peut dire, à se regarder Lui-même, à se louer, à s'admirer et à exiger de Ses créatures qu'elles Le louent et L'admirent. Dieu devenait, dans cette perspective, un cauchemar, Il devenait le Narcisse à l'échelle infinie, Il devenait un égoïsme qui s'idolâtre Lui-même ; et voilà que la Révélation de la Trinité dissipe à jamais ce cauchemar en nous apprenant que la Vie de Dieu, c'est une communion d'amour, que Dieu n'a de prise sur son être qu'en le communiquant, que Dieu ne se regarde jamais, parce que Son regard, c'est une Personne, c'est le Père qui regarde le Fils, c'est le Fils qui regarde le Père; et comme son Amour ne se replie jamais sur soi, c'est cette aspiration du Père et du Fils vers le Saint-Esprit qui respire que à son tour de tout Son Être vers le Père et le Fils, en sorte que notre Dieu, le vrai, vivant et éternel, est un Dieu qui se désapproprie de Lui-même, un Dieu qui ne se possède pas, un Dieu qui ne se contemple pas, un Dieu pauvre comme saint François l'a si profondément deviné et exprimé.

C'est ce Dieu-là qui est notre Dieu, non pas un Dieu qui nous surplombe, qui nous domine, qui nous écrase, et qui nous punit mais un Dieu qui se donne, qui est Dieu parce qu'Il se donne éternellement et dont le mystère créateur réside précisément dans ce don. C'est parce que l'Amour déborde en Dieu qu'Il suscite les créateurs, qu'Il nous fait naître à l'existence pour nous communiquer ce qu'Il est, pour que nous devenions comme Lui transparents à Sa Lumière, pour que nous devenions comme Lui une pure respiration d'amour.

C'est là le sens de la Création : non pas de créer des sujets assujettis à une loi, mais de créer des fils, de créer des êtres libres qui devant Dieu ont la possibilité du et du qui devant Dieu peuvent disposer d'eux-mêmes et qui deviennent en quelque sorte, dieux à leur tour. C'est ce que dit un texte du Moyen-Âge, ce texte incomparable du Beatitudine» où l'auteur inconnu dit : « Et ce qui nous enflamme à l'amour de Dieu, c'est cette humilité de Dieu qui s'est soumis aux anges et aux âmes saintes, comme un esclave que l'on achète sur le marché, comme si chacune de ses créatures était son Dieu. »

C'est bien cela, en effet, le mystère adorable de la Création : Dieu a fait de nous ses dieux. Il a voulu nous atteindre par notre liberté. Il a voulu nous saisir dans cette relation nuptiale avec Lui, qui fait de la vie authentique un mariage d'amour avec Dieu. C'est pour nous atteindre, pour demeurer en nous, pour que Sa Vie devienne la nôtre et la nôtre la Sienne, qu'Il s'est incarné. Il a communiqué à l'Humanité Sainte conçue dans le sein de la Vierge Marie, Il a communiqué à cette Humanité cette liberté infinie qui est le fond de Son Être, car Il est libre de Lui-même puisqu'Il ne se regarde jamais, puisqu'Il n'est qu'un élan d'amour, puisqu'Il est une circulation éternelle de charité du Père au Fils, du Fils au Père, dans l'embrassement du Saint-Esprit.

Dans le Christ, tout l'univers visible a été fiancé à Dieu• Dans le Christ a été déposé au sein de l'humanité ce ferment de libération qui est le Christ Lui-même, ce ferment de libération qui demeure à jamais et qui nous est communiqué sous l'espèce du pain et du vin dans le Mystère Eucharistique. C'est là l'aboutissement de cet élan créateur qui jaillit du coeur de Dieu et qui atteint le fond même de l'univers. C'est là l'aboutissement de trajectoire : cette miette de pain, cette goutte de vin où le Seigneur en personne se communique.

Songez que toutes les cathédrales du monde, toutes les basiliques, toutes les églises n'ont jailli du sol que pour enclore cette miette de pain, cette goutte de vin où le Seigneur dans son vêtement de suprême humilité se communique à nous, demeure en nous pour nous transformer en Lui. Même ce Mystère adorable qui fait vivre les murs des cathédrales, qui fait que la lumière de la petite lampe adore à notre place, qui fait que toute la pierre devient vivante, et que du sommet jaillit un hymne infini à l'Amour créateur, ce Mystère a son départ, bien sûr, dans la Trinité Divine.

De la Trinité à l'Eucharistie, et de l'Eucharistie à la Trinité, il y a une relation essentielle, parce que, justement, comme la Trinité est l'Amour où il n'y a que l'Amour, l'Eucharistie est la manifestation et comme l'enracinement de cet Amour au coeur de notre vie.

Et nous voulons joindre ensemble l'Eucharistie et la Trinité, et nous voulons nous émerveiller, et nous voulons regarder le visage de l'éternelle beauté, et nous voulons nous réjouir de ce que Dieu se soit révélé comme unique et non pas solitaire, unique et non pas solitaire précisément parce qu'Il n'a prise sur son être qu'en le communiquant.

Et c'est là que le mystère de notre vie se noue à son tour, car nous aussi nous n'avons prise sur notre être qu'en le communiquant. Dès que nous voulons nous enfermer en nous-mêmes, nous sommes prisonniers de nos préfabrications, de nos ténèbres et de nos convoitises. C'est en desserrant les mains, c'est en les ouvrant pour donner, c'est en regardant vers l'autre, et d'abord vers l'Autre Divin que nous entrerons dans les chemins de la véritable liberté.

Le Dieu-Trinité se communique dans le Dieu-Eucharistie: oui, c'est cela ! Il est, par le silence, le modèle et la source de notre liberté.

Nous voulons donc nous cacher ce soir dans Son Coeur... du fond de notre abîme Lui demander au milieu de nos ténèbres de surgir en nous comme la lumière, comme l'espace infini où notre liberté respire. La voie est ouverte. Nous savons maintenant dans quelle direction marcher. Nous allons mettre nos mains dans les mains du Sauveur, en implorant l'Esprit de Vérité, en Le suppliant d'allumer en nous le feu de Son Amour afin que notre VIe devienne transparente à ce Visage Adorable après Lequel toute la terre soupire.

Zundel

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