Frère François Cassingena-Trévedy Moine bénédictin à l’abbaye de Ligugé (Vienne) et théologien La longue période de suspension des célébrations religieuses est, selon le frère François Cassingena-Trévedy, une occasion pour les catholiques de s’interroger sur la signification et la place du mystère de l’Eucharistie.
Comment le « jeûne eucharistique », vécu par les fidèles pendant plus de deux mois, peut-il nous réinterroger sur ce sacrement ?
Frère François Cassingena-Trévedy : Ce que nous avons vécu, ce manque ressenti, ne nous invite pas à déserter nos églises mais bien à considérer ce qui doit être remis en question en nous-même sur le sens de l’Eucharistie. Il nous faut ainsi effacer de nos esprits la tentation de percevoir la messe comme un simple distributeur de pastille eucharistique.
Nous sommes chrétiens en communauté. L’acte même de célébrer ensemble est fondamental. C’est aussi un engagement physique par notre corps – primordial dans le christianisme.
Nous avons besoin de chanter, d’écouter, de voir, de sentir. Sans la célébration eucharistique, il nous manquerait l’expérience physique de la communauté, la présence réelle de celle-ci.
Le chrétien existe par cette célébration, dont les rituels ne sont que des instruments provisoires.
La présence n’est pas enfermée dans l’Eucharistie, mais elle est la grande ressource de notre foi.
En quoi l’Eucharistie est-elle « source et sommet » de la vie chrétienne ?
F. F. C.-T. : Dans l’Eucharistie, il y a bien sûr une dimension spirituelle, cette rencontre personnelle avec le Seigneur, mais l’Eucharistie est d’abord la volonté de faire corps du Christ.
Nous redécouvrons peut-être qu’il s’agit d’une nourriture spirituelle par la présence du Christ ressuscité mais qui déborde et est une exigence de vie.
L’Eucharistie n’est ni une pastille de présence de Jésus, ni une vitamine de sacré qui crée une émotion spirituelle.
Si le manque ne porte que sur le fait d’être sevré de mon moment avec Jésus, je ne crois pas que cela témoigne d’un rapport ajusté avec l’Eucharistie.
Elle est cette célébration communautaire qui conduit à l’engagement sur la foi de la parole de Dieu que nous écoutons ensemble et essayons de comprendre.
La célébration eucharistique est à la fois un aboutissement et un point de départ.
C’est une exigence de vie chrétienne. Combien de fois nous arrive-t-il, par notre incohérence, de vider la présence réelle ?
Comment pourrais-je communier à Jésus dans l’hostie, si je ne suis pas un peu questionné par la présence du Christ dans mon frère ?
En ce sens, il n’est peut-être pas mauvais d’en avoir été privé pour s’interroger sur un rapport qui peut se révéler très matérialiste.
Mais, finalement, comment comprendre que le Christ nous appelle à faire ainsi mémoire de lui par l’Eucharistie ?
F. F. C.-T. : Il est fondamental de s’interroger sur l’intention de Jésus, celui qui nous révèle un Père et non un Dieu philosophique.
Jésus donne sa vie et nous introduit dans cette relation au Père qui est le seul nom légitime de Dieu.
J’ose dire que je ne connais pas Dieu mais seulement le Père, que personne n’a jamais vu mais que le Fils a fait connaître et qui me voit dans le secret.
En nous introduisant à ce Père, Jésus fait de nous tous des frères, ce qui forme une humanité complètement nouvelle, révolutionnaire.
Voilà, pour moi, le sens de l’Eucharistie, de ce pain que le Père nous donne.
En cela, elle nécessite une conversion. De quoi ai-je besoin dans l’Eucharistie ?
Est-ce une petite émotion spirituelle douce ou le besoin de faire corps avec mes frères et d’être en relation filiale avec ce Père que Jésus me révèle et qui me donne aujourd’hui mon pain, comme nous le disons dans la prière du Notre Père ?
L’Eucharistie demeure ainsi un mystère qu’on ne peut qu’approcher.