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26 octobre 2020 1 26 /10 /octobre /2020 20:30

Comment approcher le Coran ? Une piste est possible.

Le Coran est un texte bien difficile à approcher pour nous, chrétiens occidentaux.

Il y a pourtant une façon de le parcourir, peu connue chez nous mais tout aussi méconnue chez les musulmans « de base ».

Essayons d’aborder le Livre par la lecture éclairée des soufis, ces « gens du banc » ou « de la laine », c’est-à-dire ceux qui, aux temps prophétiques, se tenaient discrètement sur le côté (le banc) ou étaient revêtus de l’humble laine de mouton. Un soufi se présente dans sa confrérie comme un faqir, un « pauvre en Dieu ».

On connaît les trois boules qui surmontent le toit des mosquées, de la plus grosse à la plus petite. Elles représentent, pour la première, la Charia, religion et loi communes pour le plus grand nombre, si ce n’est pour tous. La seconde, à un niveau plus profond, est Imam, la Foi. Enfin la dernière est Ihsan, l’excellence, degré subtil de la Connaissance dont le Soufisme se réclame.

On trouve tout dans le Coran, tout et son contraire, la miséricorde comme l’impitoyabilité. 

Pourquoi ? L’Evangile n’a pas été lui non plus à l’abri d’interprétations variées, voire opposées.

Il faut avoir tout d’abord à l’esprit que l’Islam est une religion mère, et que la Oumma (la Communauté) qui la caractérise, ne veut perdre aucun de ses enfants. La Oumma est comme un grand cercle à l’intérieur duquel ceux qui se trouvent près de la circonférence comme ceux qui se rapprochent du centre, font tous partie de la même Communauté.

Commençons par ce verset qui illustre bien cette notion de Communauté, la Oumma:

Je vous ai donné une Parole, afin que chacun puisse la recevoir selon son propre degré d’entendement. Si tu veux du jugement et de l’exclusion, tu vas les y trouver, et si tu veux du spirituel tu vas en être nourri largement. Certains en sont encore aux formes : ils sont musulmans. D’autres sont sur une voie d’intériorité, ils sont musulmans.

Le Soufisme, qui remonte, nous l’avons vu, aux tous débuts des temps prophétiques, se définit comme « Cœur de l’Islam », Ishan étant l’excellence. Si le terme de Gnose a été assimilé à de l’hérésie dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, il n’en est rien en Soufisme où Connaissance cachée (Gnose) et Initiation ont gardé toute leur place.

Nul ne connaît son interprétation (Coran III – 7 ): entendez l’interprétation du Coran. Étonnant verset qui dérange tant les dogmatiques musulmans, empressés qu’ils sont de jeter des anathèmes. Seul Dieu connaît le sens ultime du texte, voilà ce que dit le Coran lui-même, ce qui devrait rendre chacun humble et tolérant.

Pour renforcer ce verset, la tradition donne à Dieu cent noms. De tous ces noms ou attributs, les plus rapprochés que seraient les connaissants, les prophètes ou les humbles, n’en pourront jamais connaître que quatre vingt dix neuf.

Voilà bien une autre leçon d’humilité : au cœur même de chaque nom que tu invoques et prononces avec tant d’aplomb, persuadé que tu es de connaître le sens ultime, le centième nom joue comme le rôle d’une déconstruction incontournable : tu crois me connaître, te chuchote Dieu, eh ! bien non, tu n’y parviendras pas !

Et comme preuve supplémentaire de cette impossibilité foncière, s’il en fallait une, on dit dans la Tradition que le voile de Dieu, c’est la lumière : qui pourrait voir derrière ce voile de la lumière ? N’est-il pas également dit que celui qui verrait Dieu en mourrait instantanément ?

Autre verset dérangeant : « En religion, nulle contrainte »(Coran II - 256). Eh oui, c’est dans le Coran : pas de contrainte en religion, qui l’eut cru quand on entend tous les jours les prêcheurs faire et dire le contraire ? Ce verset se trouve appuyé immédiatement par cet autre : « Si Dieu l’avait voulu il aurait fait de vous une seule communauté, mais Il vous a laissé une pluralité de formes afin que vous vous connaissiez ! » (Coran V – 53)

La bienveillance, cela saute aux yeux pourtant : toutes les Sourates, ces tranches de Coran au nombre de cent quatorze, toutes les sourates, sauf une, commencent par la bénédiction : « Au nom de Dieu, le Miséricordieux ». Ce détail répété trop souvent machinalement, mais pourtant énorme, indique bien que l’éclairage du Texte en son entier se fait sous la lanterne de la Miséricorde.

Nombreux en effet sont les versets ou les hadiths (faits et paroles attribués au Prophète) qui s’avèrent contenir les mêmes leçons que la Parabole du Bon samaritain, où, à plusieurs reprises, le Juif et le chrétien par exemple, au cours d’une anecdote, sont présentés comme « le bon muslim ».

Est muslim, un mot qu’on peut traduire par « croyant », ou mieux, vrai croyant, est muslim celui qui fait la volonté miséricordieuse de Dieu, bien plus que celui qui se dirait trop vite musulman ou trop facilement musulman de naissance.

Mourrez avant de mourir, ce hadith, l’un des préférés des soufis, n’est pas  sans nous rappeler le verset : « Si le grain ne meurt »... mourir à soi-même, pour renaître à la Vie, et donc éteindre la vanité de l’égo, lorsque le croyant de tous bords juge et condamne les autres au nom de la vérité de sa religion.

Un maître soufi, il y a peu de temps, recevant ses disciples pour fêter l’Aïd, n’avait pas tué de mouton. A ceux qui semblaient s’en étonner, il dit : « Ne vous y trompez pas, il ne s’agit pas de tuer un mouton, mais bien plutôt de tuer l’égo ! ».

C’est pourquoi, dans cette veine, le véritable sens du mot Djihad n’est pas la guerre contre l’autre, mais la bataille qui se livre au-dedans de soi, « sans haine d’hommes et sans effusion de sang » comme disait Lanza del Vasto.

Un hadith célèbre raconte, qu’au retour de l’un des derniers soirs de bataille, le Prophète aurait dit à ses compagnons : « Jusqu’à présent nous avons fait les petites guerres, il nous faut à présent commencer la grande guerre (le Djihad).»

Quel sens donner à ce mot de grande guerre ou de guerre sainte pour employer une terminologie chrétienne ?

Encore une fois, que chacun, au fond de soi, choisisse sa lecture et ensuite, sa Vocation.

Pour finir, un mot sur le Salam aleykoum : le salut avec toi (avec vous). Attention : Salam est l’un des cent noms de Dieu. Si bien que, la main posée sur le cœur, les deux personnes qui se croisent se disent : Dieu qui est dans mon cœur est dans ton cœur. Cette réciprocité du geste, lance comme un fil entre les deux : non seulement Dieu est en chacun de nous, mais il est entre nous, nous reliant par le cœur, et d’où chacun invite fraternellement l’autre à ce qu’il n’oublie pas cette présence de « Dieu en Soi », comme disait Marcel Légaut.

Le Salut donc, le Salam, est un Rappel. Un appel à l’Éveil. Et les soufis de dire que le Dhikr qu’ils pratiquent (souvent répétition lancinante des noms divins) veut dire incantation et surtout : rappel.

En notant enfin que Salam, l’un des noms les plus proclamés dans le Soufisme, veut dire : Paix.

Salam, donc, à chacun de vous, et au fond de vous.

Jean-louis Carrasco-Peñafiel - Septembre 2020

PS : Il faudrait ici mille pages pour prolonger l’étude, ce dont nous sommes bien incapable. Toutefois ces quelques éléments, si infimes, pourront peut- être nous orienter, malgré les difficultés d’approche qui subsisteront. Le Coran, comme la langue arabe, porte en lui quelque chose du Sahara, ce désert mouvant, demain jamais vraiment le même qu’aujourd’hui. Une Parole qui va et vient, quelquefois en tourbillons de sable, que tu crois saisir ici mais qui n’y est plus, et dans laquelle il semblerait que seul un véritable nomade de l’Esprit pourrait conserver des repères

 

 

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