Dieu est dans les détails, dit-on. Le secret des mots aussi. Ce que le mot veut dire, c’est souvent silencieusement qu’il nous le dit. L’essentiel du mot « hors-la-loi » se niche par exemple en ses deux traits d’union.
Ceux-ci indiquent, comme en passant, ce fait : il n’y a de hors-la-loi que si la loi existe et par rapport à elle. Nullum crimen, nulla pœna, sine lege : ni le crime, ni la peine ne se peuvent sans la loi.
Le hors-la-loi n’est donc pas d’abord l’homme sans foi ni loi. Chacun, aujourd’hui, s’en rend compte : a-t-il oublié de remplir son attestation en se rendant à l’épicerie ? Promène-t-il son chien sans avoir mis de masque ?
Prête-t-il main-forte à un ami qui déménage à l’autre bout de la France ? Voici l’honnête homme hors-la-loi. Le million de contraventions, amplement dépassé, pour absence d’attestation, ou bien révèle que la France est peuplée de brigands, ou bien rappelle, avec saint Paul (Rm 7, 7-8), que c’est la loi qui fait le pécheur. Plus le droit est torve, plus nombreux sont les criminels.
Mais d’où vient-elle, cette loi ? Elle ne tombe pas du ciel ! Quoique… Puisque nous sommes en état d’urgence, l’exécutif est souverain. Souverain ?
« Est souverain, disait le juriste allemand Carl Schmitt, celui qui décide de l’état d’exception. » Autrement dit, les lois dépendent, ultimement, de celui dont le pouvoir va jusqu’à les suspendre, du moins s’il estime que la situation l’exige.
Dans leur cours ordinaire, nos lois garantissent ces deux droits fondamentaux : la liberté de circulation et le droit de réunion. Ces jambes sur lesquelles marche toute notre vie publique sont empêchées « jusqu’à nouvel ordre ». Ce « nouvel ordre » émanera du souverain, quand il mettra fin à l’état d’exception.
L’état est « d’exception » en tant qu’il indique, dans la loi, quelque chose qui y échappe. Appelé aussi « dictature » (par les Latins), « état de nécessité » (Notstaat en allemand) ou « loi martiale » (martial law), il se loge dans toutes les constitutions (en France, dans l’article 16) comme l’aveu que le législatif ne dure que pour autant que l’exécutif le lui permet.
Les traits d’union du terme « hors-la-loi » dissimulent le fait que le véritable hors-la-loi est le souverain, en tant qu’il n’est pas lié par les lois dont il est le garant.
Aussi, M. Macron, lors de sa dernière allocution, pouvait-il affirmer : « Je ne rendrai pas le vaccin obligatoire. » Le « je » présidentiel exprime sa puissance – et d’autant plus qu’il consent à ne pas en faire usage autant qu’il le pourrait.
Chose intéressante : ce modèle de la souveraineté fut conçu à partir d’une certaine théologie, gageant que Dieu, ayant créé les lois de la nature, n’y est pas Lui-même soumis. Le miracle est à l’ordre créé de la nature ce que les décrets et autres ordres émanant directement de l’exécutif sont à notre Constitution.
Dieu est un monarque constitutionnel qui peut exceptionnellement, quand le jeu mécanique des lois produit de douloureux désordres, en suspendre le cours. Ainsi la chute normalement mortelle se révèle inexplicablement bénigne…
Mais alors, le hors-la-loi par excellence, ce serait Dieu ? Jésus ne craint pas de parler de Lui comme d’un cambrioleur (titre qu’un récent essai réserve à notre Président…).
Sa miséricorde (dont le pendant temporel est le droit de grâce présidentiel) bouleverse les ordres établis et donne le vertige aux légalistes. La foi peut ici servir la démocratie : savoir qu’il y a au-dessus de soi un plus brigand que soi devrait inspirer aux souverains un usage parcimonieux de leur pouvoir.
Martin Steffens
Philosophe
Auteur de Marcher la nuit. Textes de patience et de résistance, Desclée de Brouwer, 320 p., 18,90 €.
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