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16 décembre 2020 3 16 /12 /décembre /2020 21:45
Le moine et le cuisinier

Parfois, des   êtres  d'exception venus d'univers totalement différents  se rencontrent. Avant même de s'adresser la parole, ils se sont  compris. Ils ont le feu sacré. On se souvient ainsi de l'amitié entre le  peintre Claude Monet et l'homme d'Etat Georges Clemenceau, deux fauves à la sensibilité exacerbée que rien, jamais, ne sépara.

Il en va de même aujourd'hui avec le cuisinier  Gérald Passédat et le moine orthodoxe frère  Jean.

Entre l'ancien  «voyou» de Marseille, adolescent turbulent devenu chef trois étoiles Michelin à 48 ans (en 2008) et le robuste Cévenol illuminé par Dieu en 1983 au mont Athos, en Grèce, l'amitié  coule de source depuis une dizaine d'années.

Comment se sont-ils connus?  C'était au Petit Nice, le restaurant familial des Passédat  transmis de généra­tion en génération depuis 1917, l'un des plus beaux décors de Marseille, dressé face à la mer comme un vestige de la Côte dAzur de la Belle Epoque.

Frère Jean et l'inséparable frère Joseph avaient quitté le temps d'une  journée leur petit monastère des Cévennes (le skite Sainte-Foy, dépendant de l'archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale, dont le siège est la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky de la rue Daru, à Paris) pour s'offrir un beau repas.

« Ce repas est resté gravé dans ma mémoire, raconte frère Jean.

Tout n'était qu'har­monie : la beauté de la mer, la bonté de toute l'équipe qui nous a accueillis, la discrétion  du service et la cuisine du chef avec ses goûts inouïs.

Je me souviens encore de ses bouillons transparents  et de sa rascasse farcie aux petits légumes. La cuisine de Gérald  parle, elle est vivante, car il regarde la nature avec les yeux d'un  enfant.

Pour moi, Passédat est à sa manière  un prophète: il prépare  le chemin de l'émerveillement.»

Lorsque  Gérald  vit ces deux moines orthodoxes dans sa salle à manger en train de s'extasier devant ses beignets d'anémone de
mer avec leur nem d'huître et ses rougets de roche aux coquillages et à la panurée de pistaches, il n'en crut pas ses yeux : «Je ne pensais  pas recevoir  un jour de tels hôtes ! C'est  un honneur  pour moi.

Chaque  année ou presque, je les vois revenir dans mon restaurant, comme s'ils venaient  faire le plein de sensations nouvelles.

Et ce qu'ils disent de ma cuisine me touche  énormément. Nous nous comprenons, car je ne peux pas concevoir la  vie sans le sacré.

Depuis toujours, je suis en adoration devant   la beauté  de la nature  et de l'Uni­vers, le mystère qu'il y a  derrière. Notre rencontre n'est pas le fait du hasard, j'en suis  persuadé!»

Le moine et le cuisinier

Avec Gérald  Passédat  et frère Jean, la cuisine n'est plus
seulement  un spectacle, un art du paraître, mais un chemin qui
peut aussi mener  à l'éveil, à une connaissance du monde qui nous englobe : «Magnifier le produit de la mer, cela a toujours été ma façon de prier.»

Quel parcours que celui de ce Provencal dont l'une des grands-mères, Lucie, était cantatrice à l'Opéra de Marseille !  Les épreuves de la vie ne l'ont pas épargné. «Pour vivre, il faut avoir un grand rêve. Le mien, c'était de décrocher trois étoiles Michelin à une époque où personne ne croyait en Marseille. J'ai su que c'était mon destin quand j'ai découvert la cuisine dAlain Chapel à l'âge de 12 ans, à Mionnay.

Grand et mince dans son tablier blanc, il me donnait l'impres­sion de voler... Sa nage de crustacés  était sublime. Dans les
années 1970, il fallait être fou pour choisir le métier de cuisi­nier. Il était mieux vu d'être médecin, avocat ou même voyou.» 

Gérald  Passédat est notre plus grand cuisinier de la mer.
Il a été le premier  à sublimer  les poissons de roche oubliés, dont on ignorait même les noms.

Aujourd'hui, il travaille plus de
70 espèces, dont il utilise toutes les parties y compris la peau (pour faire des chips), les arêtes et la tête (pour  préparer  des
infusions).

Dans sa cave, il fait maturer les grosses pièces (dentis, loups, daurades...). Chez lui, l'oursin en mille façons se boit, se croque, se sirote ou fond sur la langue avec des pétoncles et une mousse d'artichaut violet.

Il est toujours le seul à cuisiner l'anémone de mer. Et la murène, sous ses doigts, se révèle aussi fine que la langouste...

Il a grandi sur ses rochers, et, quand il veut tout oublier, il plonge à quarante mètres de profondeur.

Ses pêcheurs  lui apprennent l'état  de la
mer, qui est son ter­roir. Comme leurs ancêtres italiens et catalans, ils continuent  à utiliser l'hameçon  et la palangre: «Leurs poissons ne touchent pas la glace et arrivent vivants chez
moi. Je les enveloppe alors dans du beau linge blanc.»

Dans sa cuisine, chargée  d'émo­tion, on sent le côté piquant du mistral et l'aridité de son pays.

Ses produits préférés sont la brousse du Rove (un délicat caillé très frais issu d'une race antique de chèvres) et la poutargue, le caviar de la Méditerranée, qu'il utilise en« ponctuation franche
et savoureuse».

Les blogueurs  avides de l'« effet waouh»  qui l'appellent pour se faire inviter (et qu'il rembarre) l'ignorent  sans doute: Passédat a tracé son chemin tout seul, dès 1990, à une époque où il était impensable de ne pas proposer de viande.

«Avec l'Oustau de Baumanière, j'ai été le premier à mettre le régime crétois à la carte d'un restaurant gastronomique : poissons, légumes, huile d'olive... je me suis fait fusiller par la critique!»

Car pour Gérald, comme pour frère Jean, le cuisinier est là avant tout pour restaurer,  pour soigner, pour réparer, pour faire du bien ... «Autrefois, après un repas, on frôlait la crise d'apoplexie tellement  la cuisine était grasse. Chez moi, on se sent léger. Le poisson nourrit et l'iode régénère.»

Passédat fait peur, il n'est pas assez miel, sa gastronomie  est pure et exige une préparation chez ceux qui viennent au Petit Nice, où l'es­prit monacal (discipline, rigueur, adoration  du produit) plane comme un parfum de safran.

C'est peut-être  pour ça qu'on ne l'invite jamais à la télévision: «Mon  père m'a fait gravir les marches une à une, car il faut une vie pour devenir cuisinier.

Je ne crois pas en l'instantanéité qui règne aujourd'hui. On fait croire aux jeunes qu'ils peuvent arriver au sommet en un cla­quement de doigts, mais ce n'est pas vrai.» 

En fait, il y a un mystère Passédat: un jour, on s'est rendu compte que ce qu'il faisait était sublime.

«C'est  comme une vigne que vous travaillez en biodynamie. Avec le temps, les racines plongent profondément dans le sol, la vie revient et les fruits sont délectables.

Moi, c'est pareil: j'ai passé ma vie à approfondir mes racines marseillaises et à diriger cette grande famille que l'on appelle un restaurant.»

Au fil des ans, le moine et le cuisinier ont entamé  un dialogue qui les a enrichis tous les deux. Jusqu'à ce jour de 2020 où est né chez eux le désir de réaliser un repas de fête à quatre mains.

En octobre, Gérald s'est donc rendu chez frère Jean, dans son petit monastère  des Cévennes, fondé  en 1996 dans un ancien prieuré bénédictin du XVIe siècle, au-dessus d'un piton rocheux qui domine un paysage grandiose de forêt, de terrasses et de murets de pierre sèche: «Un lieu magnétique et fascinant où j'ai passé une journée extraordinaire.»

Le moine et le cuisinier

Pour frère Jean, un repas peut devenir un moment sacré: «Le Christ a commencé sa mission par un repas, et il l'a achevée par un autre repas.»

Dans son monastère, la cuisine est un pro­cessus long qui part des graines qu'il a lui-même plantées dans son potager, sans utiliser une goutte de chimie.

Les saisons lui dictent ses menus. Sa table est ouverte aux hôtes et aux pèlerins qui se régalent de ses soupes, de ses daubes de sanglier et de ses
gratins de courge aux châtaignes.

«Je conçois la préparation des repas et le partage des mets comme une louange à la Création. La
gourmandise n'est pas un péché. Le péché, c'est de ne pas être   gourmand, de ne pas aimer  assez la vie dans toutes  ses dimensions.» 

Seul à table, on ne sent rien, il faut être ensemble
pour apprécier  le goût d'un  plat et d'un  vin.

Frère Jean reçoit ici des artistes, des chefs d'orchestre, des préfets, des militaires, des chirurgiens, des écrivains.

Tous ne sont pas nécessairement chrétiens. Mais ils ont soif de quelque chose d'autre.

Le moine en profite alors pour leur montrer à quel point la nature souffre et ne sait plus où elle en est : « En plein mois d'octobre, on voit des cerisiers en fleur couverts de neige, des pommiers avec des pommes frappées par la grêle et des fleurs...
C'est  une crise cosmique.» 

Télécharger l'article paru dans Paris Match

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