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3 février 2021 3 03 /02 /février /2021 20:25

Selon le courant auquel il appartient, le fidèle musulman insistera plus ou moins sur l’une ou l’autre des dimensions de l’islam. Contre des courants qui survalorisent le respect des normes religieuses, les nouveaux penseurs appellent à retrouver l’éthique et la spiritualité.

Quels sont les différents discours musulmans ?

L’islam donne parfois l’impression à l’observateur extérieur d’être très préoccupé par la manière de se vêtir, de manger ou de prier. Internet regorge de forums sur lesquels des soi-disant « savants » musulmans répondent aux questions de fidèles comme « L’épilation des sourcils est-elle autorisée en islam ? » ou encore « Dois-je permettre à ma fille de dormir chez son amie non musulmane ? ».

Signe de leur appartenance à la mouvance salafiste, les réponses s’appuient le plus souvent sur des hadiths, ces courts récits censés rapporter des propos ou des gestes de Mohammed et ses compagnons.

D’autres fidèles – appartenant notamment aux différentes écoles soufies – insistent sur la dimension spirituelle, voire mystique, de leur religion.

Les structures proches des Frères musulmans, quant à elles, vont présenter l’islam comme un moteur de « citoyenneté » et d’engagement en vue de la construction d’un « ordre social » musulman.

Enfin, pour certains jeunes musulmans – même Français depuis plusieurs générations – l’islam sert d’« identité refuge ».

« À défaut de trouver une place digne dans la République, certains d’entre eux, déçus et amers, se réfugient dans un “patriotisme religieux” qui se construit en opposition à la société ­dominante », relève l’islamologue Rachid Benzine (1).

Que dit la tradition musulmane ?

Dans la tradition musulmane, la révélation coranique se présente comme une rupture radicale avec l’ère de l’ignorance (jâhiliyya) qui prévalait jusque-là, une ignorance associée à « l’humiliation, la pauvreté et l’égarement ».

« La ”descente” du Coran a été mythifiée comme une recréation du monde, une réitération du geste créateur originel de Dieu lorsqu’il a créé le monde », explique le philosophe Abdennour Bidar, qui y voit la raison profonde pour laquelle l’islam « réclame le droit de réglementer strictement tous les aspects de la vie humaine » (2).

Plus que le Coran lui-même, c’est la Sunna – ces milliers de courts récits censés rapporter des propos ou des gestes de Mohammed et de ses compagnons et à l’historicité souvent douteuse – qui a multiplié les prescriptions destinées aux fidèles dans tous les domaines de la vie, y compris les plus intime (l’allaitement, les menstruations, la taille de la barbe, etc.), faisant de l’islam une « législation » (charia) pour l’existence entière.

Les cinq prières quotidiennes, les interdits alimentaires comme les règles vestimentaires sont vus par la grande majorité des musulmans comme des lois émanant de Dieu lui-même et avec lesquelles ils ne peuvent transiger sans compromettre leur salut.

Contesté par certains penseurs musulmans à partir de la fin du XIXe siècle, ce discours normatif a repris une nouvelle vigueur depuis la fin des années 1960 avec la diffusion du wahhabisme saoudien et du courant des Frères musulmans.

Aujourd’hui, le discours musulman dominant présente les règles fixées par la tradition comme « intemporelles », applicables en tout lieu et en tout temps.

Quelles pistes pour avancer ?

L’historien et philosophe Mohammed Arkoun (1928-2010) a, le premier, remis dans son contexte historique l’élaboration de la tradition prophétique. Remarquant qu’elle coïncide avec la structuration de l’empire omeyyade (661-750) puis abbasside (750-1258), il l’analyse comme le moyen pour ces pouvoirs naissants de légitimer leur pouvoir temporel.

« En désobéissant aux pouvoirs temporels (garants et interprètes de ces lois), les peuples musulmans désobéissaient à Dieu même », résume le philosophe Abdennour Bidar.

C’est ce lien entre temporel et spirituel que les nouveaux penseurs de l’islam cherchent à dénouer.

Face à un « pôle identitaire » aujourd’hui dominant dans l’islam, « il faut que les instances, partout, encouragent, et surtout protègent la pensée musulmane critique qui introduit l’usage de la raison et de ses outils – philosophie, histoire, linguistique… – dans l’étude de la religion », affirme Rachid Benzine.

« Et il faut que les musulmans puissent s’attacher davantage à la visée éthique de l’islam, pour en tirer les enseignements qui leur permettent de rejoindre les autres (leurs concitoyens non musulmans NDLR).

Pour peu que ces autres, de leur côté, soient aussi prêts à leur donner leur place. »

Anne-Bénédicte Hoffner

(1) « L’islam est devenu une identité refuge, dans laquelle on va chercher sens et dignité », sur Telerama.fr, 22 octobre 2020.

(2) « L’Islam englobant, réalité et mort d’un mythe », dans Les Cahiers de l’Orient, 2013.

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