Amour, liberté, dialogue, respect, vie, solidarité, etc. Même si le sens des mots a pu changer, même si leur acception religieuse s’est perdue en route, la plupart des valeurs qu’ils exprimaient ont fondé notre civilisation...
Bernard Lecomte : Oui, la plupart de ces mots ont perdu leur dimension religieuse, mais ils sont encore le fondement de notre culture et président à la recherche de ce que nous appelons aujourd’hui le « vivre ensemble ».
La déchristianisation est spectaculaire, en France, depuis une trentaine d’années. Une majorité d’enfants et d’adolescents, mais aussi un nombre croissant de jeunes adultes, dans notre pays, ignorent totalement l’origine de tous ces mots qu’ils entendent en classe ou à la télévision.
En voici, dans le désordre, quelques exemples flagrants :
Amour
- Ce mot magnifique qui tend à se ratatiner aujourd’hui autour de la vie de couple, voire des relations sexuelles, avait un sens beaucoup plus large et profond au début du christianisme, et pour cause : il est omniprésent dans l’Evangile ! Première révélation de Jésus : « Dieu est Amour ! » C’est une incroyable innovation dans l’histoire des hommes. Premier enseignement du Christ : « Aimez-vous les uns, les autres ! » C’est à la foi l’originalité et le socle de cette nouvelle religion appelée à un avenir chahuté, contrasté, qui compte encore aujourd’hui près de 2 milliards de fidèles, ce qui n’est pas rien.
Charité
- La charité, c’est l’’attention aux autres. Elle est d’autant plus nécessaire dans un monde égoïste, individualiste et souvent déshumanisé. Plus largement, c’est l’amour des autres. Amour et charité, pour les chrétiens, sont des mots synonymes. Cela ne veut pas dire que les chrétiens soient beaucoup plus charitables que les autres hommes, hélas ! Mais cette vérité-là anime beaucoup de bénévoles, cathos ou pas cathos, qui donnent de leur temps au sein des Restos du cœur ou de Handicap International en passant par les Apprentis d’Auteuil, le Secours catholique ou CCFD-Terre solidaire, pour ne citer que ceux-là. On appelait cela, il n’y a pas si longtemps, « aider son prochain ».
Humanité
- Le fondement de la religion chrétienne, qui est au cœur de la fête de Pâques, c’est celui-ci : Dieu aime tellement les hommes qu’il a donné son fils pour les sauver de l’égoïsme, du péché, de la haine, et de cette folie qui consiste non pas à nier l’existence de Dieu – cela, c’est la liberté de l’homme – mais, beaucoup plus grave, à n’obéir à aucun règle supérieure en se prenant pour Dieu. Personne n’est obligé de croire que Dieu s’est introduit dans l’histoire des hommes pour les rappeler à la raison. Mais personne ne peut nier que l’homme, quand il se prend pour Dieu, perd son « humanité ».
Humanisme
- Vous vous rappelez le mot de Ponce Pilate présentant Jésus à la foule, que les chrétiens citent le vendredi saint : « Ecce homo » ! L’expression a donné des milliers d’œuvres d’art, tant elle résume, symboliquement, le christianisme : ce prédicateur galiléen qui se dit « fils de Dieu » est bien un homme. Un homme vilipendé, vaincu, blessé, martyrisé, mais un homme dans toute sa grandeur et tout son mystère. Que cet homme conserve sa grandeur et son mystère même quand on conteste sa dimension divine, voilà le fondement de l’humanisme. Les Lumières en France, l’Erklärung en Allemagne, ont théorisé cette idée fondamentale que l’homme, « fils de Dieu » ou pas, était la première valeur à défendre. Les « droits de l’Homme » sont la base de notre morale commune, aujourd’hui, qu’on écrive « homme » avec ou sans majuscule…
Universalisme
- Le mot « universel » (qui est le synonyme du mot « catholique ») est très malmené aujourd’hui, notamment dans tous les débats sur l’ « universalisme ». Les promoteurs du mouvement « woke », les militants racialistes ou intersectionnels, les adeptes de la « cancel culture » battent en brèche ce qui a été le principe commun au christianisme et aux Lumières : que l’homme soit ou non une créature divine, il est la principale valeur morale et éthique pour tous les hommes, quelles que soient leurs différences. C’est parce qu’elle repose sur ce principe évangélique que la République repose sur cet axiome : tous les hommes sont égaux en droit. C’est la base de l’universalisme.
Bénédiction
- Le dimanche de Pâques, le pape prononce une bénédiction « urbi et orbi » qui s’adresse à la ville (Rome) et au monde (tous les hommes). Bénir, comme le mot l’indique, c’est vouloir le « bien » de quelqu’un. C’est-à-dire, dans un sens religieux, appeler la bienveillance de Dieu sur quelqu’un. Le mot s’est un peu déformé : bénir, aujourd’hui, ce peut être « approuver », « encourager », et cela ne s’évalue plus à l’aune de la bienveillance divine. Mais si les hommes, croyants ou non, voulaient davantage le « bien » de leurs contemporains, le monde irait mieux…
Paix
- La paix est aussi un des buts premiers que Dieu, dans l’Evangile, assigne aux hommes. A l’époque de Jésus, notamment en Palestine, les communautés se faisaient la guerre pour un oui ou pour un non. Quand il s’immisce alors dans l’histoire des hommes, Dieu invite ceux-ci à vivre en paix, ce qui n’est pas naturel. Faut-il souligner que Dieu n’a pas été entendu, y compris par ses propres fidèles – qu’on se rappelle l’Inquisition ou les Croisades ! Et pourtant, le but terrestre de la religion chrétienne, c’est la paix entre les hommes, comme le pape François l’a rappelé récemment en Irak. La paix entre les communautés, entre les religions, entre les Etats. A la fin de la messe, deux mille ans après les prédications de Jésus, le prêtre dit toujours : « Allez dans la paix du Christ ! »
Egalité hommes-femmes
- Le matin de Pâques, c’est un groupe de femmes emmenées par Marie-Madeleine qui découvre le tombeau vide. Au fil des siècles, hélas, l’Eglise a minimisé l’importance de ces femmes qui entouraient Jésus, qui organisaient ses prédications et finançaient ses voyages. De la grossesse prémonitoire d’Elisabeth jusqu’à Marie debout au pied de la croix, les femmes sont omniprésentes dans l’Evangile. A égalité avec les douze apôtres ? Chacun, chacune à sa place, répondent les théologiens ! Tous nos débats sur la « place » des femmes dans l’Eglise, ou dans la société, ne peuvent ignorer des siècles de tradition – pas très féministe, certes – mais aussi un dogme encore plus ancien et plus fondamental : « Il n’y a plus ni homme ni femme », explique saint Paul, qu’on ne relit jamais assez…
Consentement
- Le mot a pris récemment une importance inattendue. Les affaires de viol, de pédophilie, les violences faites aux femmes en général, lui ont redonné du sens. Mais là encore, il n’est pas inutile de retourner à l’origine du christianisme. Rappelez-vous la scène de l’Evangile où Jésus fait scandale en défendant la femme adultère. La femme étant l’égale de l’homme, elle ne saurait être l’esclave de celui-ci, ni un objet sexuel ou social à sa disposition. C’est l’Eglise, contre toutes les règles antiques, patriarcales ou monarchiques, qui a officiellement proclamé, au moyen-âge, qu’un homme ne pouvait s’unir à une femme sans son consentement. Le mariage fut une étape majeure dans l’histoire des relations hommes-femmes…
Communion
- Encore un mot dont on a tendance à oublier le sens. La communion, littéralement, c’est ce qui rapproche. Au sens purement religieux, elle « unit ensemble » Dieu et les hommes. C’est pourquoi on communie à la messe. La communion, c’est ce qui fait coïncider la diversité des hommes et l’unité du genre humain. Au sens rétréci d’aujourd’hui, la communion a inspiré le « vivre ensemble » qui résonne comme un vœu pieu dans une société où les différences s’exacerbent dangereusement, où nombre de minorités poussent à la division, pour le malheur des uns et des autres…
On pourrait, en effet, multiplier les exemples. Est-ce à dire, pour conclure, que nous vivons encore dans un cadre sémantique directement inspiré de la religion chrétienne ?
Oui, même si la plupart de ces mots ont perdu leur dimension religieuse. Encore faut-il rappeler, pour être complet, que ce creuset culturel, moral et politique qu’est le christianisme n’est pas le seul, y compris dans ce pays qu’on appelait, il n’y a pas si longtemps, la « fille ainée de l’Eglise » !
Nous avons hérité – ô combien – de la pensée grecque et de l’organisation politique et sociale de l’Empire romain. Nous sommes aussi le produit de la culture juive, antérieure au christianisme et d’une richesse inégalée. Faut-il rappeler aussi le temps des invasions, l’Europe médiévale, la colonisation, les folies idéologiques et guerrières du XXe siècle ?
Si certains mots ont traversé les siècles, c’est qu’ils étaient en résonance avec les sentiments, les valeurs, les principes les plus incarnés de la condition humaine.
La fête de Pâques est un moment festif parmi beaucoup d’autres, certes, mais il permet de réfléchir à tout ce passé qui nous a constitués. C’est en gardant ce passé à l’esprit qu’on construira l’avenir.
Bernard Lecomte vient de publier « Jérusalem Magazine, An 33 » aux éditions du Cerf.
A lire sur Atlantico, deux extraits de l'ouvrage :
Etrange disparition au Golgotha
Bernard Lecomte publie une nouvelle édition de " Jérusalem Magazine, An 33 " aux éditions du Cerf. La rumeur se répand dans la ville, le pays, l'Empire : le tombeau du mystérieux Jésus de Naz...
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