La Bible, un surprenant « florilège » de récits érotiques, de fantasmes, d’interdits ?
De l’Ancien au Nouveau Testament, de nombreux passages évoquent en effet, plus ou moins explicitement, la sexualité humaine, sans la nommer comme telle. « Cette dernière est une notion récente : il faut donc prendre garde à ne pas projeter, dans les textes, des catégories qui sont aujourd’hui les nôtres », prévient d’emblée Mgr Pierre Debergé, exégète, membre de la Commission biblique pontificale.
« En lisant la Bible, nous pouvons nous rendre compte que c’est en fait la génitalité qui est le plus souvent évoquée, dans un contexte où il y avait beaucoup de morts d’enfants, et où il fallait assurer la survie du “clan”. La dimension de fécondité est très présente », poursuit l’auteur de L’Amour et la Sexualité dans la Bible (1).
À ses yeux, il est toutefois « loin d’être anodin » que les deux premiers chapitres de la Bible, relatant la conception d’Adam et d’Ève (Gn 1-2) dans le jardin d’Éden, présentent l’homme et la femme, « dans leurs différences accueillies et consenties », comme « le sommet de la création de Dieu ».
« La relation entre l’homme et la femme reflète l’amour de Dieu. Sans être dans le repli, c’est un amour qui s’ouvre à la vie », poursuit-il. Fait notable, cette notion de fécondité est toutefois absente du Cantique des Cantiques, en forme de chants d’amour alternés.
« La sexualité y est présentée comme un lieu de passion amoureuse, où le plaisir est là pour le plaisir : on y parle de la beauté du corps de celui ou celle que l’on aime », relève-t-il.
Désir, plaisir, onanisme, adultère, inceste, sodomie, prostitution, sadomasochisme, zoophilie, polygamie… De nombreux récits bibliques évoquent ou mettent en scène, non sans réalisme, la sexualité dans ses dimensions parfois les plus crues. « Il n’y a pas vraiment de “tabou”, en particulier dans l’Ancien Testament : c’est un texte assez libre », abonde ainsi l’écrivain et philosophe Jean-Pierre Rosa, auteur de La Bible, le sexe et nous (2).
« Dans les textes, la sexualité est une réalité extrêmement ambivalente : elle est le lieu du bonheur le plus grand (Gn, Ct…), mais aussi celui de l’avilissement le plus extrême, menant aux viols, aux meurtres… », poursuit-il.
Ainsi est relatée, dans le Livre de Samuel (2 S 13, 1-22), la tragique destinée de Tamar, fille de David et de Maaca, violée puis rejetée par son demi-frère Amnone, après que ce dernier a réussi à l’attirer – en se faisant passer pour malade – dans sa chambre.
Ou encore, parmi bien d’autres, le récit des tentatives de viol des habitants de Sodome (Gn 19, 1-29) sur deux anges, souvent évoqué dans la tradition chrétienne comme le fondement de la condamnation de la sodomie et de l’homosexualité.
« Tu ne commettras pas d’adultère » (Ex 20, 14), « Fuyez l’immoralité sexuelle ! » (1 Co 6, 18), « Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme.
C’est une abomination » (Lv 18, 22), « Chacun de vous doit savoir maîtriser son corps (…) et ne pas céder à des désirs sexuels avides et non maîtrisés comme ceux qu’ont les nations qui ne connaissent pas Dieu » (1 Th 4, 4-5)…
Nombre d’interdictions et de préconisations, en matière de conduite sexuelle, scandent les Écritures.
Loin d’être condamnéea priori, la sexualité y apparaît ainsi comme une puissance qu’il convient d’encadrer, pour que celle-ci ne devienne pas un terreau propice à la domination ou à la destruction de l’autre.
« Dans les récits bibliques, la loi est là pour protéger la relation homme-femme, pour éviter que la violence des désirs, des passions ne vienne dénaturer la sexualité dans sa part magnifique, à l’inverse de ce qui se produirait dans un acte mal vécu et assujettissant », décrypte encore Mgr Debergé.
Selon ce dernier, les textes portent bien des intuitions « révolutionnaires » en leur temps.
« Cela s’inscrit dans un passage souvent mal compris, mais lorsque saint Paul (dans Ep 5, 21-33) invite par exemple les maris à aimer leurs épouses, c’est alors quelque chose de tout à fait nouveau », cite-t-il.
« Les lois sont finalement là pour préserver le peuple, les équilibres familiaux, car les sociétés dans lesquelles la sexualité n’est pas maîtrisée sont des lieux de violences. »
Pour la théologienne Anne Soupa (3), l’attitude de Jésus à l’égard des femmes est encore pionnière : « (Entre lui et elles), il existe une manière de se comprendre assez extraordinaire. (Il) ne fait pas acception de sexe, et ne se laisse pas enfermer dans les contraintes culturelles. »
Des récits « dépassés », mettant en scène une « culture du viol », une « morale judéo-chrétienne » souvent jugée « obscurantiste » ou « répressive »… Les remises en cause et les débats herméneutiques autour de la conception de la sexualité dans les Écritures sont légion.
« La Bible représente la sexualité avec les moyens de son temps, extrêmement patriarcal : celle-ci est entièrement du côté de l’homme et de la descendance, très loin de notre univers mental du XXIe siècle. Il faut passer par ce filtre pour trouver quelque chose de plus originel, de plus essentiel, d’actuel », soutient Jean-Pierre Rosa.
À l’heure où la parole ecclésiale est pour une part décrédibilisée par les scandales d’abus sexuels, ce dernier incite les chrétiens à dépasser leurs réticences pour se confronter ensemble aux textes, dont « la réception demeure souvent prisonnière de certains archaïsmes et raideurs ».
Dans un livre d’entretiens (4) paru en septembre 2020 en Italie, le pape François avait lui-même réaffirmé sa vigoureuse opposition à cette « moralité bigote », refusant la notion de plaisir, qui a longtemps dominé dans la Tradition.
« L’Église a condamné le plaisir inhumain, brut, vulgaire, mais elle a toujours accepté le plaisir humain, sobre, moral », soutenait-il.
« Le plaisir arrive directement de Dieu, il n’est ni catholique, ni chrétien, ni autre chose, il est simplement divin. »