En un commencement !
Elohim poétise et les cieux et la terre
Alors la terre grise était trouble et tourbière
Dessus un voile d'ombre enveloppait l'abîme
Et couvait sur l'eau sombre un souffle d'Elohim
Soudain dit Elohim
Que soit une lumière ! »
Et de son souffle intime il vient une lumière
Elohim voit alors quel bien est la lumière
Et Ils tranche son bord d'avec l'ombre première
Elohim s'écrie « Jour ! » vers ce bonheur qui luit
Et vers l'ombre alentour
Elohim s'écrie « Nuit ! »
Ils a crié Dès lors il y eut un déclin il y eut un essor et ce fut le jour un
Ils dit « Qu'un firmament vienne au milieu des eaux
Et qu'il vienne en tranchant les eaux d'entre les eaux ! »
Ils fait le firmament qui tranche les eaux-ci de celles d'outre-vent
Et il en fut ainsi
Au firmament Ils dit
« Ciel ! » et suivant son cours de minuit à midi c'est un deuxième jour
Elohim dit encor
« Que les eaux sous le vide en un lieu prennent corps et dévoilent l'aride ! »
Et il en fut ainsi
À l'aride Ils crie « Terre ! »
Et aux eaux que voici
Elohim s'écrie « Mers ! »
Une seconde fois Elohim voit quel bien
Et encore une fois
Elohim intervient
« Que la terre verdisse en herbe verte et dense
Que la sève jaillisse et sème sa semence
Que chaque arbre de fruit fasse fruit sur la terre avec sa sève en lui selon son caractère ! »
Et il en fut ainsi
De la terre prospère l'herbe avec son semis selon son caractère
Et l'arbre aussi fait fruit l'arbre aussi prolifère avec sa sève en lui selon son caractère
Elohim voit quel bien
Et ce sont tour à tour un soir et un matin c'est un troisième jour
Elohim dit encore
cieux que soient des lustres pour trancher une aurore entre l'ombre et l'illustre
Qu'ils soient des messagers pour les appointements
Qu'ils soient des horlogers pour les jours et les ans
Qu'au firmament céleste ils éclairent ici la terre d'est en ouest ! »
Et il en fut ainsi
Elohim fait alors les deux lustres les lourds
Un premier lustre un fort pour surveiller le jour
Un petit lustre intime pour surveiller le voile
Et dans l'ombre anonyme une légion d'étoiles
Elohim en fait don au firmament céleste
Pour qu'ils éclairent donc la terre d'est en ouest
Pour qu'ils veillent le jour et qu'ils veillent la nuit
Et qu'ils tranchent autour de l'ombre ce qui luit
Quel bien voit Elohim
Et ce faisant s'encourt entre vêpres et prime un quatrième jour
Puis Ils dit Que les eaux grouillent d'êtres vivants
Et que vole l'oiseau sur terre et face au vent ! »
Alors Ils crée les grands les dragons les chimères
Tous les êtres vivants qui rampent dans la mer
Tout leur foisonnement selon leur caractère
Et tout oiseau volant selon son caractère
Elohim voit quel bien
Il les bénit et dit
Fructifiez ô combien croissez à l'infini
Envahissez les eaux et remplissez les mers
Et que tous les oiseaux s'accroissent sur la terre ! »
Il y eut une veille et une matinée
Et grouillante s'égaye la cinquième journée
Ensuite Elohim dit
Que prospèrent sur terre ceux qu'anime la vie selon leur caractère
Le buffle la panthère et tout le ramassis selon son caractère ! »
Et il en fut ainsi
Ils fait les ruminants selon leur caractère
Ils fait les rugissants selon leur caractère
Et Ils fait tous les vers tout ce qui va-et-vient selon leur caractère
Et Ils voit que c'est bien
Essai de traduction poétique de Genèse 1 - 11
A l'instar de l'enfantement du ciel et de la terre, quoique modestement, la conception d'un poème requiert une matière première : ici le texte hébreu des onze premiers chapitres de la Genèse. Elle requiert ensuite quelques formes poétiques propres à ordonner le « tohu-bohu » de ses lettres et de ses mots : ici le quatrain, l'hexamètre et le croisement des rimes.
Trois formes donc, auxquelles cet « essai de traduction poétique » fut astreint, au détriment parfois de la richesse de la rime ou de la pureté de son genre ; trois formes qui visent à instaurer un ordre et à imprimer un rythme auxquels la poésie et le théâtre classiques nous ont accoutumés.
Toutefois, dès leur mise en œuvre, la rigueur de ces règles de forme a contrarié une règle fondamentale de la traduction, fermement prescrite par le Deutéronome « Tout ce que je vous commande, vous le garderez et le pratiquerez sans y ajouter ni en retrancher » (Dt 13-1). L'infortune du verset 16 du chapitre 3 de la Genèse, dont tant de traductions ont oublié la conjonction "et" ou le nom "fils", est exemplaire de l'incompréhension que peut susciter l'ignorance de cette règle de fond.
Ce danger d'incompréhension est ici accru par les fréquentes ambiguïtés du texte original et par la polysémie de ses mots ; il l'est aussi, sur la forme, par l'inégale longueur de ses versets, qui ont souvent peiné à rentrer dans le "moule" de tels quatrains, de leur mètre et de leurs rimes.
Fallait-il dès lors renoncer à ces formes classiques pour le vers libre de la Nouvelle Traduction des Editions Bayard voire renoncer « dès le commencement » à cette entreprise, au risque sinon de trahir le Livre de la Genèse et son auteur ? Il a semblé que non, car déjà au temps du Second Temple la Bible était traduite et commentée en araméen et en grec, comme elle le sera bientôt en latin et plus tard dans tant de langues vernaculaires.
S'il est donc nécessaire, et partant légitime de traduire la Bible pour qu'elle soit et reste comprise en tous temps et en tous lieux, que convient-il de ne point « y ajouter ni en retrancher » : est-ce un mot, voire une lettre ? Selon Voltaire, qui faisait écho à saint Paul (2 Cor. 3-6) : « Malheur aux faiseurs de traductions littérales, qui en traduisant chaque parole, énervent le sens ! C'est là qu 'on peut dire que la lettre tue et que I 'esprit vivifie ».
Dont acte, mais qu'importe ici les querelles d'érudits ; en effet, quoiqu'il tente de respecter autant la lettre que l'esprit du texte, le présent « essai de traduction poétique » ne prétend à aucune autorité ni exclusivité. 11 convient dès lors son lecteur le confronte, sinon à l'original qu'il trouvera en regard que cas à une, voire plusieurs autres traductions, notamment celles Meschonnic, d'André Chouraqui ou des Editions Bayard qui l'ont inspiré. Une telle confrontation lui permettra de considérer comment ces onze
chapitres sont rentrés dans le « moule » imposé ; de vérifier si leur lettre nouvelle respecte l'esprit du texte originel ; d'apprécier si elle en conserve le
Considérant en définitive que ces onze chapitres comptent près de 300 versets qui ont été traduits en quelques 400 quatrains, cet essai aurait plutôt « ajouté » que « retranché ». En effet, lorsque le texte était répétitif, il fallut s'employer à l'être également, notamment aux chapitres 5, 10 et Il. Parfois, pour compléter un vers ou un quatrain, il parut nécessaire de répéter, d'étoffer, d'expliciter, voire prudemment, d'interpréter le texte.
Le parti fut pris par ailleurs, mais pas toujours, de traduire les noms propres, car en hébreu ces noms ont souvent un sens qui aide à comprendre le texte ; par exemple Adam est « le terreux » ; Eve « la vivante » ; Abel « le vent » et Seth « la relève ». A cet égard, la transcription coutumière de ces noms en français a été conservée : Eve plutôt que Hava ; Abel plutôt que Havel ; Noé plutôt que Noah' ria.
Le texte hébreu aime aussi jouer avec les noms communs des choses dont il parle ; il fallut donc s'employer, autant que notre langue française le permettait, à restituer ces jeux de mots et de sens ; par exemple : « errer et se terrer », « nouer les nuées » ou « faire dam à l'adam ».
Il fallut aussi s'employer, avec un succès inégal, à « rendre la même racine hébraïque par une racine (française) identique ».
Enfin, malgré « baptiser », « trouvère » ou « légionnaire », il fallut se garder des anachronismes et des mots incongrus, à consonance érudite ou étrangère, grecque notamment.
Un dernier point, sur la ponctuation ; elle est ici réduite à quelques signes ; pour aider néanmoins à marquer le rythme, les majuscules en début de vers indiquent le plus souvent qu'un point final, sinon un point-virgule, devrait les précéder.
Quelles que soient néanmoins ces règles et ces précautions, l'ambition de cette entreprise n'est pas d'être une traduction scientifique » mais bien un « essai poétique » ; dès lors, les écarts qui ont pu être commis en cas de nécessité ou d'opportunité, devraient pouvoir bénéficier de la licence que le genre poétique autorise. Les notes ci-après signalent quelques-uns de ces écarts ou expliquent certains choix de traduction.
Fort en définitive de ces précisions et malgré ces écarts, l'espoir de cet essai », toujours perfectible, est qu'il soit resté « fidèle », sinon toujours à la lettre, du moins, et c'est l'essentiel de son but, tant à la poésie, qu'à l'esprit du texte original.
Nancy, 30 juin 2021
Philippe Bertaud
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