Au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit
Amen
Vous ne vous êtes pas trompés en entendant à l’instant la finale de l’Evangile :
« Si ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, va d’abord te réconcilier. »
Je crois que si les Chrétiens se souvenaient de cet Evangile le dimanche matin sur le parvis de leur église, les trois quart feraient demi tour, c’est sûr.
C’est une parole terrible comme celle qui précède.
Nous sommes dans le contexte ; il faut toujours que le texte soit situé dans son contexte.
Nous sommes en plein dans Saint Mathieu, dans le Sermon sur la montagne, et nous sommes donc dans la parole de l’accomplissement par le Messie qui accomplit ce qui s’est passé sur l’autre montagne, celle du Sinaï où Moïse a reçu les tables de la Loi.
Et c’est pourquoi Jésus déclame une toute autre réalité, c’est à la fois un accomplissement comme Il l’a dit Lui-même, pas un iota ne sera enlevé , mais accompli.
Mais en même temps (et c’est cela que nous oublions ) un renversement total.
Ce leitmotiv que nous n’avons entendu qu’une seule fois, revient six fois dans le Sermon sur la Montagne :
« Il vous a été dit, moi, je vous dis. »
Donc jusque là c’était la Loi, mais ce que nous oublions aussi et que peut-être les juifs aussi oublient trop souvent, est que la Loi est une Loi d’amour.
Que des centaines de lois ne sont là que pour inscrire jusque dans le détail du quotidien chaque geste jusqu’au comportement le plus silencieux, pour que tout soit inscrit dans l’amour ; cet amour était encore un amour limité. Il allait jusqu’à « Tu ne tueras pas »
Et cette loi, c’était d’abord pour nous épargner d’être tué. C’est déjà énorme, vous savez.
Devant ces quelques tribus de nomades plus ou moins sauvages, de leur demander de ne plus tuer. C’était déjà révolutionnaire.
Et bien maintenant, c’est fini. La Parole du Christ est (vous l’avez remarqué) sans mesure.
Elle est sans mesure parce qu’elle est Lui-même et Dieu n’a aucune mesure. Il est l’infini.
C’est un amour infini, sans limite donc le doute n’est plus permis. La pointe de l’antithèse repose sur la disproportion totale entre le caractère bénin du délit – dire à quelqu’un : tu es fou, tu es crétin. Tout de même, on ne va pas être condamné pour ça, jeté dans la géhenne, paraître devant le Sanhédrin, non,
Mais que le Christ veut nous faire comprendre qu’il n’y a aucune commune mesure entre ce qui est prononcé et la rigueur des sanctions.
Nous ne sommes plus du tout dans le registre de la justice qui nous protège mais dans celui de l’amour en plénitude qui nous transforme et en nous transformant précisément nous accomplit.
Alors là, n’en déplaise peut-être à nos siècles passés, il n’y a pas de péché véniel et de péché mortel. Tout est mortel, évidemment.
Tout ce qui me sépare de mon frère, me sépare de Dieu.
L’homme a été créé à l’image de Dieu et couvrir de honte l’homme c’est couvrir Dieu de honte. Le moindre hiatus de mépris pour qui que ce soit, c’est meurtrier.
Le Christ dira plus tard dans Saint Mathieu :
« Ce que vous faites au moindre des miens, c’est à moi que vous le faites »
Il s’identifie à l’homme puisque l’homme est à son image.
S’imagine t-on ce que nous faisons à longueur de journée aux autres, par nos paroles, nos gestes, nos regards, nos jugements, nos critiques ?
S’imagine t-on qu’on les ferait, si on était sûr que c’est le Christ que nous traitons ainsi ?
Où est notre foi ?
Alors ce qui est révolutionnaire, comme tout l’Evangile, l’important ici, c’est de comprendre, d’apprendre que dès qu’on approche de l’autre, et bien il faudrait tomber en adoration de la présence du Christ en lui.
Et alors la relation devient une épiphanie ou une théophanie, c’est-à-dire une manifestation d’une toute autre vérité que « Elle…ceci » « Elle…cela » nos éternels jugements.
Et celui qui ne le fait pas, qui n’adore pas, dont le regard ne va pas jusque dans l’intériorité profonde de l’autre, pour adorer la présence dont l’autre est le tabernacle, celui qui ne le fait pas tombe inévitablement dans le meurtre, pas du tout devant la Loi, puisque nous n’y sommes plus.
Devant la loi, nous sommes impeccables, nous n’avons pas tué, mais dans l’ordre de la grâce.
L’Evangile nous le révèle. La moindre animosité contre quelqu’un est meurtrière. Pourquoi ?
Le Christ est clair. On ne peut pas être plus clair. C’est le Christ que nous clouons sur la croix. C’est Lui que nous outrageons, que nous bafouons. Cracher dans le visage de l’autre, c’est cracher dans le visage du Christ. Le Christ n’a jamais été aussi clair que là.
Alors il faut une méthode. La seule méthode pour s’en tirer, pour s’en sortir rapidement, c’est celle de Saint Pierre.
Qu’est-ce-qu’Il fait ?
Un jour, il marche sur l’eau et comme il a quelques doutes, alors il écarte son regard du Christ et il s’enfonce dans l’eau. C’est quand il est fixé avec tout son être en Christ qu’il marche sur l’eau. Il maîtrise les situations et surtout les ténèbres de l’inconscient symbolisés par les eaux. Le fait qu’il détourne son regard et le porte sur les flots, il se dit : « Mais je marche sur les eaux » Il ne marche plus sur les eaux, il coule. Il a le réflexe d’attraper la main du Christ, il attrape la main du Christ et le Christ le remet debout . Quel secret !
Mais après l’avoir trahi (le Christ) trois fois, (j’admire Saint Pierre, il n’a trahi le Christ que trois fois, moi c’est tous les jours), après ces trois fois, quand il revoit le Christ après sa résurrection, il lui dit trois fois : « Je t’aime, Seigneur , je t’aime » .
Seulement il n’y a qu’une manière d’aimer c’est de mourir d’amour, c’est ce qu’il fera. IL sera crucifié comme son maître et de surcroît la tête en bas, comme il l’a lui-même demandé. Alors, ce en quoi termine l’Evangile, c’est cela : le pardon sans lequel il n’y a pas de vie, le pardon parfait, c’est l’amour sans limite. Je meurs d’amour pour que tu vives, c’est le sens même de la croix. Le Christ, Dieu en Jésus-Christ, meurt d’amour pour que je vive. Il expire sur la croix pour que j’inspire et que je sois un être libre, mais le pardon, cet amour, comment s’exerce t-il au quotidien ?
Dans le tissu du petit détail et c’est là que Saint Pierre est grandiose. Il nous révèle la quintessence de toute la Bible. Vous avez relevé cette petite phrase. Saint Pierre dit :
« Bénissez, c’est à cela que vous êtes appelés ». Voilà notre vocation. Notre vocation c’est de bénir. C’est notre sacerdoce royal, c’est en Lui que nous sommes baptisés. Nous sommes prêtres dans le monde pour recevoir le monde comme une grâce et rendre grâce en bénissant.
Le Christ Lui-même a révélé que le pardon ne devenait réalité qu’en bénissant. Vous vous souvenez, quand Il dit, dans le Sermon sur la Montagne :
« Bénissez, ne maudissez pas. »
Qu’est-ce-que bénir ? C’est pas deux syllabes, c’est mettre la vie divine dans la relation, au lieu du mépris, de la haine.
Lorsque nous bénissons, il y a une libération qui s’opère dans les lieux célestes. Ce que Dieu a en réserve pour la personne bénie devient alors efficace, devient réalité. C’est comme si la bénédiction faisait un trou dans la masse des malédictions et repose sur la tête de l’autre.
Vous savez, chaque fois que nous jugeons, que nous critiquons, nous maudissons, et l’autre que nous jugeons, critiquons, se promène avec des masses de malédictions sur lui.
La bénédiction, c’est l’inverse. Evidemment, quand je dis malédiction, je ne parle pas de sortilège mais de toutes ces paroles négatives, de tous les jugements, de toutes ces critiques qui ont été dits et qui retiennent l’autre comme en prison ; donc cet être en prison, en le bénissant, nous le libérons. La bénédiction est une libération et donc une arme redoutable car c’est une parole d’amour, de restauration, qui vient directement de Dieu.
La bénédiction c’est la vie même de Dieu sur la personne que nous bénissons, et cette parole est irrévocable.
Et de plus, lorsque nous bénissons, notre regard sur l’autre se transforme. Nous acquérons le regard de Dieu lui-même sur l’autre, nous le voyons tel que Dieu Lui-même le voit, c’est-à-dire comme le trône de sa présence.
Et s’il est vrai que celui qui maudit l’autre – lorsque nous jugeons ou disons du mal de l’autre, ça nous retombe dessus, comme dit la Bible. Nous sommes alors des êtres maudits, jugés, critiqués et nous serons jugés, comme dit le Christ, avec la même mesure .
Mais lorsque nous bénissons, il arrive la même chose, la bénédiction de nouveau nous revient et nous sommes bénis par Dieu . Nous devenons alors des hommes libres. Cette humilité pleine d’amour est une force inouïe ; c’est la force même dont Dieu nous a fait cadeau et rien ne peut tenir contre elle et plus rien alors ne peut nous atteindre.
Un être de bénédiction, quand on l’a croisé, on ne l’oublie plus. Un être qui bénit toute personne qu’il rencontre (au lieu d’avoir des remontées : il est sympathique…antipathique… il ceci…il cela…) si, systématiquement, quand j’entre dans la proximité de quelqu’un, je dis : « Seigneur, bénis cet être » cela devient progressivement un tel rayonnement qui fait que je guéris l’autre par cette atmosphère d’amour qui transperce son cœur .
Au Seigneur, soit la Gloire, la Puissance, aux siècles des siècles.
Amen
Père Alphonse Goettmann
Homélie du 6 octobre 2002