Notre Dame
Mourez comme un baron
Jésus
Je mourrai entre 2 larrons
Notre Dame
Que ce soit sous terre et sans voix
Jésus
Ce sera haut pendu en croix
Notre Dame
Vous serez au moins revêtu ?
Jésus
Je serai attaché tout nu
Notre Dame
Attendez l'âge de vieillesse
Jésus
En la force de la jeunesse
Notre Dame
Ne soit votre sang répandu
Jésus
Je serai tiré et tendu
Notre Dame
A mes maternelles demandes ne donnez réponses dures
Jésus
Accomplir faut les écritures
Jean MICHEL 1486
Le poème complet
NOTRE-DAME
Puisque ne m’avez accordé
De mes trois pétitions l’une,
Au moins, par prière importune,
Vous plaise m’octroyer la quarte.
C’est, s’il faut que mort vous départe
D’avecques moi, et que moi, mère,
Vous voie souffrir mort amère
Pour sauver l’homme, je vous prie
Que je soie comme ravie
Et soit ma triste âme suspense
Pour lors de toute connaissance,
Durant votre si grief tourment,
Sans avoir aucun sentiment
Des douleurs que aurez si grandes.
C’est la quarte de mes demandes,
Que je vous requiers de bon cœur.
JÉSUS
Ce ne serait pas votre honneur
Que vous, mère tant douce et tendre,
Vissiez votre doux fils étendre
En la croix et mettre à grief mort,
Sans en avoir aucun remort
De douleur et compassion.
Et aussi le bon Siméon
De vos douleurs prophétisa,
Quand entre ses bras m’embrassa,
Que le glaive de la douleur
Vous percerait l’âme et le cœur
Par compassion très amère.
Pour ce, contentez-vous, ma mère,
Et confortez en Dieu votre âme :
Soyez forte car oncques femme
Ne souffrit tant que vous ferez ;
Mais en souffrant mériterez
La lauréole de martyre.
NOTRE-DAME
Ô mon fils, mon Dieu et mon sire,
Je te mercy très humblement
Que tu n’as pas totalement
Obéi à ma volonté.
Excuse l’humaine simplesse
Si par humaines passions
Ai fait telles pétitions
Qui ne sont mie recevables.
Tes paroles sont raisonnables
Et tes volontés très hautaines,
Et les miennes ne sont qu’humaines ;
Pour ce, ta divine sagesse,
Excuse à l’humaine simplesse
De moi, ton indigne servante,
Qui, d’amour maternel fervente,
Ai fait telles requêtes vaines.
JÉSUS
Elles sont douces et humaines,
Procédantes de charité ;
Mais la divine volonté
A prévu qu’autrement se fasse.
NOTRE-DAME
Au moins veuillez, par votre grâce,
Mourir de mort brève et légère !
JÉSUS
Je mourrai de mort très amère.
NOTRE-DAME
Non pas fort vilaine et honteuse !
JÉSUS
Mais très fort ignominieuse.
NOTRE-DAME
Doncques bien loin, s’il est permis !
JÉSUS
Au milieu de tous mes amis.
NOTRE-DAME
Soit doncques de nuit, je vous pry !
JÉSUS
Mais en pleine heure de midi.
NOTRE-DAME
Mourez donc comme les barons !
JÉSUS
Je mourrai entre deux larrons.
NOTRE-DAME
Que ce soit sous terre, et sans voix !
JÉSUS
Ce sera haut pendu en croix.
NOTRE-DAME
Vous serez au moins revêtu ?
JÉSUS
Je serai attaché tout nu.
NOTRE-DAME
Attendez l’âge de vieillesse !
JÉSUS
En la force de ma jeunesse.
NOTRE-DAME
Ne soit votre sang répandu !
JÉSUS
Je serai tiré et tendu
Tant qu’on nombrera tous mes os ;
Et dessus tout mon humain dos
Forgeront pécheurs de mal pleins,
Puis fouiront et pieds et mains
De fosses et plaies très grandes.
NOTRE-DAME
À mes maternelles demandes
Ne donnez que réponses dures.
JÉSUS
Accomplir faut les Écritures.
Jean MICHEL, Le mystère de la Passion,
XVe siècle.
Recueilli dans La vie de Jésus
racontée par les poètes,
par Jacques Charpentreau,
DDB, 1982.