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3 septembre 2021 5 03 /09 /septembre /2021 19:30

Fin d’été, et retour à Paris. Étranges semaines passées à chercher le repos, et que je ne peux résumer.

Je consacre la plus grande part de ma vie à lire et à écrire, avec le sentiment d’être coupé du monde extérieur, mais quand je suspends volontairement ces activités, je crains alors, au bout de quelques jours chômés, de ne plus rien comprendre au monde si je ne le lis pas ou ne l’écris pas d’une façon ou d’une autre.

L’amour et l’inquiétude, ou le souci du monde, se construisent en silence dans l’écriture. Tout en ravivant notre sentiment d’impuissance face aux catastrophes du monde.

Mais j’ai toujours pensé que les grandes et bonnes actions étaient celles que l’on accomplit « en désespoir de cause ». Aujourd’hui : accueillir les Afghans qui fuient l’obscurantisme cruel.

Ce sera le mal de notre nouveau siècle, non pas le « retour du religieux », mais la « régression religieuse ».

Et elle n’atteint pas seulement l’islam.

C’est une régression de l’éveil spirituel.

Un retour aux formes les plus féroces et les plus inquiétantes du religieux : sentiment de terreur inspiré par la divinité, obsession de l’interdit, crainte et haine de l’autre, du non-semblable, phobie des corps et du sexe, adhérence hypocrite à la lettre des textes et des rites, refus de l’interprétation et de l’actualisation des lois…

Je ne pourrais jamais imaginer que ma foi puisse exclure ou criminaliser qui que ce soit.

J’essaie de défendre l’exacte position inverse : si religion il y a, elle ne peut qu’être cette force de compréhension, d’attention, de souci, au-delà d’elle-même, quitte à mettre ses lois, ses rites, au défi de l’attention et de la compréhension d’autrui.

Comme preuve spirituelle de son dépassement. La grandeur du religieux serait de témoigner d’une communauté toujours possible, et nécessaire, entre nous tous et le monde vivant.

Quelles que soient nos faiblesses, nos désaccords, nos différences, nos incompréhensions.

Communauté des âmes, y compris les plus féroces et les plus abandonnées. Il faut relire la parabole dite du « Bon Samaritain » (Luc, 10,25-37) sous cet angle-là.

Toute religion devrait (re)commencer par la question : Qui est autrui, mon prochain ? « Celui qui agit avec toi avec compassion », répond l’Évangile.

Et où quelqu’un attendait qu’on vienne le secourir, prêtre et lévite, les garants des sacrifices et du culte ont passé leur chemin.

Une communauté religieuse serait celle qui se consacre d’abord, et toute affaire cessante, à porter secours. Comme expression la plus sacrée de son existence.

Oui, est religieux ce dépassement de soi, de son propre petit monde divinisé, ritualisé. Communauté ouverte comme un corps vivant à tous les autres corps. Y

compris nos sœurs et frères les animaux, les forêts, les vents.

Bref séjour crépusculaire chez mes parents si âgés. J’en suis reparti groggy comme un boxeur sonné.

Pourtant, en aidant mon père à se relever, je l’ai porté, hissé entre mes bras, curieusement sans effort, et avec douceur.

Morale physique : jusque dans l’extinction lente, éprouver l’intensité de la vie.

Mon père a souri. J’ai pensé que pour la première fois le fils portait le père.

Et cette inversion n’a gêné ni l’un ni l’autre. Je venais au secours de mon père comme il m’a toujours silencieusement assuré du sien, toutes ces années.

Enfin délicatesse de l’amitié cet été-là, au creux de laquelle je peux me sentir seul ou incompris tout en me sachant accueilli inconditionnellement.

Avec ma solitude et mes peurs. Vie mystérieuse de l’amitié dans cet équilibre-là.

Je retourne ici à mes papiers. Mes travaux d’écriture. Avec la certitude accrue qu’une communauté qui n’est pas fidèle à la vie des autres, de tous les autres, les plus proches comme les plus éloignés, n’est pas une communauté de fidèles.

Frédéric Boyer

 

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