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6 octobre 2021 3 06 /10 /octobre /2021 19:30

Les églises regorgent d’une faune innombrable, à la fois surprenante et mystérieuse, à l’image de la Création. Un bestiaire révélateur de la nature humaine. Et de la foi.


Quelles sont les racines de ce symbolisme animal ?
On le retrouve déjà dans les civilisations antiques. Les animaux, réels ou imaginaires, ont toujours passionné et inspiré l’homme. Dans sa thèse de doctorat vétérinaire Le Bestiaire de la sculpture romane (2004), Juliette Guigon résume ce syncrétisme : « Ces bêtes sculptées sont des intruses provenant des déserts, des images de l’Orient, des connaissances ou ignorances païennes, mais elles ont, comme les hommes, droit de terroir, droit de tradition et d’histoire, droit de chrétienté et donc, droit de cité. »

Le symbolisme atteint son apogée au Moyen Âge : les animaux sont partout dans les églises, sur les tapisseries, dans les manuscrits… La vétérinaire poursuit : « Ces bêtes savent dire tant de choses à chacun de nous : tant de choses sur elles-mêmes, sur le monde dont elles émanent, et par tous ces chemins, sur nous-mêmes. » Les Égyptiens ou les fabulistes grecs et latins utilisaient déjà ce moyen pour représenter les vertus et les vices humains.

Pourquoi représenter des animaux dans les églises ?
« On représente un animal parce qu’il est lié à un épisode de la Bible, explique Laurent Ridel, historien, comme le serpent du péché originel ou l’âne de Balaam. » Ou parce qu’il fait référence à la vie des saints : saint Jérôme retirant l’épine de la patte d’un lion, saint Georges ou saint Michel terrassant le dragon… « Dès la fin du Moyen Âge, les sculpteurs ou peintres des vitraux aiment représenter la nature, faune et flore, pour célébrer la création divine. On ajoute alors un animal à la scène représentée, par exemple un chien, à une Annonciation. » Les animaux célèbrent la gloire de Dieu mais ils éduquent aussi l’homme et l’évangélisent, « l’animal étant un modèle à suivre ou à ne pas suivre », rappelle l’historien. Il n’est pas rare de voir des animaux dans des activités humaines, un âne jouant de la lyre, ou, moins commun, « une truie jouant de la vielle sur l’un des médaillons sculptés d’un portail de la cathédrale de Rouen », note ce spécialiste de l’histoire de la Normandie.

D’où viennent les bestiaires ?
Grâce aux connaissances en sciences naturelles rapportées par les auteurs de l’Antiquité, les Pères de l’Église ou les œuvres orientales, les bestiaires, sortes d’encyclopédies recensant les vertus et vices de chaque animal, ont vu le jour. Le premier aurait été écrit à Alexandrie par un certain Physiologus, naturaliste du IIe siècle. On doit à Philippe de Thaon, écrivain anglo-normand, un bestiaire français dans la tradition de Physiologus (vers 1120-1135). Dans sa thèse, la vétérinaire Juliette Guigon rapporte également que Hildebert de Lavardin (évêque du Mans, 1055-1133) et Honorius, évêque d’Autun (XIIe siècle), rédigèrent eux-mêmes des bestiaires. « Ce genre littéraire antique est donc revenu au goût du jour au milieu du Moyen Âge (XIe et XIIe siècles), raconte l’historien normand. Les bestiaires inspirent les artistes que ce soit pour l’écrit, avec les enluminures, ou pour la sculpture et la peinture. » Et ils s’adressent aussi bien à l’illettré qu’à l’érudit.

Que penser des animaux irréels ?
« Pour les gens de l’époque, certains de ces animaux étaient bien réels comme la licorne ou le basilic, mi-coq mi-reptile », explique Laurent Ridel. Toutes les bêtes ne se valent pas : « Les plus appréciées sont les animaux domestiques comme le coq ou le cochon, puis les animaux sauvages, comme l’ours. Viennent ensuite les chimères et créatures hybrides, mélanges de plusieurs animaux comme le griffon mi-lion mi-aigle, ou mélanges d’être humain et d’animal comme la sirène. Ces créatures-là sont perçues comme des humains mal finis, symbolisant les vices ou le mal. » Le tétramorphe est une exception, lui qui représente les quatre évangélistes sous leurs formes allégoriques : l’homme pour Matthieu, l’aigle pour Jean, le taureau pour Luc et le lion pour Marc d’après la vision d’Ézéchiel et la description des quatre vivants de l’Apocalypse selon saint Jean.

Y a-t-il des animaux plus « catholiques » que d’autres ?
L’image du Christ rédempteur est assimilée au lion de Juda, dont le rugissement symbolise la parole divine, et plus couramment à l’agneau sacrificiel. Dans les églises romanes, l’agneau a d’ailleurs supplanté le poisson (ichtus en grec). L’aigle et la colombe sont deux autres représentations divines. Plus largement, la Bible regorge d’animaux : dans son ouvrage Animaux dans l’Évangile (France catholique), Tugdual Derville a recensé les animaux cités par les quatre évangélistes, retrouvant les espèces familières de la liturgie mais aussi d’autres plus étonnantes comme le ver, la poule ou la mite ! « Mais, prévient Laurent Ridel, chaque animal a ses vices et ses vertus : le serpent dont on se méfie est aussi un symbole de prudence. » La plupart des animaux peuvent aussi bien prendre place du côté du bestiaire du Christ que de celui de Satan, même si ce dernier est plus abondant et impressionnant.

Où trouve-t-on ces représentations dans les églises ?
Partout ou presque. À l’extérieur comme à l’intérieur. Gravées dans la pierre ou dessinées sur les vitraux. La plupart des sculptures sont facilement visibles, sur les tympans ou les chapiteaux, mais d’autres se dissimulent dans des endroits plus discrets « comme les stalles, où des bêtes se cachent sous le siège, les modillons, ces éléments sculptés soutenant les corniches, ou encore les écoinçons situés entre deux arcs », observe Laurent Ridel. L’historien évoque aussi l’héraldique : les commanditaires des sculptures faisaient peindre ou sculpter leurs blasons ou armoiries sur lesquels pouvaient se trouver des animaux, comme l’aigle ou le lion. Sans oublier le coq sur les clochers : l’oiseau, dont le chant signale le passage de l’obscurité à la lumière, est lié au reniement de saint Pierre, mais « c’est avant tout un animal solaire qui rappelle que le Christ réapparaîtra, comme le soleil, au moment du Jugement dernier ».

ce qu’il faut retenir
Un grand miroir allégorique
La symbolique animale ­médiévale découle d’un véritable brassage de cultures et d’époques. L’art roman puisera son inspiration dans les fameux bestiaires eux-mêmes influencés par les textes bibliques ou la vie des saints.

Au Moyen Âge, la faune, réelle ou imaginaire, est représentée pour louer la Création et pour instruire l’homme moralement. « L’animal, au-delà de son rôle nourricier, est devenu un grand miroir allégorique de la race humaine », écrit Joseph Caccamo, spécialiste de l’art roman, dans La Symbolique animale dans les églises romanes (éd. du Cosmogone). Mais les animaux recelant à la fois des vices et des vertus, il s’agit de rester prudent sur l’interprétation symbolique des représentations.

Souvent associées à l’art roman qui initia le mouvement, les représentations animales sont encore plus présentes dans l’art gothique. En témoignent les gargouilles du début du XIIIe siècle.

Fanny Magdelaine

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