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22 septembre 2021 3 22 /09 /septembre /2021 19:30

Jamais dans l’histoire de l’humanité, notre temps de cerveau disponible n’a été aussi important. On entend par là le temps qui n’est pas consacré au travail, aux transports, aux tâches domestiques et aux besoins physiologiques.

En effet, au fur et à mesure des siècles, les progrès des sciences et des techniques ont permis à l’homme de réduire le temps qu’il voue à sa survie.

Ainsi, notre disponibilité mentale a été multipliée par huit depuis le début du XIXe siècle et par cinq depuis le début du XXe siècle.

Et avec le développement de l’intelligence artificielle, cette trajectoire a toutes les chances de s’accentuer. Parallèlement à cette augmentation du temps mental libre, la disponibilité de l’information a progressé comme jamais.

Et nous en sommes littéralement bombardés via les écrans. En 2010 en France, la moitié de notre temps de cerveau disponible était captée par ces fenêtres numériques pour regarder des émissions, faire des jeux, être dans les réseaux (anti) sociaux, lire et adresser des mails ou consulter des sites Internet.

Pourquoi les écrans exercent-ils un tel attrait ? Le sociologue Gérald Bronner, dans son livre Apocalypse cognitive que je vous recommande vivement, explique que notre cerveau s’est constitué au cours de l’évolution pour traiter massivement les informations visuelles.

Et le point de rencontre entre le cerveau et les écrans, c’est l’attention. C’est pourquoi cette faculté est devenue l’objet de toutes les convoitises de ce que l’on appelle le marché de l’attention cognitive.

Les neurosciences ont démontré que pour capturer notre attention, rien de plus efficace que de nous parler de sexualité, de caractéristiques d’identité (de genre, de couleur de peau, d’âge, d’origine…), de dangers et d’affrontements. Les géants du Web, les spécialistes du marketing et les influenceurs sont des maîtres dans l’art de l’usage de ces attracteurs irrésistibles et universels. 

Il est démontré que l’hypersollicitation de l’attention active les réseaux neuronaux dopaminergiques du noyau accumbens, impliqués dans le désir, le plaisir et l’envie. Sollicités à l’excès, ils conduisent à la compulsion puis à l’addiction. Les Gafam (2) utilisent délibérément ces circuits neuronaux.

Nous sommes des victimes consentantes d’un détournement, d’un véritable hold-up de nos capacités attentionnelles. Pourtant, l’attention est une faculté spirituelle de premier ordre.

Dans la tradition chrétienne, les Pères du désert considèrent l’attention à soi, plus importante que la connaissance de soi. Ainsi « un frère demanda à un vieillard : qu’est-ce qui fait porter du bon fruit à l’âme ? » 

Le vieillard lui dit : « À mon avis, c’est le recueillement dans l’attention. » Basile de Césarée, un des grands spécialistes de l’attention, affirmait bien avant les découvertes des neurosciences que « l’attention est aux êtres raisonnables ce que l’instinct est aux animaux ». Il signifiait par là que, bien employée, elle contribue à notre survie.

Qui sait ce que l’humanité a perdu dans les milliards d’heures de disponibilité mentale capturées par les pièges attentionnels numériques ?

À mon petit niveau, je me demande quels usages je vais faire de l’attention que j’aurai su préserver de l’emprise numérique, pour créer, imaginer, innover, inventer, espérer, aimer…

Par Jean-Guilhem XerriPsychanalyste et essayiste (1)

(1) Auteur de (Re)vivez de l’intérieur, Cerf, 224 p., 16 €. (2) Gafam est l’acronyme désignant les géants d’Internet : Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft.

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