Ma voisine – pas du tout croyante – se demande pourquoi autant de religieux et religieuses se présentent à la porte de mon cabinet. « Ah bon, ils en ont besoin ? ! », s’exclame-t-elle quand je lui dis que je les reçois en thérapie.
Preuve qu’il n’y a même pas besoin d’être chrétien pour penser que ceux qui ont une vocation deviennent directement des saints, ou en tout cas des anges, sans corps, sans psychisme et sans conflits.
Il semble que nous soyons nombreux à penser de la même manière et que ce soit même une sorte de réflexe conditionné. Quand « il » ou « elle » a reçu un appel à consacrer sa vie à Dieu, n’en fait-on pas un être à part, un peu désincarné ?
Surtout « il », me semble-t-il, quand on voit avec quelle révérence certains peuvent s’adresser au jeune prêtre de leur paroisse.
On a tous besoin d’avoir un idéal. Admirer certaines personnes et nous identifier à elles, c’est ce qui nous aide à avancer. Mais notre problème de base, celui de notre humanité, c’est qu’on veut tout, tout de suite, et complètement.
Les chapitres 2 et 3 de la Genèse constituent à ce titre un magnifique précis de psychologie. Par conséquent, quand on idéalise, on y va carrément, mais c’est inconscient.
On veut avoir tout et, par extension de ce même réflexe, l’autre doit être tout. On aimerait que les gens qu’on admire soient parfaits. On les installe sur un piédestal et ils ne doivent plus en bouger sous peine d’être rapidement voués aux gémonies.
C’est ce qui est arrivé récemment à un certain nombre de fondateurs de communautés. Loin de moi l’idée de vouloir les disculper des terribles dégâts qu’ils ont pu engendrer et de leur responsabilité.
Mais ce qui m’intéresse ici, c’est l’idéalisation qui sous-tend ces réflexes. Parce que, s’il s’agit d’une caractéristique inconsciente de chaque être humain, il y a peut-être aussi une dimension collective à cette tendance à la spiritualisation hors-sol.
Les religieux et les religieuses que je reçois me donnent des pistes. Certes, ils ne sont pas représentatifs de toutes les communautés ni de l’Église dans son entier, mais ce qu’ils me disent résonne avec tous ces scandales des dernières années.
« Dans ma communauté, il faut s’oublier, ne pas s’occuper de soi, de ses émotions. Tenir compte du psychique, c’est presque un péché. Du coup, personne ne se livre. Au bout d’un moment, on enfile un rôle et on finit tous par jouer des jeux de rôles. On est beaucoup dans le spirituel, mais le réel ne suit pas. Ça manque de parole, de vie, de chair. »
Peut-être avons-nous un peu trop séparé le haut du bas, le spirituel du charnel ? Peut-être que contrairement à ce que pense ma voisine, un cheminement spirituel n’est pas une danse gracile dans des sphères éthérées ?
Est-ce que le spirituel n’a pas eu, longtemps, une connotation de monde d’en haut, séparé du monde d’en bas, celui de la chair, un peu méprisée ?
Alors que pour naître d’en haut, il faut aussi naître d’en bas, c’est-à-dire entrer en relation avec les profondeurs de notre nature humaine, de notre corps, nos instincts, nos pulsions, la partie de notre être traditionnellement considérée comme inférieure.
Pour réellement faire le lien, l’expérience concrète de ce que notre religion de l’Incarnation a à nous enseigner.
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