Moniale Iouliania
Le chef de chœur principal du monastère Sainte Elisabeth, la moniale Iouliania (Denisova), est le chef du chœur laïc. Nous lui avons demandé de parler de sa compréhension du sens de son œuvre créative et de parler du rôle de l’expérience spirituelle qu’elle a acquise à l’Église et au monastère dans sa formation de musicienne.
Votre œuvre musicale est bien variée. Vous êtes le chef de chœur, l’auteur de chants ecclésiaux et spirituels qui sont devenus populaires au Bélarus et à l’étranger. Vous avez reçu une très bonne éducation musicale, vous êtes diplômée du conservatoire de Léningrad et avez une expérience d’enseignement de plusieurs années. Comment l’expérience spirituelle que vous avez acquise quand vous êtes devenue croyante et ensuite moniale, a-t-elle influencé votre formation de musicienne?
Je travaille depuis 26 ans dans le domaine de musique religieuse et il y a eu quelques étapes importantes sur cette voie.
La première, quand je suis devenue croyante et pratiquante. Un nouveau monde s’est ouvert à moi avec cela. Dans ma vie ont apparu des textes religieux, des offices Divins et des saints orthodoxes à qui j’ai commencé à m’adresser par la musique.
Le premier temps, je pensais que l’Église avait tout déjà et qu’il fallait simplement y venir et suivre les canons qui s’étaient déjà formés. Néanmoins, il s’est trouvé qu’une vaste étendue pour une œuvre s’ouvre à l’Église. J’ai ressenti que la musique religieuse avait un caractère extraordinairement varié et j’ai fait la connaissance de l’œuvre de compositeurs et de chefs de chœurs du passé, Tchésnokov, Arkhangelsky, Bortniansky.
Je ne me suis pas décidée assez longtemps à écrire. Je n’avais pas d’audace car j’étais une personne récemment venue à la foi. Peu de temps après, le chef de chœur m’a demandé de composer un kondakion de l’acathiste à la Protection de la Mère de Dieu que nous célébrions chaque semaine.
C’était mon premier chant. Ensemble avec d’autres qui ont été écrits plus tard, il est entré dans l’album «Chant attendrissant» que notre monastère a édité lorsque j’ai encore été laïque. L’office Divin d’aujourd’hui, la liturgie, se compose entièrement de mes harmonisations et arrangements.
Une étape pas moins importante a été mon arrivée au monastère et la prise de voile. Cela a été pour moi la voie pour prendre le dessus sur la stagnation dans ma croissance spirituelle, sur un sentiment de protestation en quelque sorte quand je voulais dire à ceux qui m’entouraient: «Je sais que je suis croyante il n’y a pas d’importance pour moi ce que vous pensez de moi.»
Au monastère, j’ai pu réaliser mon besoin intérieur de l’œuvre anonyme. Je faisais l’harmonisation et l’arrangement de chants ecclésiaux, de mélodies et de chants, qui se sont formés à l’Église au cours des siècles et qui n’avaient pas d’auteurs. Il y a deux chants principaux, znamenny et byzantin. Les autres, le chant ancien de Bulgarie ou le chant de Valaam, par exemple, sont une variété de ces deux racines. Tout cela a été très proche pour moi.
De même, j’ai commencé au monastère à écrire et à arranger des chansons spirituelles. Au début, je ne voulais pas le faire car je pensais que j’étais venue au monastère pour prier Dieu et me trouver dans des limites très strictes. Pourtant, je me suis habituée petit à petit à ce genre de travail et ai compris sa signification. La chanson, c’est un art de masse. Les gens, orthodoxes ou non-orthodoxes, chrétiens ou qui ne sont pas chrétiens, ont besoin d’une composante spirituelle dans leur vie de tous les jours, pendant leurs voyages. C’est ainsi qu’a apparu la série de disques «Les chants du pèlerin». Deux cd ont été enregistrés avec les moniales et deux avec le chœur laïc de notre monastère. Ces chansons se sont diffusées dans le monde.
À Ta Cène mystique(Znamenny chant) par le choeur du monastère Sainte Elisabeth
Encore, le monastère avait beaucoup besoin de l’unité dans le chant. L’unité c’est un sentiment de l’appui mutuel, l’appartenance et la participation de tout le monde à ce qui les réunit, l’office Divin et la communion, c’est l’unité dans le Christ. Ceci est devenu pour moi le plus important dans le chant. Une chorale mais beaucoup de personnes. La multitude en l’unité. La vraie prière en commun qui a lieu à l’Église n’est pas possible sans cela.
En quoi vous voyez aujourd’hui le sens et l’objectif de votre service musical?
Sans l’auditeur, la musique n’est que des notes écrites sur une feuille. Nous jouons de la musique pour l’auditeur. Si je joue pour moi-même, je suis alors l’auditeur, mais si nous écoutons une œuvre avec vous ensemble, nous sommes déjà un auditoire. Le sens de toute œuvre est, tout d’abord, d’être utile aux gens.
Qu’est-ce que cela signifie «être utile» quant à la musique à l’Église? Dans la Jérusalem céleste on entend partout le chant des anges. Le chant à l’église nous rappelle cela. À l’orthodoxie, pendant chaque office Divin il y a des chants. Même la lecture chez nous est faite d’une voix chantante.
Le chœur, la voix, le répertoire, tout cela a une très grande importance. L’œuvre du musicien est utile dans la mesure où elle approche l’auditeur de Dieu et de la vie éternelle en Lui. Cette compréhension le charge d’une grande responsabilité.
Dans la disposition de celui qui crée la musique, il y a un choix large de moyens d’expression. Il doit non seulement les utiliser le mieux possible, mais les choisir de la façon qu’ils correspondent au contenu haut et l’objectif de son œuvre.
La musique laïque fait ressentir des émotions, elle peut même parfois être vulgaire. Se laisser influencer par des émotions instantanées dans la musique signifie rompre une harmonie des objectifs et des moyens. Il est nécessaire de faire preuve de retenue dans ses réactions.
Nous sommes humains et nous ne pouvons et ne devons pas renoncer à nos sentiments. Il faut sentir, mais sentir à un haut degré et ne pas abaisser ce degré. Il est important pour moi que le contenu haut auquel je m’adresse, corresponde aux formes dans lesquelles je mets, en tant que compositeur, ces textes sacrés.
Celui qui crée, il doit utiliser son talent de manière altruiste, sans se l’approprier. C’est très difficile, croyez-moi. Parce que quand on voit que votre chant ou bien le chœur que vous dirigez a réussi à toucher le cœur des gens, des milliers de gens mais peut-être des dizaines de mille, certes, l’orgueil commence à saisir l’homme.
Il est très très difficile de le faire partir et de le vaincre. Cependant, si on n’arrive pas à prendre le dessus, tout va alors de travers: les moyens s’éloignent du sens, de l’idée.
Quelle réaction de vos auditeurs vous permet de comprendre que vous faites tout correctement? Quelle réponse à votre musique vous entendez dans les cœurs et les âmes des gens?
Ce que mon œuvre ne laisse pas les gens indifférents, je le vois d’après de nombreuses réactions. Il y en a ceux qui, n’étant pas croyants, ont visité un concert et ont entendu le chœur, le lendemain sont allés à l’église.
Quelqu’un voulait recevoir une profession mondaine mais il a écouté le cd du chœur et est entré au séminaire. C’est ce que je sais. Je ne me rappelle même plus plusieurs autres exemples. Je pense que mes chants trouvent une réponse chez les gens quand on les chante dans d’autres villes et pays.
Il n’y a pas longtemps, l’interprétation de la chanson «Aimer,.. juste aimer!» par le chœur protestant de jeunesse de Los Angeles m’a très attendri.
Le Magnificat (Mon âme exalte le Seigneur), chant byzantin, par le choeur du monastère Sainte Elisabeth
Ce que la musique parvient au cœur, ce sont les larmes qui en témoignent éloquemment. Le cœur se trouve profondément, pas facile de l’atteindre! Très souvent, la raison des larmes peut être la prière. On parle à l’orthodoxie de la prière en larmes.
Cette prière, on la cherchait, et les gens pieux, saints, les ermites, les sages des temps anciens aspiraient à elle. C’est très bien si l’âme répond au chant par des larmes.
Comment est-il possible de préparer l’homme à la perception de la musique religieuse? Que peut-il faire le musicien – le chantre, le chef de chœur – pour cultiver le goût de la musique, pour apprendre à l’aimer?
Pour dire brièvement, alors tout est dans la sincérité. C’est grâce à elle qu’on a envie d’écouter le chœur. Il faut chanter sincèrement. Néanmoins, la sincérité n’est pas possible sans la foi profonde. En effet, comment peut-on chanter sincèrement à l’église si on n’est pas croyant? Certes, on peut prendre cela pour un art, comme une partie de la profession.
Vous savez, comme on écrit dans des romans policiers: travailler sous la protection de son professionnalisme. Au chœur laïc de notre monastère de même il y a eu, peut-être, le danger de partir dans le professionnalisme des chantres.
Nous nous sommes formés dès le début comme un chœur d’église professionnel où les chantres sont sérieux quant à la foi et je suis sûre que les gens entendent cela en bas.
Le chant qui est rempli de sincérité et de foi, trouve la réponse chez les auditeurs même s’il n’est pas parfait du point de vue musical. J’ai commencé à chanter dans un chœur de paroissiens où chantaient non pas ceux qui devaient mais ceux qui pouvaient.
Trois chantres seulement avaient une éducation musicale. Les autres étaient des littéraires et des scientifiques. Je pense que c’étaient mes meilleurs années.
Il y a eu aussi une période où j’ai dû prendre en patience les erreurs dans le chant du chœur. Il m’est arrivé quelques fois de sortir du chœur et de pleurer parce que l’hymne des chérubins n’a pas été bien chanté.
Mais après les gens venaient nous dire que nous avions chanté très bien! Les gens ont certainement entendu quelque chose d’autre que nos erreurs dans le chant.
Plus tard, quand je me trouvais aux offices Divins dans des églises à la campagne et que j’entendais des erreurs dans le chant, cela ne me choquait pas du tout car ils faisaient leur possible pour chanter à Dieu.
C’est si spontané pour une église du village... Les voix y sont simples et leur chant usuel est tout de même très harmonieux.
Nous chantons avec notre chœur non seulement au monastère, mais aussi là où on nous invite: dans des prisons, dans des hôpitaux. Nous ne le faisons pas actuellement à cause de l’épidémie de coronavirus.
Je me rappelle notre visite à une prison pour chanter à l’office Divin: l’église était seulement de trois mètres sur quatre et les détenus se sont rassemblés à son intérieur que l’église a été entièrement remplie.
Mais comment pieusement ils ont écouté l’office! Le lecteur Georges a lu les épîtres des apôtres si cordialement et c’était si fervent comme s’il lisait pour la dernière fois dans cette vie.
Si les gens peuvent chanter de façon pure, ils doivent donc essayer de réussir. Si un chœur est plus ou moins professionnel mais qu’il chante avec des erreurs, cela peut signifier beaucoup.
Il se peut qu’il y a des désaccords entre eux, ou qu’ils ne respectent pas le chef de chœur soit c’est lui qui ne les respecte pas, ou encore que le chef de chœur n’entend pas leurs erreurs de chant et ne fait pas de remarques ou bien que ça leur va comme ça. Toute la disharmonie et les erreurs de chant, l’auditeur les entendra obligatoirement.
Beaucoup de nos lecteurs ont aimé la musique d’église ou commencent seulement à s’intéresser à elle. Que pourriez-vous leur souhaiter?
Je souhaite à tout le monde ressentir la variété du chant d’église et que chacun trouve en lui ce qui lui est proche. Il y a pour cela beaucoup de possibilités aujourd’hui, on peut trouver presque tout à l’Internet. Il est important d’écouter attentivement si vous avez à cela une réponse dans l’âme ou non.
Peut-être que quelqu’un sera impressionné par les chants spirituels en araméen du père Serafim Bit Haribi. Certains peuvent aimer le chant de Valaam du choeur d’hommes de notre monastère, d’autres encore peuvent aimer les chants de la chorale d’Anatole Grindenko de Moscou, il chante les chants anciens de Russie encore du temps soviétique.
Encore, on ne peut pas rester indifférent à la voix d’or de Divna Luboévitch. Son chant est harmonieux, doux, élégant et attendrissant.
On peut chanter différemment à l’église. Je souhaite que le chant qui vous a plu toujours réponde dans l’âme par la prière.
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