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1 février 2022 2 01 /02 /février /2022 20:08

Agafia Lykova Ermite Vivant depuis sa naissance dans l’isolement total au cœur de la Sibérie, cette septuagénaire appartient aux « beguny », l’un des groupes les plus traditionalistes de vieux-croyants orthodoxes.

Elle parle comme elle chante ses psaumes. Ermite religieuse, recluse de la vie moderne, Agafia Lykova vit pleinement sa solitude depuis… soixante-dix-sept ans.

« Non, jamais je ne partirai d’ici ! », insiste de sa voix douce cette babouchka qui, née en pleine taïga, n’a jamais quitté son rocher de terre bordé d’une rivière prise par la glace pendant les longs mois d’hiver par – 40 °C.

La première ville digne de ce nom, Abakan, en pleine Sibérie russe, est à trois heures d’hélicoptère.

Fidèle de la branche des « vieux-croyants » de l’orthodoxie, issue d’une famille qui avait échappé aux répressions communistes, elle mène une vie de paysanne pieuse, rythmée par ses activités quotidiennes : rassembler des branchages, nourrir les animaux, couper le bois, raviver le feu, pétrir la pâte, préparer le pain.

Puis retourner aux prières. « Il n’y a qu’une religion, c’est même effrayant de penser qu’il peut en exister d’autres », explique-t-elle lors d’une discussion tard le soir. Le visage, couvert de rides, est calme, la voix apaisée, le regard clair.

Rencontrée dans sa modeste maison de bois fin novembre dans la forêt des monts Saïan, surréel refuge dans un décor de neige et glace, cette femme parle peu.

Célèbre en Russie mais sans pour autant être une autorité religieuse, elle pourrait devenir un jour une sainte, effigie d’un univers culturel qui pourtant n’existe plus qu’à l’état de traces et qui pourrait bien disparaître avec elle.

La babouchka ne répond qu’aux questions qu’elle aime et donne peu de détails sur son mode de vie et les strictes limitations imposées par sa religion.

Agafia Lykova ne boit que de l’eau bouillie.

Elle ne mange que de la viande lavée à la rivière pendant plusieurs jours, vidée ainsi de tout reste de sang et donc de réminiscence de ce qui évoquerait l’esprit.

Elle ne se lave jamais au savon et ses mains sont devenues noires et épaisses avec le temps. « Ici j’ai mon mode de vie. J’ai besoin seulement de prières », assure-t-elle.

Ses larges sourires illuminent à eux seuls sa parole, rare et toujours plongée dans l’histoire, celle de sa famille. Inlassablement, Agafia raconte le récit des Lykov, sa famille de vieux-croyants qui, dans les années 1930, a fui les persécutions communistes particulièrement cruelles contre la foi.

Plus de trois siècles après l’historique scission dans l’église orthodoxe russe – le schisme de 1666 –, les vieux-croyants défendent encore aujourd’hui leurs droits et héritage malgré leur éclatement en une multitude de croyances.

Avant la révolution bolchevique de 1917, ils représentaient encore 20 % de la population russe. Aujourd’hui ces groupes traditionalistes ne comptent plus que pour 1 %, soit moins de 1,5 million de personnes.

Depuis qu’en 1978, des géologues soviétiques ont découvert son refuge en survolant la région, Agafia Lykova ne vit plus tout à fait déconnectée.

Ces dernières années, son isolement géographique et spirituel est rythmé par les occasionnelles visites en hélicoptère de diacres et volontaires venant apporter aides et vivres.

Parmi ces soutiens : le parc naturel qui protège cette région mais aussi la Fondation Volnoïe Delo d’Oleg Deripaska.

Le milliardaire et magnat de l’aluminium, propriétaire d’immenses usines dans la plaine voisine (à 300 km de là…), a financé plusieurs expéditions et, cette année, la construction d’une nouvelle maison pour l’ermite.

Une isba simple et belle en pin clair bâtie loin de là puis, démontée, transportée en une quarantaine de voyages le long de la rivière et finalement plantée à côté des vieilles huttes paternelles.

Un confort nouveau, simple et modeste.

« Étonnamment, Agafia préfère prier et dormir dans ses vieilles maisons. L’habitude… », témoigne l’un de ses visiteurs réguliers. « Elle sait qu’ici la taïga est reine mais elle ne craint rien, ou alors seulement les ours ! »

Deux semaines avant notre visite, un mâle affamé avant l’hibernation s’est aventuré vers le domaine d’Agafia. Elle a craint pour ce qui, outre ses vieux recueils de prières noircis par les années, est le plus précieux dans la vie : ses chèvres.

La babouchka a dormi quatre jours auprès d’elles. « Il faut les protéger ! J ’espère que je pourrai vivre jusqu’à 80 ans », sourit-elle. « Après ça, je veux aller au paradis – mon prochain arrêt… »

Entrer dans la vie d’Agafia Lykova, c’est ainsi effleurer les pages d’un extraordinaire conte où se mêlent forêt de fiers sapins, décor vallonné de neige immaculée, ciel bleu éclatant puis une nuit noire nappée d’étoiles étincelantes, silence interrompu par le chant d’oiseaux ou l’aboiement d’un chien.

Et cette isba en bois entourée de huttes et cabanes d’où surgit une frêle silhouette, l’esprit en prières.

Son inspiration

Fidèle au choix de son père

« Pourquoi partir ? Mon père m’a dit de rester ici. Je reste… » Agafia Lykova est resté fidèle à la décision de son père, Karp Lykov.

C’est lui qui, en 1936, décida d’abandonner la vie civilisée pour se réfugier dans ce coin de Sibérie afin de protéger « sa » version de la religion.

Il emmena toute sa famille. Pour éviter les liaisons consanguines, les frères sont partis vivre plus loin, toujours dans l’isolement religieux.

La fille est restée avec son père et n’a pas eu d’enfant.

Depuis 1988, elle est la dernière en vie de sa famille.

Aujourd’hui, la tombe paternelle et sa simple croix émergent de la neige, juste à côté de la niche du chien et des cabanes des chèvres.

Régulièrement, Agafia s’y recueille avant d’aller nourrir ses animaux.

Benjamin Quénelle

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