Le mot vient de l’italien putto, « l’enfant », terme lui-même dérivé du latin putare, « laver ». « Petit » est celui qui ne peut pourvoir à son propre soin.
C’est ainsi que l’entend la parabole dite du Jugement dernier, à propos de l’aide que l’on doit à l’homme nu, emprisonné, affamé : « Chaque fois que vous l’aurez fait au plus petit d’entre mes frères, dit Jésus, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).
Si une vie mesure son humanité par le soin du plus petit, c’est vers lui qu’elle doit inlassablement converger. Vers lui aussi pourraient converger nos combats collectifs. Prenons deux d’entre eux : l’épineuse question des flux migratoires et celle controversée des « convois de la liberté ».
À l’heure où j’écris, des camionneurs canadiens occupent Ottawa parce que, en l’absence de vaccination ou d’un pénultième rappel, ils ne peuvent plus passer la frontière de leur propre pays, perdant ainsi leur droit de travailler.
Le migrant, quant à lui, est un être qui a passé une ou plusieurs frontières sans pourtant laisser aucune d’elles derrière lui. Comme dans un cauchemar, celles-ci lui collent à la peau. Là où il est, le migrant ne déclenche aucun droit.
Ce ne sont plus des frontières physiques, puisqu’il est là, mais des frontières impalpables, qu’ouvrent ou ferment des procédures administratives. La patrie du migrant se limite à son corps et son corps, n’étant d’aucun corps social, s’arrête à cette peau que chaque jour il doit sauver.
C’est ainsi que, à tort ou à raison, les « convoyeurs de la liberté » vivent les sanctions vaccinales. Ils sont dans un pays en perdant peu à peu le droit d’en être. Au Canada précisément, entre autres restrictions que nous connaissons, l’accès au culte est conditionné à la présentation d’un QR Code.
Qu’un camionneur canadien, bonhomme sous sa chemise à carreaux, puisse être assimilé à un migrant, cela révèle une des lois secrètes de notre vie commune : le mal que nous laissons faire aux plus petits, c’est cela qu’il nous arrivera bientôt.
Dans la suite de la parabole, le Christ ne dit pas autre chose (Mt 25, 45). Et en effet : perdre votre droit d’entrer dans vos lieux de vie habituels parce que votre QR Code n’a pas été initialisé, c’est, à la manière d’un migrant, voir votre peau devenir la limite de votre monde.
Si nous n’y prenons garde, si par exemple nous laissons dans l’indifférence le fait qu’aujourd’hui nombre d’adolescents n’ont plus accès à la bibliothèque ou à la piscine, la vie sous passe vaccinal ressemblera à une sorte de lèpre sociale.
Que conclure de cela ? Que le sort que nos politiques réservent aux moins puissants nous regarde tous ? Sans aucun doute.
Que la façon dont cela nous regarde doit nous inviter à mesurer les conséquences sociales et humaines de l’emprise technologique sur nos vies ?
Je le crois aussi. « C’est la marge qui tient la page », disait Godard. C’est aux petits d’aujourd’hui qu’on mesure les grands.
Par Martin Steffens, philosophe (1)
(1) Auteur de Faire face. Le visage et la crise sanitaire, avec Pierre Dulau, Première partie, 160 p., 17 €.
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