« Ne pas oublier les peuples en guerre »
Catherine Billet
63 ans, ancienne déléguée générale de Pax Christi
Même dans un moment aussi simple que la préparation d’un repas, Catherine Billet se souvient de la chance qu’elle a de vivre en paix et refuse d’« oublier les peuples en guerre » . Déléguée générale de Pax Christi de 2012 à 2019, cette mère de six enfants a rencontré des « témoins de violences extrêmes » d’un bout à l’autre du globe. Des récits impossibles à oublier.
Il y a les Ukrainiens, bien sûr, mais aussi les Maliens, les Éthiopiens, les Yéménites… Cette compassion pour les peuples en guerre prend au quotidien la forme d’un « compagnonnage » spirituel. Celui-ci pousse Catherine à convertir son regard. Sur elle-même, d’abord, et sur la colère et le ressentiment qui l’habitent parfois. Mais aussi sur les belligérants, de tous bords. « Ces jours-ci, je regarde le courage des Russes qui s’opposent à ce conflit. » Elle tient aussi à comprendre, sans les excuser, les « blessures » de ceux qui ont choisi la violence.
Son inspiration : « Au matin de Pâques, le dialogue du Christ ressuscité et de Marie Madeleine (Jn 20, 17), avec la tension entre la joie de la rencontre et la nécessité d’aller vers… »
Mélinée Le Priol
« Contempler une œuvre d’art me porte à la louange »
Marie-Amélie Saunier
49 ans, veuve, mère de famille et cadre dans les ressources humaines à Lyon
Entre son travail et ses quatre enfants dont Paul, 21 ans, atteint d’autisme, Marie-Amélie Saunier « est souvent exposée à de la fatigue » . Si la semaine Paul est en établissement, le week-end, il rentre à la maison. Son manque d’autonomie nécessite une attention de chaque instant. « Ne pouvant faire aucun projet, j’ai souvent le sentiment d’étouffer » , confie Marie-Amélie.
Pour « nourrir la joie » en elle, et « ne pas être jalouse de ceux qui partent en vacances » , cette artiste contemple une peinture dans un livre ou sur Internet. Seule au petit déjeuner, Marie-Amélie observe l’œuvre en silence. Elle se laisse toucher par les couleurs, la composition, la lumière… puis elle réfléchit : que lui dit, par exemple, cette fenêtre ouverte sur une baie en Méditerranée peinte par Albert Marquet ? « Il avait un pied bot. On sent qu’il ne peut pas aller se promener mais, de sa fenêtre, il nous donne à voir toute cette beauté comme une promesse. Cela me porte à mettre ma joie dans sa joie, à ouvrir ma fenêtre et regarder ce qui est beau autour de moi. »
De cette contemplation jaillit spontanément une louange, un merci ou une demande à Dieu. Dans la journée, Marie-Amélie reviendra quelques minutes à cette œuvre, pour « garder ce regard sur ce qui l’entoure, cet esprit de louange » .
Son inspiration : le peintre et sculpteur Arcabas (1926-2018), « pour la couleur, la lumière, son regard neuf sur le Christ » .
Florence Chatel
« Passer du temps avec une personne isolée »
Marie-Laure Herlin
59 ans, mère de famille et assistante à Montbazon (Indre-et-Loire)
À l’approche du Carême, Marie-Laure Herlin fait preuve de créativité pour se faire plus proche des autres. « Je trouve Dieu dans l’amour des autres plus que devant le tabernacle. » Marie-Laure aime les moments simples où elle peut offrir un peu de joie aux personnes. « J’essaie de prendre le temps d’écrire une lettre à une ancienne voisine, qui est loin et que je sais isolée. » Elle envoie aussi des livres ou des articles découpés qui peuvent intéresser la personne.
Plus près d’elle, elle essaie d’être attentive aux personnes isolées, ou affaiblies par l’âge ou la maladie. « Je propose à une personne qui ne sortirait pas seule de faire une promenade avec moi. » Elle explique que la marche est un moment propice au partage des soucis, à la recherche de solutions ensemble. « Ce sont des moments gratuits, tout simples. » Pour Marie-Laure, dans ce temps donné, la présence de Dieu est évidente : « Ces visites ont quelque chose à me dire sur Dieu, et cela me rappelle que je ne peux pas me suffire à moi-même pour le chercher . »
Son inspiration : les rencontres de Jésus, qu’elle lit et relit dans les Évangiles.
Venceslas Deblock
repères
Affermir sa foi
Le Carême (du latin quadragesima , « quarantième »), période de quarante jours précédant Pâques, est un temps de mise à l’épreuve et d’affermissement de la foi. Dans la Bible, « 40 » est le nombre de l’attente : quarante jours de Jésus au désert après son baptême ; quarante années du peuple juif dans le désert avant d’entrer en Terre sainte…
Ce temps liturgique spécifique, consacré notamment à l’enseignement des catéchumènes, a toujours été marqué par le jeûne et la pénitence, excepté les dimanches, jour de la résurrection du Christ.
« J’entame un jeûne numérique ascétique »
Thomas Belleil
26 ans, étudiant à Paris
« Pas de télé, pas de matchs de foot, pas de jeux vidéo, pas d’Internet, pas de films ni de séries… Je désactive mon compte Facebook de mon téléphone. Cela va me libérer davantage de temps pour lire et me rendre plus disponible aux autres : voir des amis, discuter avec mes colocataires, etc. » Pour le Carême, Thomas Belleil, 26 ans, a choisi d’entamer un jeûne numérique drastique. « C’est la première fois que je pratique ce type d’ascèse , poursuit cet étudiant en master de sciences religieuses au Collège des Bernardins. Je m’éloigne naturellement des écrans lors d’une retraite ou durant mes vacances, mais là c’est différent. »
Thomas n’avait pas songé à réduire sa consommation numérique pour le Carême jusqu’à ce qu’un colocataire protestant lui suggère de participer avec lui au parcours spirituel anglophone Exodus 90, qui propose « un voyage vers Pâques » (1). Réaliste, il veut « respecter l’esprit du parcours » sans renoncer à sa « liberté intérieure » . Il a aussi besoin de son ordinateur pour ses cours, ses démarches administratives et pour maintenir « une vie sociale élémentaire » . Et s’il craque ? « Ce n’est pas dramatique, l’important, c’est d’être persévérant et de garder le cap. »
Son inspiration : « L’oraison tous les matins, prier l’Esprit Saint au maximum, lire la Bible. »
Gilles Donada
(1) Inventé par un prêtre nord-américain, il est disponible gratuitement sur… Internet. https://exodus90.com
« Jeûner pour s’émerveiller devant la Création »
Xavier Gravend-Tirole
46 ans, père de famille, aumônier universitaire à Lausanne (Suisse)
«Tout est lié. » Convaincu depuis de nombreuses années que « nous faisons partie de la toile du vivant et recevons notre vie d’elle », le théologien et aumônier universitaire Xavier Gravend-Tirole a l’habitude, en famille, de « remercier les végétaux, ce qui se retrouve dans notre assiette, notre frère soleil et notre sœur la pluie » , à l’instar de François d’Assise. La prise de conscience de recevoir sa nourriture de cette interdépendance, don de Dieu, le conduit, avec sa famille, à faire attention à l’origine de son alimentation, la façon dont sont traités les travailleurs qui la produisent, dont la création est respectée, la proximité des producteurs… Pendant le Carême, le quadragénaire éprouve son rapport à son alimentation, en s’en privant lors d’un jeûne total de sept jours. « Le plaisir de manger, de faire frétiller nos papilles, participe pour moi de la gratitude, de l’émerveillement devant la Création , explique-t-il. Se priver de ce plaisir permet d’en prendre mieux conscience, pour retrouver cette joie. »
Se priver de nourriture lui permet de « se désencombrer » dans une forme d’ascèse, qui est aussi « repentance au sens hébreu de Techouva, ”revenir à Dieu” ». Ce jeûne « ne se pense pas tout seul, mais avec la prière et l’aumône, car c’est un retour à Dieu, et dans la solidarité avec mon prochain », ajoute-t-il.
Son inspiration : le théologien orthodoxe Michel Maxime Egger, dont le dernier livre invite à « se libérer du consumérisme ».
Clémence Houdaille
« Je parlerai à son cœur »
« C’est pourquoi je vais la séduire, je vais l’entraîner au désert et je parlerai à son cœur » (Os 2, 14). Avec cette entrée en Carême, nous sommes conviés à ralentir, à faire un pas de côté pour faire place à Dieu dans nos vies, à laisser sa Parole résonner en nous. Nous sommes invités au désert, lieu de l’aridité, de la soif, de la faim. Mais aussi lieu de l’essentiel, de la rencontre.
Six témoins partagent avec nous la façon dont ils vivent ces quarante jours. Chacun d’une manière particulière. Marie-Laure trouve Dieu dans une relation gratuite aux autres. Elle essaie d’être attentive aux personnes en situation d’isolement ou affaiblies par l’âge ou la maladie. Marie-Amélie, pour sa part, prend le temps de contempler une œuvre d’art et de « se laisser toucher par les couleurs, la composition, la lumière ». Ce qui la porte à la louange.
D’autres encore font une démarche volontaire d’ascèse. Tel Xavier, qui choisit de jeûner pour se « désencombrer » et retrouver le plaisir de manger. Ou encore Thomas, qui a choisi cette année d’opérer un « jeûne numérique » en abandonnant ses écrans afin d’être davantage disponible pour ses amis. Professeure, Agathe veille pour sa part à ce que sa parole soit « impeccable », notamment vis-à-vis de ses élèves. À nous de trouver la démarche qui nous nourrit.
Notre Carême, cette année, débute dans le fracas des armes en Ukraine. Nous sommes profondément atteints par la folie des hommes, ces destructions, ces exodes, ces morts. Avec Catherine, nous pouvons prier pour – et avec – les peuples en guerre.
Reste que nous croyons et avons fait l’expérience dans nos vies qu’après le tombeau vient la résurrection. Comme l’écrivait au début du conflit un ami dont la femme est ukrainienne : « Au matin, le soleil se lève. »
Vincent de Féligonde