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17 avril 2022 7 17 /04 /avril /2022 19:30

Si j’ai connu une conversion en Inde, c’est d’avoir appris à apprivoiser la mort comme évidence de l’existence humaine.

Fils de l’Occident, j’ai longtemps vécu le paradoxe d’une mort virtuellement omniprésente sur les écrans mais totalement absente dans sa réalité la plus crue.

Combien d’années m’a-t-il fallu avant d’approcher un cadavre qui était sûrement maquillé et apprêté ? À Bénarès, rien de cela ! La mort fait totalement partie de la vie car elle est au cœur de la ville sainte sur les deux ghat de crémation au bord du Gange.

Vers eux affluent les incessantes processions funéraires portant les corps enveloppés de linceuls blancs et safran et criant « Ram nam satya hai », « le nom de Dieu est la vérité ».

Les morts sont alors livrés aux flammes et, tandis qu’ils se consument, les enfants jouent au cerf-volant, les lavandiers battent leur linge et les proches du défunt devisent calmement.

En sanskrit, le terme kala sert à la fois à désigner le temps et la mort.

De fait, dès que l’homme naît, le compte à rebours de sa propre disparition est lancé. Après avoir pleinement mûri pour la mort, celle-ci l’enlève à la vie comme « on arrache un concombre à sa tige », selon une fameuse prière du Rig Veda.

Certes, la douleur de la séparation n’est pas gommée mais nul ne peut aller contre l’inexorable écoulement du temps, pas même les morts imprévues (a-kala) laissant pourtant un sentiment d’inachèvement.

Surtout, contrairement au chrétien, l’hindou est convaincu que tant d’existences viendront encore l’aider à traverser le grand fleuve du samsara : « Comme le grain de blé, l’homme mûrit et pourrit, comme le grain de blé, l’homme renaît encore » (Katha Upanishad).

Ce qui seul importe à l’hindouisme, c’est la moksha, la délivrance du cycle des naissances et des morts, l’entrée définitive dans la lumière divine.

En ce sens, la mort n’est pas la fin de la vie mais son point médian avant l’immortalité promise.

Ainsi, les bûchers de Bénarès, face à l’autre rive du Gange d’où monte à chaque aube le soleil rougeoyant, sont la plus belle métaphore de la glorieuse fragilité de l’existence humaine.

Fondée sur la pierre angulaire de Jésus mort et ressuscité, l’Église peut se prévaloir d’être la grande experte du mystère de la mort.

Depuis des siècles, sans ménager sa peine, elle a humblement accompagné tant de personnes dans leurs derniers instants.

Cependant, dans le dialogue existentiel que je vis avec l’hindouisme, je trouve inquiétant que la mort soit aujourd’hui absente de nombreuses prédications comme elle l’est précisément en Occident, jusqu’au jour où des événements tragiques nous rappellent brutalement à son incontournable réalité.

Marqué du signe de la croix, le christianisme a su, comme aucune autre religion, assumer le tragique et la douleur.

Mais, au même moment, le Christ du matin de Pâques, que saint Paul appelle somptueusement le « premier-né d’entre les morts », a ouvert à jamais les portes de la vie éternelle.

Ceci explique que, pétri de foi chrétienne, un François d’Assise ait pu ultimement louer son Seigneur en accueillant dans une douce confiance « notre sœur la mort corporelle à qui nul homme vivant ne peut échapper ».

Par Yann VagneuxPrêtre des Missions étrangères de Paris vivant en Inde (1)

(1) Il a raconté son expérience dans Prêtre à Bénarès, Lessius, 304 p., 27 €.

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