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13 juillet 2022 3 13 /07 /juillet /2022 19:30

Depuis quelques jours, j’éprouve de la reconnaissance pour Thomas Brail, un jardinier arboriste. Depuis le 31 mai, ce baron perché campe sur les hauteurs d’un platane centenaire, un de ceux qui bordent la tour Eiffel.

Déjà, en 2019, il avait choisi la même formule pour dénoncer l’abattage d’arbres dans le Gers. Grimpé dans celui qui fait face au ministère de la transition écologique, accroché à ses branches pendant un mois, il avait attiré notre attention sur le mauvais traitement que les pouvoirs publics infligent à nos arbres, et à nos forêts.

Désormais, à vingt mètres du sol, et engagé dans une grève de la faim, c’est contre la coupe rase et sacrilège des quarante-deux platanes centenaires qui bordent la tour Eiffel, que Thomas Brail se dresse : la ville de Paris avait en effet décidé d’édifier, en leur lieu et place,… une consigne destinée à soulager le touriste du poids de ses bagages.

Thomas Brail n’a pas choisi son arbre au hasard. Planté en 1814, son platane avait fait l’objet de tous les soins de Gustave Eiffel lors des travaux entrepris pour sa tour.

Notre héros digne d’Italo Calvino en fait le symbole de son action, qui déborde sur tous les arbres de France. Il s’alarme du programme gouvernemental, qui envisage d’accroître les prélèvements d’arbres dans nos forêts de quelque 70 % d’ici à vingt-cinq ans, et d’industrialiser l’exploitation de nos massifs, derniers espaces un tant soit peu sauvages, denses et chlorophyllés, naturels (1).

Il souligne ce qui ne se voit pas– une forêt (re) plantée au cordeau, toujours du même arbre, souvent exotique, n’est plus une forêt vivante, de celles où s’opèrent les échanges mystérieux et nourriciers entre les insectes et les essences, les plantes et leurs hôtes, l’humus et l’oxygène, les oiseaux et les baies –, tout ce que la nature a mis des siècles à élaborer dans un équilibre subtil, dans une variété fructueuse. En vérité, des échanges substantiels entre le ciel et la terre, entre l’homme et son histoire.

« Auprès de mon arbre, je vivais heureux », chantait Georges Brassens. Assurément, durant des siècles, l’arbre a fait notre bonheur, et l’homme l’a vénéré.

On se souvient de l’arbre-cosmos, Yggdrasil. Dans la mythologie nordique, il relie les neuf mondes et tient en équilibre les parties de l’Univers. Bouddha a médité des années à l’abri du Figuier. Ainsi qu’Adam et Ève, dans le jardin d’Éden, sous l’Arbre de la connaissance. Et c’est pendu à l’arbre en croix que Dieu en Jésus a souffert pour nous.

Apparu il y a 370 millions d’années sur Terre, l’arbre s’est fait complice de l’homme. Il a accompagné ses premiers pas. Il l’a nourri de ses fruits et de ses baies, vêtu de son écorce, chauffé de son bois, abrité de ses branches. « J’ai entendu conter l’histoire des temps anciens où les bêtes, les arbres et les rochers conversaient avec les hommes.

J’ai vraiment l’impression qu’ils vont recommencer à tout instant et qu’à simplement les regarder, je pourrais deviner ce qu’ils essaient de me dire », confiait Novalis.

Je crains que le poète, s’il les écoutait aujourd’hui, ne puisse entendre que leurs larmes. Ils s’étonneraient sans doute qu’on les abatte ainsi, quand seuls ils peuvent encore nous protéger contre le cataclysme climatique que nous avons provoqué. Ils lui rappelleraient qu’avec eux c’est tout un symbole qu’on abat – non pas un symbole comme les autres, mais le symbole par excellence, l’archétype de tout symbole.

Sinon, auraient-ils été vénérés du Japon à l’Égypte, du Grand Nord à la Patagonie, eux, et eux seuls, dont la beauté croît avec l’âge ?

Nous appartenons tous à un arbre. Ou à des multitudes. « Tu le sais bien, mon Arbre, que dès l’aube je te viens embrasser : je baise de mes lèvres l’écorce amère et lisse, et je me sens l’enfant de notre même terre », dit le pâtre Tityre, sous la plume de Paul Valéry.

Pour moi, mon âme est une forêt, depuis le saule planté à ma naissance jusqu’aux bois verts de mon enfance normande, du platane fabuleux de la grecque Nauplie aux chênes des Pyrénées.

Au milieu d’eux, le tilleul qui abritait à Montmartre mes conversations avec Yves Bonnefoy.

Qui justement me parlait d’arbres, de leurs signes, des feuillages mystérieux de Nicolas Poussin, et de cet arbre des rues, comme celui qui frémissait alors sous la brise, auquel il avait rendu hommage : « Regarde ce grand arbre/et à travers lui/il peut suffire./Car même déchiré, souillé,/l’arbre des rues,/c’est toute la nature,/tout le ciel/l’oiseau s’y pose./le vent y bouge, le soleil/y dit le même espoir malgré/la mort. »

(1) Avec l’association qu’il a créée, le GNSA (Groupe national de surveillance des arbres), et une cinquantaine d’organisations dont Canopée, les réseaux pour les alternatives forestières, et le Snupfen, syndicat majoritaire de l’Office national des forêts, et une kyrielle de professionnels de la sylviculture.


Christiane Rancé

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