Un sondage exclusif Ifop pour l’Alliance biblique française, réalisé en partenariat avec La Croix L’Hebdo, révèle que 27 % des Français possèdent une bible et que seuls 19 % la lisent.
Pour les autres, la Bible demeure un « continent inexploré ». Pourtant, un Français sur quatre dit souhaiter mieux la connaître à l’occasion de cette enquête d’opinion, dix personnalités racontent leur relation au Livre.
Une « terra incognita ».
Telle semble être la Bible pour une grande partie des Français. Les résultats du sondage « Les Français et la Bible », réalisé pour l’Alliance biblique française par l’Ifop montre que cet ouvrage plurimillénaire, monument de la culture mondiale et texte source des grands monothéismes, est loin, très loin, de faire partie du quotidien des Français.
Sa présence et sa fréquentation continuent même de diminuer, à un rythme qui s’accélère, si l’on en juge par comparaison avec de précédents sondages sur le même thème, réalisés en 2001 et 2010.
À la question de savoir s’ils possèdent une bible dans leur foyer, un quart des Français interrogés (27 %) répondent positivement. À l’inverse, les trois quarts (73 %) n’en possèdent aucune.
Naguère, ils étaient encore 42 % (en 2001) et 37 % (en 2010) à en avoir une chez eux.
« On constate une baisse importante (- 15 points) de la possession de l’objet en vingt ans et cette baisse se fait selon un rythme plus rapide ces dix dernières années », souligne Gautier Jardon, chargé d’études à l’Ifop.
Autre critère important pour évaluer la familiarité des Français avec la Bible, la fréquence de lecture.
Or, 81 % des Français interrogés déclarent ne « jamais » la lire, un résultat « massif », relève Gautier Jardon. Parmi les 19 % qui déclarent lire la Bible, seuls 4 % le font au moins une fois par mois.
« Le sondage manifeste la confirmation que la Bible reste d’un usage relativement élitiste.
C’est une pratique rare et en déclin », analyse le sociologue Yann Raison du Cleuziou.
Ces chiffres très bas ne le surprennent pas.
« En France, la familiarité avec la Bible n’a jamais été considérée comme un élément ordinaire de l’intégration religieuse. La religiosité populaire de référence repose sur des pratiques, des rituels et des dévotions, pas sur un rapport au texte », précise-t-il.
L’histoire des Français avec le Livre est de fait récente.
« Cette histoire a été marquée par le conflit entre les catholiques et les protestants, qui a pesé lourdement dans cette affaire, rappelle l’historien Guillaume Cuchet.
Dans le monde catholique, jusqu’au milieu du XXe siècle, il y a eu une défiance devant la diffusion de ce texte.
Avant le concile Vatican II, la Bible est d’ailleurs un terme protestant. Chez les catholiques, on parle plutôt des Saintes Écritures. »
Il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour que les choses changent, puis l’impulsion décisive du concile Vatican II (1962-1965), qui a remis la Bible au centre de la vie chrétienne et de la liturgie.
« C’est dans les années 1960-1970 que le maximum de proximité entre les catholiques français et la Bible a été atteint, évalue Guillaume Cuchet.
Et le décrochage que l’on aperçoit dans le sondage, à la fois dans la possession et la lecture du Livre, est à remettre dans cette séquence-là. »
Un intérêt spirituel, culturel ou littéraire
S’ils n’ont longtemps pas eu de contacts personnels avec le texte, les Français n’ont pas manqué de connaissances bibliques.
« L’Église n’a pas fait lire la Bible, mais elle a transmis via le catéchisme ce que bon lui semblait, souvent de manière rudimentaire », explique la bibliste Roselyne Dupont-Roc.
Signe de la profondeur de cette transmission, les résultats du sondage montrent le maintien d’une bonne connaissance des différents événements bibliques.
« On n’a que 20 % de la population qui ignore totalement les différents épisodes du récit biblique », relève Yann Raison du Cleuziou.
Jusqu’où va cette connaissance ?
Le sondage n’approfondit pas cette question. « Les Français connaissent l’histoire de la naissance, de la mort et de la résurrection de Jésus, Adam et Ève et l’arche de Noé, puis rapidement les choses s’effilochent »,remarque Roselyne Dupont-Roc.
Pour le psychanalyste Jacques Arènes, qui utilise régulièrement les récits bibliques dans l’accompagnement de ses patients, cette connaissance reste superficielle.
« La Bible comprise comme réservoir d’histoires et de mythes qui peuvent nous aider à comprendre la condition humaine n’est pas très présente, témoigne-t-il.
Les gens cultivés connaissent davantage les Métamorphoses d’Ovide que l’histoire de Job ou de Caïn et Abel. »
« En France, c’est l’héritage gréco-latin qui a été et est encore massivement enseigné et transmis, confirme Roselyne Dupont-Roc, qui a longtemps enseigné le grec ancien.
On est complètement passé à côté de la Bible. Quelle occasion ratée ! »
Pour autant, le sondage manifeste que l’intérêt pour la Bible se maintient à des taux élevés.
50 % des Français interrogés trouvent « personnellement » un « intérêt religieux ou spirituel » à ce texte et 40 % (en cumulé) y voient un intérêt culturel, littéraire ou historique.
Seuls 5 % ne lui trouvent aucun intérêt.
« Parmi ceux que je reçois en analyse, je n’ai jamais rencontré de gens fermés à l’exploration d’un récit biblique, abonde Jaques Arènes.
Les gens sentent que ce texte a un intérêt culturel, littéraire et même anthropologique.
Je crois d’ailleurs que la crise sanitaire a ramené vers les classiques, qui constituent une sorte de viatique pour traverser les difficultés. »
L’exégète Thomas Römer, titulaire de la chaire milieux bibliques au Collège de France, perçoit lui aussi de la curiosité. « Depuis quinze ans, j’ai toujours rencontré de l’intérêt et celui-ci va croissant », indique le chercheur.
S’ils semblent respecter ce monument religieux et culturel, 80 % des Français interrogés jugent la Bible « pas présente » dans la société française.
« C’est plutôt qu’ils n’ont pas conscience de cette présence, réagit Thomas Römer.
Car la Bible est omniprésente dans l’art, la littérature ou encore dans l’héritage des droits de l’homme… »
Une analyse que partage Yann Raison du Cleuziou. « On peut penser que 80 % de la population française n’a pas assez de culture religieuse pour la voir présente », pointe-t-il.
Pour le psychanalyste Jacques Arènes, on a dépassé la phase du « déni » ou du « refus » : « On est dans une méconnaissance complète de cet héritage. »
Dans ce sondage, deux groupes se distinguent pourtant par leur familiarité avec la Bible : les catholiques pratiquants réguliers et les protestants.
Eux possèdent une bible (87 % pour ces catholiques, 79 % pour les protestants) et souvent même plusieurs (36 % et 50 %).
Ils la lisent avec régularité et désirent mieux la connaître.
Pour les protestants, ces résultats ne surprennent guère, mais pour les catholiques, ils sont remarquables.
« Depuis Vatican II, le noyau dur des catholiques pratiquants, qui a vraiment beaucoup diminué, a pleinement intégré la Bible dans son mode de fonctionnement, relève Guillaume Cuchet.
La lecture de la Parole de Dieu fait désormais partie d’un passage obligé pour beaucoup de fidèles, quelle que soit leur sensibilité. Ce n’était pas gagné au début des années 1960 ! »
Comment expliquer ce succès ?
« La Bible s’est diffusée chez les pratiquants réguliers parce qu’elle est un instrument d’autonomie spirituelle, répond Yann Raison du Cleuziou.
Sa lecture permet à la fois de maintenir une vie spirituelle et d’être relativement autonome par rapport aux autorités religieuses et aux régulations institutionnelles. »
Si, en quelques décennies, le noyau dur des catholiques s’est laissé séduire par le texte, le reste de la population française ne partage pas cet appétit. Seul un Français sur quatre déclare vouloir « mieux connaître la Bible ».
« Le sondage montre que plus il y a d’intégration religieuse plus il y a d’appétence pour la Bible, et plus il y a de détachement religieux moins il y a d’appétence », commente Yann Raison du Cleuziou.
De quoi être relativement pessimiste sur l’usage de la Bible à l’avenir en France.
Malgré tout, 13 % des Français « sans religion » interrogés souhaiteraient mieux connaître la Parole de Dieu. « Ce chiffre est un point d’interrogation, relève Gautier Jardon, de l’Ifop. On peut y voir tout ce qu’il reste dans ce déclin de la Bible ou une note d’espoir. »
Pourquoi nous l’avons fait
Quand l’Alliance biblique française a sollicité La Croix L’Hebdo pour diffuser les résultats du sondage Ifop sur « Les Français et la Bible », nous n’avons pas hésité à accepter.
C’était une occasion précieuse d’en savoir un peu plus sur les rapports des Français à l’un des textes sources de la culture occidentale.
Les résultats de cette enquête sont impressionnants.
Ils révèlent combien, au-delà du cercle des catholiques pratiquants réguliers et des protestants, la Bible est ignorée d’une très large part de la population française.
Comment ne pas y voir une « occasion ratée », comme le regrette la bibliste Roselyne Dupont-Roc dans nos colonnes…
Le sondage manifeste toutefois que les Français interrogés continuent d’accorder de l’intérêt à la Bible, mais pas au point de souhaiter massivement mieux la connaître.
Reste donc à ceux qui y ont goûté de partager leur appétit.
Élodie Maurot
Texte : Élodie MaurotData visualisation : ÉCLAIRAGE PUBLIC
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