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13 novembre 2022 7 13 /11 /novembre /2022 20:41

Il ne répondit pas. Ou sa réponse s’est perdue.

Je préfère croire qu’il ne put trouver quoi dire face à l’inqualifiable souffrance de l’innocence.

J’ai pensé à la petite Lola, douze ans, tuée et violée le 14 octobre dernier, à Paris, par une jeune femme à peine plus âgée qu’elle.

Lettre de saint Augustin à Jérôme en 415, et restée sans réponse : « Quand on en vient aux peines des enfants, je suis, je l’avoue, dans un grand embarras et je ne sais que répondre.

Ne sont-ils pas abattus par les maladies, déchirés par les douleurs, torturés par la faim et la soif, affaiblis dans leurs membres, privés de l’usage de leurs sens, tourmentés par les esprits immondes ?

Dieu est bon, Dieu est juste, Dieu est tout-puissant, nous n’en pouvons douter sans folie, mais qu’on nous dise alors pour quel juste motif les enfants sont condamnés à souffrir tant de maux » (Lettre à saint Jérôme sur l’origine de l’âme, Œuvres complètes, tome V, pp. 461-462).

Rien ne saurait ici justifier ni même comprendre les souffrances endurées. « Je ne sais que répondre », écrit lui-même Augustin en se tournant vers Jérôme, silencieux à son tour, pourtant si disert et éloquent.

On connaît le soupçon légitime de beaucoup : la souffrance des enfants est un mal absolu, une tache indélébile dans l’œuvre de Dieu, et elle suffirait à porter condamnation sur l’œuvre entière. L’absence radicale de cause ou d’explication nous confronte à l’inhumanité humaine.

Le pire appartient à notre humanité, mais le pire appartient-il aux desseins de la divinité ?

Que l’on soit croyant ou non, c’est une question vertigineuse : l’excès du mal relève-t-il de la liberté humaine ? Et si oui, est-ce la volonté de Dieu ?

Théologiens et philosophes ont répondu par une autre question (comme s’il n’y avait que des questions à opposer à cette question de l’excès du mal) : peut-on imaginer un monde où la liberté humaine serait sans le mal, sans la liberté de commettre l’impensable ?

Mais serait-ce encore la liberté ?

En relisant les carnets de Simone Weil, j’avais relevé cette expression mystérieuse : « simplicité des criminels ». Je l’avais notée comme on relève une absurdité gênante, pour la remettre à plus tard.

Que signifiait : « simplicité des criminels » ? Dans la vieille théologie, Dieu et l’âme étaient eux aussi qualifiés d’êtres simples.

Ce qui voulait dire qu’ils n’étaient pas composés, ni doubles ni artificiels.

Il y a bien, chez Flaubert, Félicité, un cœur simple, qui « ayant reçu ses comptes, enferma tout son petit bagage dans un mouchoir ».

Est-ce que Dieu serait cette petite servante normande congédiée qui tient à tout enfermer et emporter, c’est-à-dire le si peu, dans son mouchoir ?

Mais les criminels ?

Chez saint Thomas (Somme théologique, « prima secundae »sur la morale générale, question 87, art. 7), il est question du mal simpliciter, simplement, franchement en latin, et traduit par « absolu ».

Le mal est absolu quand il est franchement et pleinement mal, et que nous sommes impuissants à en changer la signification, à lui trouver la moindre réponse.

Il n’y a d’autre issue que de convertir en réponse l’impossibilité radicale d’en donner. Accepter un « mystère du mal », expliquait François Mauriac (Le Mystère. Semaine des intellectuels catholiques, 1959).

Ce n’est pas refuser de le combattre mais lui résister. Le mot  « mystère » est à comprendre comme refus de répondre au mal absolu.

Il faudrait même comprendre que le chemin le plus dur n’est pas alors celui du mal, d’une simplicité aveugle, mais celui de ne pas en répondre.

Abandonner le mal au silence de notre incompréhension comme révolte.

Nous ne pourrons jamais exclure la possibilité du pire, mais notre ultime liberté est de lui opposer notre incompréhension résolue et franche, et notre simple silence comme prière active et absolue.

Frédéric Boyer, écrivain

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