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3 janvier 2023 2 03 /01 /janvier /2023 20:30

Le testament spirituel du pape émérite
Le Vatican a publié samedi 31 décembre, au soir de sa mort, le testament spirituel de Benoît XVI, daté du 29 août 2006. Alors pape en exercice, il y insiste sur l’importance du dialogue entre foi et raison, comme il l’a fait tout au long de sa vie.

« Si, à cette heure tardive de ma vie, je jette un regard sur les décennies que j’ai parcourues, je vois d’abord combien de raisons j’ai de rendre grâce.

Avant tout, je remercie Dieu lui-même, le dispensateur de tous dons et bienfaits, qui m’a donné la vie et m’a guidé à travers divers moments de confusion, me relevant toujours quand je commençais à glisser et me redonnant toujours la lumière de son visage.

Avec le recul, je vois et comprends que même les passages sombres et éprouvants de ce voyage ont été pour mon salut et que c’est précisément là qu’Il m’a bien guidé.

Je remercie mes parents, qui m’ont donné la vie dans une période difficile et qui, au prix de grands sacrifices, m’ont préparé avec leur amour un magnifique foyer qui, comme une lumière vive, illumine tous mes jours jusqu’à aujourd’hui.

La foi lucide de mon père nous a appris, à nous ses enfants, à croire, et elle est toujours restée comme un repère inébranlable au milieu de toutes mes réalisations scientifiques ; la profonde dévotion et la grande bonté de ma mère sont un héritage pour lequel je ne saurai jamais dire suffisamment merci.

Ma sœur m’a assisté pendant des décennies de manière désintéressée et avec une attention affectueuse ; mon frère, avec la lucidité de ses jugements, sa détermination vigoureuse et la sérénité de son cœur, m’a toujours ouvert la voie ; s’il ne m’avait pas continuellement précédé et accompagné, je n’aurais pas pu trouver le bon chemin.

Du fond du cœur, je remercie Dieu pour les nombreux amis, hommes et femmes, qu’il a toujours placés à mes côtés ; pour les collaborateurs à toutes les étapes de mon parcours ; pour les enseignants et les étudiants qu’il m’a donnés.

Je les confie tous, avec gratitude, à sa bonté. Et je veux remercier le Seigneur pour ma belle patrie dans les Pré Alpes bavaroises, dans laquelle j’ai toujours vu transparaître la splendeur du Créateur lui-même. Je remercie mes compatriotes, parce qu’en eux, j’ai pu expérimenter, encore et encore, la beauté de la foi.

Je prie pour que notre terre reste une terre de foi et je vous en prie, chers compatriotes : ne vous laissez pas détourner de la foi. Et enfin, je remercie Dieu pour toute la beauté que j’ai pu expérimenter à chaque étape de mon chemin, mais surtout à Rome et en Italie, qui est devenue ma deuxième patrie.

À tous ceux que j’ai offensés d’une manière ou d’une autre, je demande pardon de tout mon cœur.

Ce que j’ai dit auparavant à mes compatriotes, je le dis maintenant à tous ceux qui, dans l’Église, ont été confiés à mon service : restez fermes dans la foi !

Ne vous laissez pas troubler !

Il semble souvent que la science – les sciences naturelles d’une part et la recherche historique (en particulier l’exégèse des Saintes ­Écritures) d’autre part – soit capable d’offrir des résultats irréfutables en contraste avec la foi catholique.

J’ai vécu les transformations des sciences naturelles depuis longtemps et j’ai pu constater comment, au contraire, des certitudes apparemment contraires à la foi se sont évanouies, se révélant être non pas de la science, mais des interprétations philosophiques ne relevant qu’en ­apparence de la science ; tout comme, d’autre part, c’est dans le dialogue avec les sciences naturelles que la foi aussi a appris à mieux comprendre la limite de la portée de ses affirmations, et donc sa spécificité.

Cela fait maintenant soixante ans que j’accompagne le chemin de la théologie, en particulier des sciences bibliques, et avec la succession des différentes générations, j’ai vu s’effondrer des thèses qui semblaient inébranlables, se révélant de simples ­hypothèses : la génération libérale (Harnack, Jülicher, etc.), la génération existentialiste (Bultmann, etc.), la génération marxiste.

J’ai vu et je vois comment, à partir de l’enchevêtrement des hypothèses, le caractère raisonnable de la foi a émergé et émerge encore. Jésus-Christ est vraiment le chemin, la vérité et la vie – et l’Église, avec toutes ses insuffisances, est ­vraiment son corps.

Enfin, je demande humblement : priez pour moi, afin que le Seigneur, malgré tous mes péchés et mes insuffisances, me reçoive dans les demeures éternelles. De tout cœur, ma prière va à tous ceux qui, jour après jour, me sont confiés.

Benedictus PP XVI 

Un théologien devenu pape
Christophe Henning
Joseph Ratzinger n’a jamais cessé de travailler la théologie. Foi et raison ont partie liée pour ce chercheur universitaire qui a servi l’Église avec un grand sens du devoir et du sacrifice.

« Chaque fois que je lis les œuvres de Joseph Ratzinger/Benoît XVI, je me rends compte de plus en plus clairement qu’il fait de la “théologie à genoux” : à genoux, car, avant encore d’être un très grand théologien et maître de la foi, on voit que c’est un homme qui croit vraiment, qui prie vraiment ; on voit que c’est un homme qui personnifie la sainteté, un homme de paix, un homme de Dieu », écrivait le pape François en préface d’un recueil d’homélies du pape émérite.

Pape malgré lui, Joseph Ratzinger a dû abandonner ses chères études pour servir autrement l’Église.

Ce qui n’a pas empêché ce pape de rester fondamentalement un théologien, poursuivant ses recherches en dépit de sa charge pastorale, et même lors de sa retraite.

Son triptyque sur Jésus en est la plus notable démonstration, signé à la fois Joseph Ratzinger/Benoît XVI, et ainsi ouvert à la disputatio théologique. La perspective de se voir confier le gouvernail d’une Église qui prenait l’eau l’effrayait.

À la mort de Jean-Paul II, le cardinal Ratzinger espérait secrètement pouvoir enfin se retirer dans sa Bavière natale, pour poursuivre son travail de théologien, entre son piano et sa bibliothèque.

À 78 ans, son élection a propulsé le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi à la tête de l’Église, alors secouée par l’histoire et la modernité.

Plus théologien que pasteur, sa puissance intellectuelle et son sens du devoir ont fait de lui un pape qui, au risque d’être parfois mal entendu, laisse un impressionnant héritage doctrinal.

Toute la vie de Benoît XVI sera marquée par cette tension entre son aspiration à la recherche et son service de pasteur.

Ordonné prêtre dans l’immédiat après-guerre, il est très vite nommé comme professeur au séminaire de Freising, en 1952.

Spécialiste de saint Augustin et du théologien franciscain saint Bonaventure, il mène dès 1958 une carrière universitaire, enseignant la théologie à Freising, Bonn, Münster, Tübingen et Ratisbonne.

Poursuivant ses recherches sous l’influence de Romano Guardini et du jésuite Henri de Lubac, il développe une ecclésiologie nourrie des Écritures et des Pères de l’Église.

Théologien dans l’âme, universitaire, il est pourtant très tôt dans les allées du pouvoir ecclésial. Lors du concile Vatican II, le jeune théologien est expert et conseiller théologique auprès du cardinal Frings, archevêque de Cologne : il n’a que 35 ans.

Clin d’œil de l’histoire, le futur préfet Ratzinger travaille notamment à la révision du Saint Office qui devient lors de Vatican II la Congrégation pour la doctrine de la foi, qu’il dirigera pendant un quart de siècle.

Dans le souffle du Concile, il passe pour un réformateur. En 1968, toutefois, il se montre moins confiant quant aux orientations conciliaires, notamment en ce qui concerne la réforme liturgique du pape Paul VI. Les mouvements estudiantins de mai le déstabilisent.

À l’inverse, sa pensée fine et complexe déroute parfois ses interlocuteurs : fidèle à Vatican II, il ne cesse de démontrer qu’il ne s’agit pas d’un concile de rupture et qu’il faut préserver l’héritage, ce qui fait passer ce tenant de la tradition pour un conservateur.

Ce qui n’empêche pas, à sa grande surprise, sa nomination comme archevêque de Munich et Freising en 1977.

Il est créé cardinal par Paul VI la même année. Si le nouvel évêque ne cache pas sa déception de voir s’éloigner la recherche théologique, il s’investit avec obstination dans cette charge diocésaine.

En fait, dès cette nomination et jusqu’à sa retraite de pape émérite, il aura mené de front sa responsabilité pastorale, tout en participant sans relâche à la réflexion théologique.

Archevêque, il s’impose vite comme la référence doctrinale pour l’Église d’Allemagne.

Ce qui n’échappe pas à Jean-Paul II qui, dès 1981, nomme le cardinal Ratzinger préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, organisme central du Vatican qui a pour mission de « promouvoir et protéger la doctrine et les mœurs conformes à la foi dans tout le monde catholique », souligne le nouveau prélat.

Durant près de vingt-quatre ans, le cardinal allemand occupe un des postes les plus influents de la Curie et s’impose comme le gardien rigoureux du dogme.

La sévérité du cardinal allemand condamnant aussi bien son ex-collègue et ami Hans Küng que Leonardo Boff, l’initiateur de la théologie de la libération, lui vaut le surnom de « Panzerkardinal », ce à quoi il répondra que « la bonté implique aussi la capacité de savoir dire non ».

S’il n’est pas (encore) en première ligne, le plus proche collaborateur du pape polonais participe à l’élaboration des textes essentiels du long pontificat de Karol Wojtyla.

Ratzinger présidera aussi la commission chargée de la nouvelle édition du Catéchisme de l’Église catholique.

Passionné d’enseignement, donc, figure d’autorité et gardien de l’orthodoxie, Joseph Ratzinger devenu pape n’en est pas moins un piètre homme de communication.

Or, les subtilités théologiques se conjuguent difficilement avec l’univers médiatique. Benoît XVI multiplie les homélies solides et les discours charpentés mais doit aussi soigner les apparitions publiques, participer aux JMJ…

Il n’est pourtant pas un théologien « hors sol » : auprès de Jean-Paul II et de façon plus marquée encore une fois devenu pape, il s’attaque avec courage et constance à la pédocriminalité dans l’Église, dont la révélation frappe l’institution à l’orée du XXIe siècle.

Drame auquel s’ajoutent plusieurs polémiques : les soubresauts de l’affaire VatiLeaks, le rapprochement avec les intégristes, ou encore le faux pas vis-à-vis de l’islam lors d’un discours prononcé à l’université de Ratisbonne sur le rapport entre la raison et la foi, qui enflamme le monde musulman.

Lors des obsèques de Jean-Paul II que le cardinal Ratzinger préside en tant que doyen des cardinaux, il évoque au cours de l’homélie ses craintes pour l’Église catholique en termes forts : « La petite barque de la pensée chrétienne a été souvent ballottée, jetée d’un extrême à l’autre : du marxisme au libéralisme, jusqu’au libertinisme ; du collectivisme à l’individualisme, de l’agnosticisme au syncrétisme. Posséder une foi claire, suivre le credo de l’Église est souvent défini comme du fondamentalisme. L’on est en train d’instaurer une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif », explique le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Loin d’abandonner, le cardinal théologien se trouve propulsé 265e pape de l’Église catholique.

À 78 ans, gouverner l’Église n’empêcha pas de poursuivre inlassablement le travail intellectuel.

Auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, Ratzinger devenu pape a signé trois grandes encycliques (Dieu est amour en 2005 ; Sauvés dans l’espérance en 2007 ; La charité dans la vérité en 2009) alliant toujours exigence intellectuelle et bon sens pédagogique et pastoral.

Ce fin connaisseur des us et coutumes de la Curie ne trouvera malheureusement pas l’énergie nécessaire pour la faire évoluer.

Il renonce à son siège pontifical en 2013 à la surprise générale : une première depuis cinq siècles. À la suite de sa démission en 2013, le pape émérite aura vécu retiré au Vatican.

Faisant vœu de silence pour ne pas gêner son successeur, Benoît XVI s’est finalement exprimé à plusieurs reprises, dans des textes souvent partiels ou instrumentalisés, comme dans la revue du clergé allemand, en 2019, à propos des agressions sexuelles : « La théologie morale catholique a souffert d’un effondrement qui a rendu l’Église sans défense contre ces changements de société », cherchait-il à expliquer.

Lors de son voyage en France en septembre 2008, Benoît XVI confiait sa vision des fondements de la théologie lors de son discours aux Bernardins : « L’expression classique de la nécessité pour la foi chrétienne de se rendre communicable aux autres se résume dans une phrase de la Première Lettre de Pierre (…) : “Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l’espérance qui est en vous” (3, 15). »

La vocation de théologien du pape Ratzinger était résumée dans sa devise épiscopale : « Collaborateur de la vérité. »

Repères
Avant son pontificat
16 avril 1927. Naissance dans le village de Marktl am Inn (Bavière, diocèse de Passau) de Joseph, second fils de Joseph, gendarme, et Maria Ratzinger.

Pâques 1939. Il entre au petit séminaire de Traunstein.

1941. Il est intégré de force dans la Hitlerjugend puis, en 1943, il est réquitionné dans la défense antiaérienne avec d’autres séminaristes.

1945. Fait prisonnier de guerre, il est libéré en juin et retourne au séminaire.

1946-1950. Études de philosophie à Freising, puis de théologie à Munich.

29 juin 1951. Ordonné prêtre pour le diocèse de Munich et Freising, en même temps que son frère, il est nommé vicaire à la paroisse du Précieux-Sang de Munich.

1952. Nommé enseignant au séminaire de Freising, il soutient sa thèse de doctorat (« Peuple et maison de Dieu dans la doctrine augustinienne de l’Église »), puis en 1957 sa thèse d’habilitation sur « La théologie de l’histoire de saint Bonaventure ».

1959. Professeur de théologie fondamentale à l’université de Bonn (jusqu’en 1963), de théologie dogmatique à Münster (1963-1966), puis à Tübingen (1966-1969).

1962-1965. Il participe aux quatre sessions de Vatican II comme expert.

1969. Nommé professeur de théologie dogmatique à l’université de Ratisbonne.

24 mars 1977. Paul VI le nomme archevêque de Munich.

27 juin 1977. Paul VI le crée cardinal.

25 novembre 1981. Jean-Paul II l’appelle à Rome comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

1985. Parution d’Entretien sur la foi, un dialogue avec le journaliste Vittorio Messori.

1996. Il publie Le Sel de la terre, conversation avec le journaliste Peter Seewald reprenant son parcours personnel.

1998. Le cardinal Joseph Ratzinger est élu par ses pairs vice-doyen du Sacré Collège.

2002. Jean-Paul II le nomme doyen du Sacré Collège.

8 avril 2005. En tant que doyen du Sacré Collège, le cardinal Ratzinger préside les obsèques de Jean-Paul II, décédé le 2 avril à 84 ans. À ce titre, il préside ensuite les congrégations générales réunissant l’ensemble des cardinaux durant la vacance du Siège apostolique, ainsi que le conclave qui s’ouvre le 18 avril pour élire le 264e successeur de Pierre.

Son pontificat
19 avril 2005. Élu pape au quatrième tour de scrutin, Joseph Ratzinger prend le nom de Benoît XVI. Il inaugurera son pontificat le 24 avril.

18-21 août 2005. Premier voyage à l’étranger, à l’occasion des 20es Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), à Cologne.

25 décembre 2005. Première encyclique, Deus caritas est, « Sur l’amour chrétien ».

Avril 2007. Publication du premier volume de Jésus de Nazareth.

30 novembre 2007. Deuxième encyclique, Spe salvi, « Sur l’espérance chrétienne ».

15-20 avril 2008. Voyage aux États-Unis (Washington, New York) et discours à l’ONU.

12-21 juillet 2008. Voyage en Australie, à l’occasion des 23es JMJ, à Sydney.

12-15 septembre 2008. Voyage en France, à Paris puis à Lourdes.

29 juin 2009. Troisième encyclique du pontificat, Caritas in veritate, « Sur le développement humain intégral dans la charité et la vérité ».

27 novembre 2010. Publication de Lumière du monde, livre entretien avec Peter Seewald.

10 mars 2011. Publication du 2e volume de Jésus de Nazareth.

1er mai 2011. Benoît XVI déclare bienheureux le pape Jean-Paul II, son prédécesseur.

21 novembre 2012. Publication du 3e volume de Jésus de Nazareth (l’enfance de Jésus).

11 février 2013. Annonce sa renonciation.

28 février. Renonciation effective et retrait au Vatican.

13 mars 2013. Élection de son successeur, le cardinal Jorge Bergoglio, qui prend le nom de François.

Benoît XVI intime
En 2011, paraissait Lumière du monde (éitions Bayard), un livre-entretien de Benoit XVI avec le journaliste allemand Peter Seewald. Extraits choisis.

Entre Ses mains
Vous ne vouliez pas devenir évêque. Vous ne vouliez pas devenir préfet (de la Congrégation pour la doctrine la foi). Vous ne vouliez pas devenir pape. N’est-on pas effrayé devant ce qui arrive sans cesse contre sa propre volonté ? (p. 22)

(…) Quand on dit oui lors de l’ordination sacerdotale, on peut certes avoir son idée de ce qui pourrait être son propre charisme (…) J’avais en fait l’idée que mon charisme était d’être professeur de théologie, et j’ai été très heureux lorsque cette idée est devenue réalité.

Mais une autre chose était claire à mes yeux : je suis toujours entre les mains du Seigneur et je dois aussi compter avec ce que je n’ai pas voulu.

En ce sens, j’ai certainement été surpris d’être arraché de mon propre chemin et de ne plus pouvoir le suivre.

Mais comme je l’ai dit, dans le “oui” fondamental, il y avait aussi l’idée que j’étais à la disposition du Seigneur, et je devrais peut-être un jour faire des choses que je n’aimerais pas à titre personnel.

Une peine quotidienne
Rarement, auparavant, l’élection d’un pape a été aussi rapide et unanime. (…) Vous-même, vous avez prononcé pendant le conclave une prière semblable à celle de Jésus au jardin de Gethsémani : « Seigneur, ne me fais pas cela ! Tu en as de plus jeunes et de meilleurs. » (p. 99-100)

Voir l’incroyable se réaliser, ce fut un vrai choc. J’étais persuadé qu’il y en avait de meilleurs et de plus jeunes. Sur les raisons pour lesquelles le Seigneur m’avait fait cela, je devais m’en remettre à Lui.

J’ai essayé de garder ma tranquillité d’âme en Lui faisant confiance pour me guider désormais. Il faudrait que je me coule lentement dans chacune des tâches à accomplir, en fonction de ce que je pourrais faire, et que je me limite chaque fois au pas suivant.

Je trouve justement cette parole du Seigneur tellement importante pour toute ma vie : « Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : à chaque jour suffit sa peine. » Une peine quotidienne, c’est suffisant pour un être humain, il ne peut en supporter davantage.

Aussi je m’efforce de me concentrer pour supporter la peine du jour, et de laisser le reste au lendemain.

Une charge immense
Vous êtes resté vingt-quatre ans au côté de Jean-Paul II et vous connaissiez la Curie comme personne. Mais combien de temps vous a-t-il fallu pour comprendre le gigantisme écrasant de cette charge ? (p. 101)

On comprend très vite que c’est une charge immense. Quand on sait que comme aumônier, comme curé, comme professeur, on porte déjà une grande responsabilité, il est facile d’imaginer par extrapolation quel fardeau gigantesque pèse sur celui qui porte la responsabilité de toute l’Église.

Mais alors on doit être d’autant plus conscient que l’on ne fait pas cela tout seul. On le fait d’un côté avec l’aide de Dieu, d’un autre côté avec un grand nombre de collaborateurs.

Vatican II nous a enseigné avec raison que la collégialité est constitutive de la structure de l’Église. Que le pape n’est premier qu’avec les autres et qu’il n’est pas quelqu’un qui prendrait des décisions tout seul en monarque absolu et ferait tout lui-même.

Rencontres
Certains pensent que le pape se trouve dans une sorte de milieu isolé. Il ne respire que de l’air filtré et rien ne lui parvient plus de ce qui passe « à l’extérieur ». Il ne connaît plus vraiment les soucis et les détresses des hommes. (p. 105-106)

Je ne peux naturellement pas lire tous les journaux ni rencontrer un nombre illimité de personnes. Mais peu de gens, je crois, font autant de rencontres que moi.

Ce qui compte le plus pour moi, ce sont les rencontres avec les évêques du monde entier. Ils ont les deux pieds sur terre et ne viennent pas par lubie mais pour parler avec moi de l’Église dans leur pays et de la vie dans leur pays.

Je peux ainsi découvrir les choses de ce monde de manière très humaine, personnelle et réaliste, et même les observer de plus près qu’en lisant le journal. De cette manière, j’obtiens de nombreuses informations de fond.

À l’occasion, une mère vient aussi, ou une sœur ou un ami, qui voudraient me dire ceci ou cela. Ce ne sont pas seulement des visites de fonction, mais des visites profondément humaines. Et, naturellement, la communauté pontificale m’est très précieuse.

À cela s’ajoutent les visites d’amis de l’ancien temps. Dans l’ensemble, donc, je ne pourrais pas dire que je vis dans un monde artificiel de courtisans, mais je vis le monde normal de cette vie quotidienne et de ce temps, d’une manière très directe et personnelle, à travers beaucoup de rencontres.

Dans la communauté des saints
Et comment prie le pape Benoît ? (p. 36-37)

En ce qui concerne le pape, il est aussi un mendiant devant Dieu, plus encore que les autres hommes. Naturellement je prie toujours en premier notre Seigneur, avec lequel je me sens lié pour ainsi dire par une vieille connaissance.

Mais j’invoque aussi les saints. Je suis lié d’amitié avec Augustin, avec Bonaventure, avec Thomas d’Aquin. On dit aussi à de tels saints : Aidez-moi !

Et la Mère de Dieu est toujours de toute façon un grand point de référence. En ce sens, je pénètre dans la communauté des saints.

Avec eux, renforcé par eux, je parle ensuite avec le Bon Dieu, en mendiant d’abord mais aussi en remerciant – ou tout simplement rempli de joie.

« Sa modernité m’a enthousiasmé »
Recueilli par Camille Le Tallec
Le journaliste, né en 1954 à Bochum, en Allemagne, a rencontré pour la première fois Joseph Ratzinger en 1992 pour un portrait paru dans le Süddeutsche Zeitung. Il a publié des livres d’entretiens (1) avec le cardinal Ratzinger et a consacré au pape une imposante biographie (2).
Benoît XVI vous a accordé de nombreux entretiens. Qu’avez-vous découvert de sa personnalité ?

Peter Seewald : Lors de notre première entrevue, j’ai été très étonné : il ne correspondait pas au « Panzerkardinal » qu’on décrivait, austère, presque méchant. J’ai rencontré un homme doux, humain et dont l’humilité découlait du message du Christ.

Il priait beaucoup et demandait de l’aide au Saint-Esprit. Il n’y avait en Joseph Ratzinger aucune vanité, aucune arrogance. Il savait écouter et comprendre son interlocuteur.

C’était un être inspiré, qui menait à Dieu. Il était aussi un grand intellectuel, doué d’une capacité d’analyse hors du commun, qui savait exprimer simplement des choses compliquées, aller très loin dans l’abstraction tout en restant à la racine.

C’était un théologien du peuple : il a toujours défendu la foi des gens simples contre la froide religion des professeurs. Il savait aussi concilier des choses a priori inconciliables.

Il a ainsi montré que la foi et la raison prennent tout leur sens quand on les conjugue : la foi sans la raison peut devenir une hérésie, et la raison sans la foi se prive de tout un champ de la pensée.

Pour cela, le professeur Ratzinger était très admiré par ses étudiants. C’était enfin une personnalité artistique. Issu d’une famille de musiciens, ses discours étaient passionnants en raison de leur contenu, mais aussi de leur musicalité.

La beauté de sa langue mettait sa pensée en valeur. On l’a d’ailleurs qualifié de « Mozart de la théologie ».

Que pouvez-vous dire de sa relation avec les journalistes ?

P. S. : Il y a eu beaucoup de désinformation et de malentendus le concernant. Les médias l’ont souvent dépeint comme un dogmatique, un homme de pouvoir, des caractéristiques qui lui sont étrangères. Jamais il ne s’en serait plaint ou lamenté, mais il en a souffert.

Bien sûr, Joseph Ratzinger était difficile à cerner. Il conservait toujours une certaine distance à l’autre. C’était sa façon de respecter son interlocuteur, de ne pas l’accaparer.

Et puis il avait le courage de dire des choses gênantes et de remettre des certitudes en question, ce qui en a déconcerté plus d’un.

En tous les cas, très peu de journalistes ont fait l’effort de s’intéresser honnêtement à lui. Il était heureux que je l’interroge sur son enfance, sa relation à ses parents, sa vie sous le régime nazi, c’était une chose rare.

Il appréciait la discussion et répondait à mes questions avec une grande sincérité. Jamais il n’a cherché à corriger ses déclarations a posteriori.

Il estimait qu’elles captaient la vérité du moment. Je pense qu’il est l’une des personnalités les plus méconnues de notre temps.

Quel regard portez-vous sur le pontificat de Benoît XVI ?

P. S. : En tant que théologien, je crois que Benoît XVI est le plus grand pape de tous les temps. Son legs principal est son travail sur Jésus-Christ, qui est d’ores et déjà un classique et le restera. Aucun pape avant lui n’avait écrit une christologie.

Au plus près de l’Évangile, il replace Jésus-Christ au centre de la vie des catholiques. Il a ainsi renforcé les fondamentaux et jeté les bases de la foi chrétienne pour le troisième millénaire.

Mais son pontificat, très riche sur le plan théologique, a aussi changé l’Église et la Curie. Il a amené le dialogue au sein des Conférences épiscopales et dénoué tant de nœuds… Ce n’est pas un hasard si des scandales longtemps dissimulés ont émergé pendant ces huit années.

Que retiendrez-vous de lui ?

P. S. : Sa modernité m’a toujours enthousiasmé. Il n’a jamais cessé de penser, de rechercher la vérité. Depuis la période nazie, il avait horreur des fausses et des contre-vérités.

Il avait le courage de défendre d’autres idées que celles communément admises et de faire des choses qui n’avaient encore jamais été faites. Même en démissionnant, il fut un précurseur.

Pour la première fois, l’Église catholique a eu un pape émérite, présent pour soutenir son successeur. Il a ainsi donné une nouvelle impulsion, un nouvel enchantement.

« Je n’appartiens plus à l’ancien monde »
Peter Seewald : En tant que pape, vous considérez-vous comme le dernier représentant d’une époque ancienne ou comme le premier d’une nouvelle ?

Benoît XVI : Je me situerais plutôt entre les temps.

P. S. : Comme un pont, une sorte de jonction entre deux mondes ?

Benoît XVI : Je n’appartiens plus à l’ancien monde, mais le nouveau monde n’est pas encore tout à fait là.

P. S. : L’élection du pape François pourrait-elle être le signe d’un tournant ? Marque-t-elle définitivement le début d’une nouvelle ère ?

Benoît XVI : Les classifications chronologiques, le moment où l’on situe le début du Moyen Âge ou de l’époque moderne par exemple, ont toujours été établies a posteriori. Ce n’est qu’avec le recul du temps que l’on peut observer leur déroulement. Je ne m’aventurerais donc pas à porter un tel jugement.

Mais il est manifeste que l’Église se détache de plus en plus des anciennes structures de vie européennes et qu’elle prend un nouveau visage, que de nouvelles formes l’animent. Nous constatons avant tout le progrès de la déchristianisation de l’Europe, la disparition de plus en plus marquée de tout ce qui est chrétien dans la vie publique européenne.

Il faut donc que l’Église affirme une nouvelle manière d’être présente, qu’elle modifie sa façon d’être présente. Des transformations de grande ampleur se produisent périodiquement. Mais sur le coup, il est impossible de définir à quel moment exact telle période commence et puis telle autre.

Extraits de Benoît XVI. Dernières conversations avec Peter Seewald, Fayard, 2016.

(1) Le Sel de la terre (Flammarion/Cerf, 1997), Voici quel est notre Dieu (Plon/Mame, 2001), Lumière du monde (Bayard, 2010).

(2) Benoît XVI, une vie, deux tomes (Éditions Chora, 2022).

Un pape peu prophète en son pays
Klaus Nientiedt (journaliste allemand)
Les rapports entre le cardinal Ratzinger et l’Église de son pays natal n’étaient pas simples. Une fois devenu Benoît XVI, les critiques fusèrent entre le pape et l’épiscopat allemand.

« Nous sommes pape » : c’était le titre génial du tabloïd allemand Bild, récapitulant l’atmosphère dans le pays natal du nouveau pontife au lendemain de l’élection de Joseph Ratzinger.

Cet enthousiasme initial ne pouvait pas dissimuler que les Allemands avaient une relation assez ambivalente avec le successeur de Jean-Paul II.

Dès le début, l’Allemagne fut divisée concernant « son » pape. Les relations entre l’ancien préfet de la Doctrine de la foi et l’épiscopat de son pays natal n’étaient pas les meilleures.

L’admiration ouverte d’un cardinal Meisner, archevêque de Cologne (il aimait appeler ­Ratzinger « le Mozart de la théologie »), n’était pas représentative du rapport des évêques allemands en général à leur ancien confrère.

Ils avaient le souvenir encore frais d’un adversaire au Vatican dans la querelle sur les centres de planning familial gérés par l’Église, une œuvre que la majorité de l’épiscopat voulait poursuivre, mais où leur collègue romain, avec une minorité dissidente sur place, voyait une collaboration à l’avortement.

Le même ­Ratzinger avait récusé la tentative de trois évêques du Sud-Ouest (Saier, ­Lehmann et Kasper), dans les années 1990, de faciliter l’accès des divorcés remariés aux sacrements.

Néanmoins, l’élection du pape allemand arrivait dans un moment où un certain conservatisme semblait atteindre la société de son pays.

Ratzinger comme successeur de Pierre semblait le signe marquant d’un « retour de la religion » après un temps où un recul général semblait inévitable.

L’image euphorique de l’intellectuel sur le trône de Pierre, propagée par un « catholicisme de feuilleton » dans la presse et accentuée aux JMJ de Cologne, semblait cacher l’image antérieure du « cardinal réactionnaire ».

Un débat à l’Académie catholique de Bavière avec le philosophe Jürgen Habermas avait, peu avant le conclave de 2005, catapulté Ratzinger sur l’Olympe germanophone du monde des idées, et sa position critique face à la modernité semblait croiser une certaine dialectique de la modernité répandue dans des milieux intellectuels. Le triomphe de Cologne n’était pourtant qu’un épisode.

En 2006 les évêques allemands réélisaient le cardinal Karl Lehmann à leur présidence, sachant que l’évêque de Mayence n’était pas le candidat de Benoît XVI.

Et en 2008, Lehmann se retirant pour raisons de santé, ils ne choisirent pas le nouvel archevêque de Munich, Mgr Reinhard Marx, mais celui de Fribourg-en-Brisgau, Mgr Robert Zollitsch, théologiquement et pastoralement proche du cardinal Lehmann.

Benoît XVI ne manqua pas, par la suite, de critiquer le catholicisme allemand. Sa lettre au Katholikentag de Sarrebruck, en 2006, s’en prenait à un obscurcissement du témoignage de l’Évangile, formule qui reflétait bien la querelle sur les centres de planning familial.

En visite en Bavière, il critiqua les critères d’aide de l’Église aux pays en développement, qu’il jugeait plus prompts pour l’aide au développement que pour l’évangélisation.

Sa position sur le rite liturgique ne trouva pas l’accord des évêques allemands et le fait de garder une version particulière de la prière pour les juifs, lors du Vendredi saint, a choqué.

La levée de l’excommunication des évêques lefebvristes et la position négationniste de l’un d’eux éclatèrent comme une bombe dans l’Église et dans la société allemandes.

L’épiscopat lança une critique inhabituelle de Rome, visant non seulement le contenu de la décision vaticane, mais son manque de clarté juridique et la communication insuffisante entre Rome et les Églises locales.

La protestation assez tardive de la chancelière protestante Angela Merkel au pape divisa, elle, les catholiques allemands.

Par trois fois, Benoît XVI a visité l’Allemagne durant son pontificat : en 2005, peu après son élection, pour les JMJ de Cologne ; en 2006, dans sa Bavière natale, pour une visite privée ; enfin, en 2011, pour sa première visite officielle à la ­République fédérale, à Berlin, Erfurt et Fribourg.

Quant au peuple allemand, il a manifesté trois attitudes par rapport à ce pape issu de lui. Le grand public, peu au fait de la situation ecclésiale, était très satisfait de son élection, louant son intelligence brillante sans se prononcer sur sa théologie et sa politique, et voyait le catholicisme gagner du terrain dans une société sécularisée.

Le clergé, les milieux universitaires et les laïcs formés se distancièrent de plus en plus ouvertement du pape ­Ratzinger : ses discours de Ratisbonne, Auschwitz ou Aparecida étaient très discutés, même s’ils n’étonnaient pas ceux qui connaissaient sa pensée, et de grandes craintes se manifestèrent quant à son interprétation du Concile.

En fait, Benoît XVI ne fut ouvertement soutenu que par des milieux restreints, conservateurs ou néoconservateurs.

La fin du pontificat de ce pape allemand n’aura pas été sans un certain tragique. Aussi brillant qu’il fût, Benoît XVI laissa son Église dans un état moins stable, plus divisée et sans réponses adéquates aux questions du temps.

Une rhétorique de partisans antimodernistes s’est répandue. Et un certain relativisme semble régner, après un pontificat justement plus anti relativiste que jamais.

Joseph Ratzinger accusé d’avoir mal géré des cas d’abus
En janvier 2022, un rapport publié par un cabinet d’avocats bavarois pointait les manquements de Joseph Ratzinger du temps où il était archevêque de Munich et Freising (1977-1982).

Le futur pape aurait pris de « mauvaises décisions » dans la gestion de quatre cas de prêtres abuseurs. Trois semaines après, dans une lettre publiée en allemand et diffusée en huit langues par le ­Vatican, le pape émérite formulait une demande de pardon en des termes forts et très personnels.

Il y exprimait sa « peine » pour toutes les erreurs commises lorsqu’il exerçait lui-même « de grandes responsabilités dans l’Église catholique ». « Ma douleur est d’autant plus grande pour les abus et les erreurs qui se sont produits durant la durée de mes mandats, en différents lieux, écrivait-il. Chaque cas d’abus sexuel est terrible et irréparable. »

 

Le dialogue entre les églises chrétiennes, une exigence permanente
Nicolas Senèze
Soucieux de rigueur théologique, Benoît XVI a poussé le dialogue entre églises chrétiennes à réfléchir sur ses buts.

Quand Benoît XVI a été élu, beaucoup dans les milieux œcuméniques ont fait grise mine. Pour eux, le nouveau pape était d’abord le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui, en septembre 2000, avait publié la déclaration Dominus Iesus.

« Dans de nombreux textes de ces dernières années, le cardinal Ratzinger prône une compréhension de l’Église guère disposée à accepter une autre forme que celle du catholicisme romain », indiquait alors à La Croix le théologien luthérien André Birmelé.

D’emblée, pourtant, Benoît XVI tint à souligner l’orientation œcuménique qu’il entendait donner à son pontificat.

Dès le lendemain de son élection, il prenait « comme premier engagement de travailler sans épargner ses forces à la reconstruction de l’unité pleine et visible de tous les fidèles du Christ ». Œcuménisme, oui, mais à sa manière.

Car, en théologien pointu et exigeant, le cardinal Ratzinger ne s’était jamais satisfait d’un œcuménisme de bons sentiments : pour lui, le plus important a toujours été le travail de fond sur les questions séparant les Églises.

C’est pourquoi il a continué à faire confiance au cardinal Walter Kasper, déjà en charge du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens sous Jean-Paul II : un théologien comme lui, avec lequel il avait certes des désaccords, mais dont il respectait la rigueur.

Avec les orthodoxes, les progrès ont été spectaculaires. Autant l’Orient chrétien avait été méfiant vis-à-vis du Polonais Jean-Paul II, autant il apprécia le théologien pointu que fut Benoît XVI.

Dès 2006, la Commission mixte de dialogue théologique catholique-orthodoxe reprend ses travaux, après six années de blocage, et parvient l’année suivante, à Ravenne, à un accord sur la primauté du Siège de Pierre, même fragilisé par des visions divergentes sur ce que cette primauté recouvre concrètement et par les tensions internes à l’orthodoxie, notamment entre Moscou et Constantinople.

Le climat a aussi été facilité par une réelle convergence de vues – en particulier avec Moscou – sur les questions morales et l’urgence de répondre à la sécularisation en Europe.

Certes, la rencontre tant espérée entre l’évêque de Rome et le patriarche de Moscou n’aura pas eu lieu. Mais, d’inimaginable jusque-là, elle est devenue, avec Benoît XVI, envisageable.

Et si des problèmes demeurent avec Moscou (qui continue à dénoncer le prosélytisme catholique en Russie et l’uniatisme en Ukraine), ce pontificat a marqué un réel dégel entre catholiques et orthodoxes.

La fraternelle poignée de main de Benoît XVI et du patriarche Bartholomeos Ier de Constantinople, le 30 novembre 2006 au balcon du Phanar, siège du Patriarcat œcuménique, à Istanbul, et la visite à Rome quelques semaines plus tard de l’archevêque Christodoulos d’Athènes en sont autant d’exemples.

À l’inverse, la volonté de Benoît XVI d’aborder les sujets délicats a pu désappointer les responsables œcuméniques, notamment protestants.

Surtout après les avancées que le dialogue catholique-protestant avait pu connaître sous Jean-Paul II, tel l’accord luthéro-catholique sur la justification en 1999, que les méthodistes ont à leur tour signé en 2006. Certains ont pu parler de « panne œcuménique ».

Sans doute avait-elle déjà germé sous Jean-Paul II, quand les Églises ont commencé à diverger sur les buts du dialogue œcuménique et la nature de l’unité.

« La difficulté est de savoir ce qu’est l’Église, pour eux et pour nous. Et cela pose la question du but de l’œcuménisme : celui-ci n’est pas le même selon le type d’Église que l’on souhaite, expliquait le cardinal Kasper en 2006 à La Croix. Si nous n’avons pas d’accord sur l’objectif à poursuivre, nos chemins vont aller en s’écartant. »

Pour le pape Ratzinger, le temps était donc venu d’une clarification, surtout face au virage très libéral de certaines communautés protestantes.

C’est avec les anglicans que les difficultés du dialogue ont été les plus emblématiques.

Alors qu’un accord théologique sur Marie avait été conclu en 2005, le fil s’est distendu sur les questions morales. à partir du moment où la Communion anglicane ordonnait des femmes évêques – et tandis que certaines de ses Églises membres ordonnaient évêques des prêtres vivant en couple homosexuel –, c’est la nature même de l’épiscopat, fondement de l’unité de l’Église aux yeux des catholiques, qui était bouleversée.

« Les crises ne sont pas toujours négatives », soulignait en 2006 un responsable catholique en route pour la 9e assemblée du Conseil œcuménique des Églises à Porto Alegre (Brésil).

Peut-être le pontificat de Benoît XVI apparaîtra-t-il d’abord comme une « pause » dans l’élan œcuménique. Mais, en permettant aux Églises un temps d’approfondissement, Benoît XVI aura sans doute évité au mouvement œcuménique bien des désillusions.

« La papauté, un ministère qui ne peut jamais être complètement accompli »

« Il serait certainement naïf d’espérer, pour un proche avenir, une entente commune de tous les chrétiens au sujet de la papauté dans le sens d’une reconnaissance de la succession de Pierre à Rome.

Peut-être le fait même que ce ministère ne puisse jamais être complètement accompli fait-il partie de ses liens et limitations nécessaires, tout comme le fait qu’il ait à faire l’expérience de l’opposition de croyants chrétiens qui mettent en évidence ce qui n’est pas en lui le pouvoir vicaire, mais pouvoir personnel. (…)

Pour le pape et pour l’Église catholique, les critiques adressées à la papauté par la chrétienté non catholique constituent un stimulant pour rechercher une forme de réalisation du ministère de Pierre qui soit toujours plus conforme au Christ.

Pour la chrétienté non catholique, par contre, le pape constitue un constant et visible défi à réaliser de manière concrète l’unité, qui est la mission de l’Église et devrait être son signe de distinction face au monde. »

Extrait d’une conférence de 1977 sur « La primauté du pape et l’unité du peuple de Dieu », Joseph Ratzinger/Benoît XVI, Discours fondateurs. 1960-2004, Fayard, 2008, p. 33-34.

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