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1 janvier 2006 7 01 /01 /janvier /2006 00:00

Dans le train qui me mène à Paris, le Polonais assis devant moi évoque sa mère de quatre-vingt-deux ans, capable de supporter vingt-quatre heures d'autobus inconfortable depuis Poznan pour passer deux semaines près de lui en France. Ou couvrant cinq kilomètres à pied afin de l'accompagner deux jours à la campagne. Ou s'inscrivant aux exercices spirituels de saint Ignace de Loyola... « Vieille dame indigne » inusable et fraîche. Je sens l'émotion du fils, son admiration à l'égard de cette femme dont il est né. Le meilleur de lui-même est entraîné bien au-delà des limites de sa seule vie, vers l'horizon que lui désigne sa mère sans jamais lui faire la leçon. En allant, tout simplement.

Mère des racines et des ailes. Elle est celle qui marche devant, qui incite et suscite, non celle qu'on vénère pieusement.

Sa silhouette lumineuse trace et ouvre la route spirituelle, après avoir si souvent dégagé le chemin matériel. L'âme toujours à la pointe. Croissance perpétuelle, d'un tout autre ordre que le seul vieillissement des cellules. Elle a été le ventre accueillant à l'ébauche de l'être, le creuset où s'est forgé l'enfant. Elle a été l'effacée pour qu'il ose avancer, sans pour autant devenir la diminuée, la réduite, la non-existante. Avant, pendant et après lui, elle demeure la vivante. Elle peut en aimer d'autres - Jean, toi, moi - comme elle l'a aimé, lui.

Elle est l'enracinée qui enracine à son tour, celle qui invite à ouvrir les ailes en déployant les siennes ; la messagère qui sur le seuil murmure : « Entrez ! », puis emboîte le pas ; la compatissante qui se penche sans s'affaler aux côtés de l'écrasé ; elle se met à son niveau, s'agenouille près de lui pour étayer son effort de relèvement. Modestement fière de son oeuvre, la mère est consciente d'être un maillon de la chaîne. Humaine et transhumaine. Petite-fille et fille avant d'être mère. Mère des sources et des océans. À elle grâce et louange ! Dans le regard du fils, des fils et des filles selon la chair, et selon l'esprit, soulevés par la reconnaissance, se devine le respect attendri à l'égard de celle qui ne décourage pas, ne castre pas.

extrait du chapitre Célébration de la Mère de Colette Nys-Mazure dans Célébrations chrétiennes (Albin Michel)

 

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