Libre, Ingrid Betancourt est donc libre. Elle l’est aujourd’hui au sens de l’ouverture de la prison, de l’élargissement de la cellule, de l’émancipation des chaînes, entre autres limites concrètes qui dessinent et déterminent l’enfermement physique. Mais elle montre l’être aussi, et l’avoir été depuis longtemps en fait, au sens spirituel. Je n’aime guère ce mot qui s’emploie mal ou trop, mais qui dit ici quelque invisible, quelque impalpable, si ténu, si discret que les titres de la grande et petite presse, les applaudissements des gouvernants et des diplomates ont cru pouvoir l’oblitérer avant que ce soupir, venu d’ailleurs, de plus haut, ne nous revienne, tourné en sainte rumeur puis clameur. Ecoutons plutôt Ingrid telle qu’en elle même, en ses premiers mots trouvés, retrouvés face au monde : « Je veux d'abord rendre grâce à Dieu ». Dieu ? La pasionaria de l’écologie et de la démocratie, l’icône latino d’une certaine idée de la France, la cause exemplaire des opinions émues en désespoir de causes et des politiques en mal d’opinions positives, ce serait elle, la même, qui invoquerait là, en une révérence aussi superstitieuse que dépassée, aussi malvenue qu’inutile, un Principe inexistant par principe? Oui, c’est la même, et qui y insiste : « C’est un miracle ! ». Et qui récidive, qui se signe de la croix, qui plie le genou, et qui prie, là, sur le tarmac. Dévotion ? Non, piété. Attention à ne pas confondre ! Lorsque le président colombien Alvaro Uribe s’exclame : « Cette opération, advenue à la lumière du Saint Esprit et sous la protection de notre Seigneur et de la Vierge est comparable aux plus grandes aventures épiques de l'histoire de l'humanité », il mêle culte et culture à la démesure de ce Sud baroque qu’est l’autre Amérique, catholique et hispanique. Mais lorsque Ingrid Betancourt confie : « J'ai vu le commandant, qui pendant tant d'années a été responsable de nous, et qui en même temps a été si cruel avec nous. Je l'ai vu au sol, les yeux bandés. Ne croyez pas que j'étais joyeuse, j'ai senti de la pitié pour lui, parce qu'il faut respecter la vie des autres, même s'ils sont vos ennemis. », c’est l’Evangile qui parle. Désarmée, ou seulement armée d’une Bible et d’un chapelet, l’ancienne candidate du Partido Verde-Oxígeno, le «Parti Vert-Oxygène», a appris (ou réappris, elle qui fut élève à l'Assomption de Paris) à respirer cet autre air sans lequel il n’est pas d’humanité et qui se nomme la prière. Condamnée à l’immobilité, l’illustre captive est devenue une Jeanne des Tropiques connaissant à son tour la grâce d’être la grâce. A l’instar des contemplatifs, elle a entrepris l’unique voyage qui compte, solitaire, et qui est l’exode intérieur : « Ici, tout a deux visages, la joie vient puis la douleur. La joie est triste. L'amour apaise et ouvre de nouvelles blessures… c'est vivre et mourir à nouveau» notait- elle alors que l’enfer échouait à annihiler, en elle, l’espoir, alors que son tombeau amazonien s’inaugurait odyssée de l’âme. Et c’est bien cette libération là, cette victoire qu’il nous faudrait méditer, nous tous qui sommes otages du temps qui passe, s’écoule, et nous noie dans l’oubli.
Jean-François Colosimo
http://www.orthodoxie.com/2008/07/bloc-notes-de-j.html